Tuesday, November 18, 2014

Le label Luxleaks lacère le Luxembourg


Lever du soleil aux British Virgin Islands
























Le label Luxleaks lacère le Luxembourg
Gouverner, c’est prévoir ….

A la lumière stridente de Luxleaks, faut-il conclure que si gouverner c’est prévoir, le Luxembourg n’est pas bien gouverné? En tous cas, il a ignoré que le mode opératoire des relations entre Etats est la « Realpolitik ». Comme il est bien loin le temps quand le Luxembourg pouvait se targuer d’être le gentil petit cousin de tout le monde. Un faux sens de sécurité, et la nonchalance l’empêchaient de prévoir les menaces potentielles, surtout sur la place financière qui elle était en pleine dérive de laxisme, avec en faux-finish une base légale assortie. Comment pouvait-on ne pas imaginer que le Luxembourg puisse être assailli à tout moment pour l’une ou l’autre activité de cette place financière, dont certaines comme l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale, invitaient l’agression? Le fait que d’aucuns ont rêvé d’envoyer la cavalerie ou la Légion Etrangère montre bien que les lignes de force de la Realpolitik changent constamment, et qu’il est désastreux de s’assoupir volant. Et comment se fait-il que tous les responsables, anciens et nouveaux, ne dominent pas les bonnes techniques du « damage control », quand l’assaut est là ? Pris au dépourvu, haletant de stress et servant des déclarations contradictoires, ils en rajoutaient au problème par leurs balbutiements publics, faute de préparation, d’assurance et de savoir-faire.

Un Pearl Harbor luxembourgeois

Du point de vue d’un Etat, subir une attaque surprise est une faillite de ses procédures en place. N’est-ce pas une des responsabilités du Premier Ministre et de son Service de Renseignement de détecter la mise en place d’une attaque d’une telle envergure sur le coffre-fort national, et de sonner l’alerte ? Quelle belle occasion ratée pour le SREL pour racheter une crédibilité après les élucubrations du passé! Le gouvernement lui-même, averti auparavant de l’existence d’une initiative embarrassante, a traité la chose avec négligence bénigne. Pire, Juncker qui est la cible principale était averti bien plus tôt, des mois en avance. En ce qui concerne PwC, il faudra expliquer comment une société de ce niveau de sophistication n’ait pas de systèmes en place pour prévenir le vol de 28.000 pages de documents confidentiels?

Ces défaillances dans la première ligne de défense qui sont SREL et PwC, font du gouvernement et en ce cas-ci surtout l’ancien Premier Juncker, les ultimes gardiens de but. Mais, pris au dépourvu par négligence, personne n’a fait bonne figure comme gardien de but sous les coups de penalties du monde entier. Le damage control rappelait celui de Raphael Montañez Ortiz, qui a tué son piano en ce faisant au Mudam. Dans leur fuite en avant, nos chefs ont aussi tué leur propre piano, les rulings. L’affaire des « rulings » incriminés était relativement facile à désamorcer, dans l’immédiat, quoique temporairement seulement. Car aucune défense ne tiendra la route à la longue : l’affaire de saigner le petit contribuable et de laisser courir, que dis-je, cajoler le gros est immorale.

Une attaque sur invitation

Il y a des cultures qui blâment la victime. Mais sommes-nous les victimes ou les provocateurs ? A force de secouer le prunier du voisin, nous avons fini par nous intoxiquer au Quetsch. Comme dans un état second, nous n’étions plus capables de discerner des limites entre le bien et le mal. Dans ce journal et sur mon blog « Feierwon », j’ai souvent attiré l’attention sur les exactions du « Paradis fiscal » sinon du « Paradis judiciaire et règlementaire » qui le complète, au déplaisir de certains. Aujourd’hui, du moins le Paradis fiscal semble avoir ses batteries à plat, à en croire les réformateurs de la dernière heure qui en une volte-face spectaculaire ont sonné le glas du Paradis fiscal et de sa « Schmuddelecke ». Deux faits bien réels ont contribué à l’effondrement de l’édifice des privilèges clandestins et de l’optimisation fiscale luxembourgeoise.

