Friday, June 24, 2016

Et pourtant l’Europe aurait pu se faire !



















Europe: extinction des lumières. Photo ET

Voici reproduit un article d’il y a 2 ans. Rien n’a changé. Ah si, la Lady britannique n’est plus cheffe de la diplomatie commune. C’est actuellement une lycéenne italienne.


Et pourtant l’Europe aurait pu se faire !

Je me rappelle du Président Pompidou revenant du Sommet de La Haye en 1969 déclarant sa satisfaction, parce que « le Sommet a été bénéfique pour la France d’abord, pour l’Europe ensuite ». Comme beaucoup de jeunes Européens « fleur bleue » de l’époque, j’étais mi- encouragé par ces propos, car la construction européenne avait été en panne, mais aussi mi- offensé, car l’égocentrisme français plaçait la France devant l’Europe. L’Europe supranationale par libre adhésion pourtant avait été un idéal suprême après deux guerres mondiales meurtrières.

Le Traité de Rome de 1957 parlait d’une « union sans cesse plus étroite entre peuples européens ». Cela fait 57 ans, et à ce jour on ne sait toujours pas quelle sera cette union : seront-ce les Etats-Unis d’Europe, une Confédération, un Marché Unique ou va-t-on continuer le Grand Machin mal défini, non-démocratique, que l’on ajuste selon les besoins de refuge d’une gérontocratie européenne après des échecs électoraux chez soi ? Et on dirait que plus on avance, plus le Grand Machin mal défini s’éloigne, vers une union sans cesse moins étroite.

Combien de temps pour faire (défaire) un Empire ?

Donc on construit sans plan depuis 57 ans, une construction organique selon les courants, à peine darwinienne, sauf pour sauvegarder la gérontocratie. Vous direz que Rome ne s’est pas faite en un jour. Mais Rome avait un plan. Et elle avait fini par unir l’Europe, bien-sûr selon son plan, et avec le glaive. Atteignant un sommet de civilisation politique qu’il faudra par la suite des siècles pour retrouver, l’Empire Romain a duré des siècles. C’est l’autre considération pour mesurer le succès d’un Empire, la durée, car ils naissent et dépérissent. Une autre variable est l’idéologie qui les anime. Charlemagne et ses successeurs ont présidé au triste essor du féodalisme, garantissant l’obscurantisme qui nous a jetés plusieurs siècles en arrière. L’aventure napoléonienne avait moins de souffle : une quinzaine d’années pour atteindre Waterloo, synonyme de fin d’Empire. Comment mieux définir l’idéologie napoléonienne que par l’ego d’un homme. « Commediante, Tragediante » lui disait le Pape. Vint ensuite Hitler avec un plan d’un Empire Nazi millénaire. Cela durait 12 ans. Mais il avait un plan. Tout comme l’idéologie suivante, le communisme de Lénine et de Staline. L’Union Soviétique tenait la route tant bien que mal pendant 70 ans. Mais ils avaient un plan : la route du communisme mondial ne va pas de Moscou à Paris, mais de Moscou par Pékin à Paris.
Puis vient le Grand Machin de l’Union Européenne. On ne conquiert rien avec le glaive. On n’a pas de plan non plus sauf une idée générale de construire une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens. C’est une idéologie agnostique, où tous peuvent imaginer une finalité à leur façon pour le Grand Machin. Sauf que ce sera basé sur une Economie de Marché. Le reste sera la conduite de la bataille des intérêts particuliers.

Avez-vous remarqué que tous ces exemples historiques de construction européenne ont tous produit une nomenclature féodale, partisane, non-démocratique. Le 1% quoi !

David Cameron a tort, s’il n’a pas raison

Sa vision du Grand Machin est en la circonstance aussi valide que celle de ses camarades dans le bac à sable européen. Mais quelque part sous-jacent à toutes ces diverses visions, il doit y avoir des dénominateurs communs. Comme par exemple si on joint un club de football, c’est parce qu’on veut jouer au football selon les règles du football. Joindre une Union Européenne, suggère qu’on ferait quelque chose en commun pour l’Europe en observant certaines règles du jeu. Là vous me parlez en fait d’une Constitution Européenne, qu’on a tronquée en Accords de Lisbonne, un autre machin. Elle a autant de pages que la Constitution américaine a de mots. Il est vrai qu’on avait confié son élaboration à un normalien français, alors que la Constitution américaine est le fruit d’esprits libres de toute contamination politique antérieure.

Que devrait être ce Machin Européen ? Certainement un Marché Unique était une bonne idée. Mais pour que l’Europe fasse le poids dans le monde, c’est l’union qui devrait faire la force. Il faut un Gouvernement central, élu, tenu responsable par un Parlement. Donc PLUS d’Europe. Il devrait recevoir un transfert de souveraineté des Etats membres. Pour « faire le poids » internationalement et être une alternative aux puissances américaine, chinoise et russe, la politique étrangère doit être d’une voix unique, la politique économique (et monétaire) un ensemble consistant et la défense une défense commune. Tout cela a été tenté partiellement, provisoirement, intuitivement, sans se soucier de quelques principes essentiels : Une Lady britannique est vaguement en charge de la diplomatie européenne qui n’est pas définie, l’Euro a connu un lancement précipité et malencontreux qui remplaçait l’Ecu seul outil monétaire viable sans plus de coordination économique, et en guise de défense commune il y a une Brigade européenne juste bonne pour défiler.

