Comment blanchir le Coup d'Etat
au Luxembourg?
Le Parlement ne veut plus de moi? Je change de Parlement.
Le 22 Messidor, ce qui dans le calendrier révolutionnaire est notre 10
juillet, il y a bien eu coup d'état au Luxembourg. Un coup d'état bien spécial.
Ce coup d'état n'était certes pas une révolution populaire, malgré ma
référence au Messidor. Le brave peuple restait indifférent. Ce n'était pas non
plus un putsch, ce qui aurait impliqué la force des armes. Mais au Luxembourg
ce genre de putsch n'existe qu' à l'envers, le politique chassant l'uniforme:
Fischbach, le papa, renversait le Colonel Winter, Schiltz, le neveu, envoyait promener
le Colonel Ries.
Non, le coup d'état du 22 Messidor était un coup d'état à la douce, exercé
subrepticement par notre propre Premier avec la connivence du Président de la
Chambre, en déjouant une motion de censure. A la bonne luxembourgeoise, ce coup
était aussi à l'envers. JC Juncker ne saisissait pas le pouvoir. JC Juncker avait
le pouvoir et il empêchait le Parlement de le lui enlever. Sans vote de
confiance, Juncker interruptus n'a pas eu lieu. La démission attendue a été
remplacée par des "Neiwahlen", quelque chose que la Constitution
ignore. Le Parlement ne veut plus de moi? Je change de Parlement. Le coup
d'état était démarré.
Savourez la confusion!
Oui mais, éclairez ma lanterne semblait dire le Grand-Duc, sur qui JC
Juncker devait compter pour la deuxième phase du coup d'état, la dissolution de
la Chambre à décider de suite, mais effective seulement en Octobre ou
Vendémiaire si vous préférez l'ambiance barricadière. Mais sans la démission
pressentie du gouvernement. La troisième phase du coup d'état, les élections
anticipées, sont en fait l'effort de légitimation de tout coup d'état.
Comme la séance de la Chambre le 10 juillet fut avortée par son Président,
il n'y avait pas d'acte documenté pour le Grand-Duc qui lui permît d'agir dans le
vide constitutionnel. Le Chef de l'Etat
a donc demandé conseil au Conseil d'Etat, dont l'avis était formel: la démarche
envisagée est anticonstitutionnelle. "Qu'à cela ne tienne" ont
rétorqué nos élus pratiquement à l'unisson. "La Constitution est un vieux
chiffon du 19e siècle et ne compte plus", disaient-ils, par là reniant
leur serment solennel.
"Je jure fidélité au
Grand-Duc, obéissance à la Constitution et aux lois de l’Etat."
C'est cela que nos élus ont juré lors de leur prise de fonction. Le
Grand-Duc en a fait de même par ces mots: "Je jure d’observer la
Constitution et les lois du Grand-Duché de Luxembourg ....." Et malgré que
la Constitution nous dit que "Le Grand-Duc n’a d’autres pouvoirs que ceux
que lui attribuent formellement la Constitution ........." les partis
politiques sont allés le convaincre de leur volonté unanime d'enfreindre la
Constitution et de dissoudre le Parlement. Une pareille suspension effective de
la Constitution est par définition un coup
d'état. Le Conseil d'Etat dans sa sagesse, avait avisé contre cette démarche
illégale.
Je sais bien-sûr que si tout le monde se moque de la petite vieille, la
Constitution, l'excuse est précisément que tout le monde le fait. Cependant sa
suspension pour un oui et pour un non ne passera pas inaperçue dans le monde. Notre
légendaire stabilité politique est comme la virginité: cela se perd la première
fois.
Il y avait ou il y a pourtant trois moyens de la recouvrer: d'abord l'occasion
manquée, hélas, puis la machine à remonter le temps (aussi farfelue que le coup
d'état même), et finalement le "back to the future".
L'occasion manquée
Entretemps, tout le monde connait l'occasion manquée du 10 juillet. L'entendement
général était de procéder au vote de
confiance dont on connaissait le résultat d'avance, de provoquer ainsi la démission
du gouvernement et sa suite logique, la dissolution de la Chambre. Cela ne
pouvait être, du fait de M. Juncker, et le Président de la Chambre était de
connivence. Sans doute pris de court, aucun député n'a objecté aux entorses
procédurales qui ont eu lieu. Notre Premier s'en est sorti sans conséquence, la
veste blanche et avec l'auréole de la victime.
La machine à remonter le temps sera
inaugurée ce 22 juillet passé
Tout comme l'esquive de la motion de censure était une acrobatie, la
machine à remonter le temps en serait une autre pour remédier à la faute
commise. Voici son fonctionnement: Nos élus n'ont pas fait leur devoir? Enfin
ils disent que si, mais que Juncker l'a mangé. Ils auraient pu l'en empêcher et
ils auront donc une retenue. Comme heureusement le Parlement n'est pas encore
dissout, la retenue pourrait avoir lieu au mois d'août, en pleines vacances,
pour amender l'article 74 de la constitution à peu près comme suit:
Le Grand-Duc peut dissoudre la Chambre.
(1) Il peut prononcer la dissolution différée de la Chambre, et l'antidater.
(2) Il est procédé à de nouvelles élections dans les trois mois au plus
tard de la dissolution.
Voilà, la Constitution est respectée. Le Grand-Duc a maintenant les
pouvoirs pour remplacer les deux arrêtés qui sont implicitement contestés par le
Conseil d'Etat, de les antidater pour les faire appliquer dans le futur. La
machine à remonter le temps sert à réécrire l'Histoire!
Le "Back to the
Future" est un méchant retour de manivelle
Imaginez que lors de la retenue au mois d'août que nous venons d'infliger à
nos élus, un petit futé se lève pour demander qu'on vote aussi sur les deux
motions escamotées le 10 juillet. En s'attendant aux résultats escomptés en
juillet, l'on pourrait s'attendre à un vote de censure de 34 - 26, selon les
lignes des partis. Le gouvernement serait démis, et la gestion catastrophique
du SREL aurait des conséquences. Il y aurait toujours les élections anticipées.
Mais attendez, ce vote ne serait plus si sûr. Des choses se sont passées
depuis le 10 juillet. Des fidèles vétérans dans tous les partis plus ou moins
volontairement ne se retrouvent plus sur les listes électorales qui ont été
publiées récemment. Avec un peu d'amertume et de rancune, feraient-ils (elles)
l'ultime éclat de changer leur vote escompté plus haut? Et si ce résultat était
inversé? Il n'y aurait alors certes pas de démission du gouvernement. Il ne
faudrait plus d'élections anticipées, car elles servaient d'écran de protection
contre la démission du gouvernement. La Constitution serait vierge de nouveau.
Il y a un hic: le Grand-Duc devrait annuler les élections anticipées. Il
faudrait donc un ajout à l'article 74 qui dirait que "le Grand-Duc peut
annuler des élections nationales." Et tout le monde crierait à l'abus.
A la fin de cette politique fiction, n'avez-vous pas ressenti le besoin
d'avoir enfin une nouvelle Constitution? Je propose deux choix: ou bien faire
confiance à nos élus de nous la confectionner selon leurs intérêts, ou bien
photocopier la constitution américaine, bâtie sur de profondes discussions
philosophiques recueillies d'ailleurs dans "The Federalist" (1). On
mettrait un peu de sauce luxembourgeoise, mais les trois mots les plus
importants en langue luxembourgeoise deviendraient alors "We the
People".