Le premier fait est que le choix stratégique pour le développement d’un centre financier, très légitime en soi, a été perverti par l’adoption subreptice d’une suite de tactiques de plus en plus aguichantes, discutables et éphémères, donc pas durables. Ajoutez en prime et en appui un système judiciaire et réglementaire défaillants, et vous arrivez à des révélations toxiques comme Luxleaks et à des scandales interminables comme BCCI, Madoff et Landsbanki, autant de plaies suppurantes dans les flancs du centre financier.

Le deuxième fait est cette obsession de quelques figures marquantes du gouvernement de poursuive la gloire internationale (personnelle) par des ambitions européennes ou internationales démesurées. Juncker était le candidat éternel à une Présidence quelconque européenne, Asselborn avait son obsession de siéger au Conseil de Sécurité de l’ONU, Frieden à la Banque Mondiale, et tous les trois étaient friands d’être des stars de la télévision allemande. Cette gesticulation internationale ne pouvait qu’attirer l’attention de la presse internationale sur le Luxembourg. Nos hommes agissaient comme le paratonnerre qui attire la foudre. La bonne idée eut été de rester chez soi et de s’occuper de nos affaires, car la Presse internationale est une presse investigatrice qui fouine, et qui trouve. Gare si vous avez des choses à cacher.

Le damage control est un art

Pour être efficace, il ne faut pas violer certaines règles de base du damage control.

Quand le coup dur arrive, la première règle est que vous devriez avoir des scénarios préparés de longue date pour ce qui peut arriver. Gouverner, c’est prévoir !

La deuxième règle est de réagir promptement, candidement et en toute transparence. Le mensonge sera plus grave à long terme que les faits incriminés. Vous ne pouvez pas défaire ce qui a été fait, vous ne pouvez pas revenir en arrière. Mais vous devez exposer les mesures que vous avez déjà prises pour corriger la situation, et que vous prendrez pour prévenir une rechute. Dur à faire, mais un mot d’excuse est généralement bien accueilli. Si la communauté nationale a réagi en « Communauté du Nous Autres », ce réflexe tribal qui oppose toutes les énergies aux assaillants, nos officiels nous ont fourni quelques couacs en enfreignant les règles: Ils étaient pris comme du gibier dans les phares la nuit, avec des arguments mal préparés. Asselborn a pris une ligne hardie et candide, ce qui est bien. Mais Juncker, qui en fait est la cible principale de Luxleaks, après un silence éternel, s’est résolu à la fuite en avant. Avec lui, la Realpolitik a repris ses droits, et Juncker a jeté le Luxembourg avec ses rulings par la fenêtre, illico. Pour sauver son job. Il est maintenant en faveur de la transparence et d’un système d’échange automatique d’informations en matière de tax rulings. Il est aussi un Président en sursis.

La troisième règle est d’éviter de tomber dans le piège de l'arrogance. Une certaine arrogance existe dans notre DNA, sans doute en compensation d’être petit. C’est le Vive-nous. Nous sommes les premiers de classe partout : pour l’aide aux « pays en voie de développement », nous sommes les plus riches, les plus performants. Cela fait grincer les voisins. Souvent le tout est basé essentiellement sur des statistiques faussées par le fait de la divergence entre les chiffres de la population résidente et de la population active (frontaliers) avec leurs familles qui ne sont pas pris en compte.

Nous sommes à tel point devenus nonchalants et arrogants avec notre communication que l’on peut lire des monstruosités comme l’exemple suivant glané chez ALFI : « Notre autorité de surveillance très compétente et pragmatique joue elle-aussi un rôle clé dans le développement de notre industrie des fonds d’investissement». Pragmatique, cela sent le laxisme. Faut-il vraiment affubler la CSSF de ce qualificatif par les temps qui courent? Et insister qu’elle joue un rôle clé dans le développement de l’industrie des fonds est du moins controversé pour un organe de supervision qui règle, qui surveille et qui sanctionne, mais ne devrait pas faire de la promotion!