M. Cameron, M. Hollande et d’autres devraient se décider s’ils veulent appartenir au club et respecter les règles, ou sortir de là. Rester a des conséquences comme par exemple abandonner ses terrains de jeux privilégiés  en Afrique ou ailleurs, abandonner le bouton nucléaire à un Président européen et consolider les budgets de défense, réduire le nombre d’ambassades d’environ 2.000 à 192 dans une ère où le tweet a remplacé la « note verbale », et repositionner l’euro dans un contexte de gouvernance qui comporte entre autres l’élimination du menu chinois qui laisse le choix à tous de participer aux règles ou de s’en distancer, comme Schengen et d’autres.

David Cameron a raison, s’il n’a pas tort

Il est important de faire une mise au point : je ne suis pas un enthousiaste inconditionnel des choses américaines. Mais encore une fois, la Constitution américaine est une belle construction de l’esprit humain (par opposition à l’esprit partisan). Elle laisse aux Etats l’autorité de s’occuper de choses qu’ils sont les mieux équipés pour adresser. C’est le principe de subsidiarité. C’est MOINS d’Europe. L’art est de doser le partage entre PLUS et MOINS de façon à satisfaire les soucis de subsidiarité chers à  David Cameron, assez pour un compromis lui permettant d’abandonner quelques pans de souveraineté, suffisants pour que l’Europe puisse s’affirmer sur la scène internationale, économiquement, diplomatiquement et militairement.

L’Europe a besoin d’une destruction créatrice

Malheureusement l’Europe s’est égarée au point de devenir un Machin non-démocratique.  Elle a perdu le support du public, et des réformes seront difficiles. Il faudrait à la fois avancer plus vite et plus loin dans la gouvernance centrale, et faire marche arrière sur nombre d’égarements. Détruire les excroissances que nous devons aux gardiens du Machin, pour faire du neuf.

Dans ce contexte l’élection du prochain Président de la Commission est un cas d’espèce. Je parle de Jean-Claude Juncker, candidat dont la candidature semble plus importante que le projet européen. Sous l’argument de la démocratie que je cherche en vain dans la démarche de cette « élection » qui n’en est pas une. Ni dans un sens, ni dans l’autre.

D’abord je ne suis personnellement pas en faveur des ambitions des leaders politiques luxembourgeois qui développent une obsession pour accéder à des postes internationaux. Leur terroir national leur devient trop étroit, donc ils délaissent généralement leur électorat qui les a choisis pour des responsabilités nationales. Monsieur Juncker est un de ceux qui ont négligé leur fonction nationale. Comme Premier Ministre, il a été absent pendant huit années pour assouvir des ambitions européennes telles que de jouer le rôle de M. Euro. Il vient d’être élu parlementaire luxembourgeois, avec la promesse d’être soit Premier Ministre, soit leader de l’opposition. Il est leader de l’opposition, mais déjà absent pour raison d’ambition européenne. Ce sera la continuité du Grand Machin non démocratique des 1%. Il est un vétéran de cette Europe-là et a l’avantage de connaitre ses méandres. Il peut aussi tout simplement être un intermédiaire utile et traducteur entre les autres dans le bac à sable européen, qui ne parlent qu’une langue. Mais il peut être ennuyant : ses camarades lui reprochent quelques habitudes qui ne se cachent plus.

Si ses actions passées sont une indication pour son « programme », rien ne changera. Il a fait de son parti catholique, le CSV, un parti séculaire tout venant pour les opportunités qu’il offrait comme force dominante, au point qu’on appelait ce genre népotiste luxembourgeois « l’Etat CSV ». Dernièrement le parti a voté en faveur d’agendas sociaux progressistes qui normalement ne sont pas supportés par des partis religieux. On peut parler de succès sous l’aspect de la consolidation du pouvoir.

Dernièrement cependant il y a eu problème. Les élections de 2013, anticipées, ont produit une autre majorité. Il est vrai que le Premier Ministre absent a connu une série de scandales autour des services secrets, d’un Stade National, et de Cargolux. Ailleurs le centre financier a connu le démantèlement de quelques niches bien profitables tel le secret bancaire. Et puis il y a cette plaie pour les 99% : le chômage qui sous M. Juncker a augmenté de 2,9% à 7,1%, sans compter les chômeurs frontaliers et les emplois provisoires subsidiés. Enfin comme M. Euro il a maîtrisée la crise en socialisant les pertes des banques, et surtout permis une première, permettant aux banques chypriotes en difficulté de saisir une partie des avoirs des clients.

Et pour la fin, la danse du quadrille

Ces jours-ci il y aura les grandes manœuvres pour « élire » ou ne pas élire Juncker Président de la Commission Européenne. Ce n’est pas un processus démocratique, mais un marchandage. M. Juncker était « candidat » tête de liste lors des élections européennes, sans être sur une liste. Il n’a donc pas été élu député européen, mais parait-il ces élections sont sa légitimité. Le public luxembourgeois supporte sa nomination par solidarité avec un des leurs, tout comme ils préfèreraient qu’un luxembourgeois gagne le Tour de France.. Le nouveau gouvernement aussi, car il évacuerait une belle-mère incommode à Bruxelles. Reste les discordes dans le bac à sable à résoudre. Et si tout va bien pour M. Juncker, sera-t-il le Président des 1% ? Qu’en disent 12,5% de chômeurs européens ? Les 99% constateront qu’il sera le troisième Président luxembourgeois de la Commission sur les 12 qu’il y a eus dans le passé. Comme quoi un Grand Machin a souvent besoin de plus petit que soi.