A propos des rulings, on ne peut pas gagner l’argument éthique, mais gagner du temps !

Après la tempête, les règles de la Realpolitik reprennent leur droit : les réalités sont que nous ne pouvons démanteler la forteresse financière des rulings du jour au lendemain. Notre excuse généralement lamentable est que « tout le monde le fait ». En réalité, notre budget national subirait encore un choc. Mais il y a une bonne nouvelle : la pression par des ensembles comme le G20 laissera quand-même le temps au temps, et ce sera finalement BEPS, promu par l’OCDE, qui se mettra en place lentement, mais surement. Il est clair aussi que les grandes corporations et les Big Four sont de véritables états sans frontières, qui voudraient garder l’essentiel de leurs privilèges au Luxembourg. Ils auront plus d’un tour dans leur sac pour esquiver les nouvelles règles, que le zélé Luxembourg transposera immédiatement à son avantage.

Les choses étant ce qu’elles sont, la fortune est dans le caleçon  

Reste que nous-mêmes et nos « petits » clients allemands, belges, français, nous nous retrouvons avec une gueule de bois au lendemain de Luxleaks et de la mort du Paradis fiscal. De nombreux petits drames familiaux ont eu lieu pour se défaire des comptes luxembourgeois devenus toxiques. Les uns se faisaient pincer à la frontière allemande en rapatriant leur argent noir dans leurs caleçons, les autres allaient se dénoncer au fisc, si une disquette volée ne l’avait pas déjà fait. Nous avons perdu beaucoup d’estime et d’amis, nous avons fait des victimes, et nous ne faisions rien pour les aider. Quant aux grandes sociétés et leurs conseillers, ils peuvent espérer soit un statu quo pour le moment, soit une adaptation vite faite, soit ils iront voir ailleurs. Toujours un clic d’avance sur les nouvelles règlementations.

En attendant, ce centre financier sous attaque a certainement engendré des effets secondaires indésirables pour beaucoup de Luxembourgeois. Des milliers de familles ont dû chercher refuge immobilier dans les régions limitrophes, comme d’opulents travailleurs financiers faisaient monter les prix chez nous. D’autres, vers les 20.000 ont été déclassés chômeurs éternels, car leurs qualifications sont faites pour un autre monde que le monde virtuel de la finance qui est proéminent au Luxembourg.  C’est aussi un bilan de trente ans de dérive.

Un vrai héros luxembourgeois: Den Escher Marius

Terminons sur une bonne note. Le nom de Marius Kohl est désormais connu de par le monde. Si l’objet de son travail journalier est sujet à critique, il est clair qu’il n’a fait autre chose que ce qu’il était supposé faire. Aucun de ses chefs, aucun de ses interlocuteurs, ni le public n’ont jamais protesté les avantages fiscaux qui découlaient de ses décisions.

A mes yeux, Marius Kohl a l’étoffe pour devenir un vrai héros du folklore luxembourgeois. Un peu Shakespearien, car on peut se demander à quel point il était peut-être tourmenté par l’évidence que beaucoup de multinationales payaient moins d’impôts que lui-même ou les pauvres citoyens luxembourgeois. Il y a là du matériel pour une pièce de théâtre : To rule or not to rule ? Ce n’était même pas une question.

Mais c’est sur un autre plan que son entrée dans le folklore local est même plus probable. Malgré le fait que Marius Kohl sous sa plume accordait des milliards et des milliards d’avantages fiscaux, il n’a visiblement pas profité de la situation pour s’enrichir personnellement. Il habite une maison cossue, c’est tout. Sous d’autres cieux, et même chez nous, des officiels avec un tel pouvoir auraient la plupart du temps cédé à la tentation. Marius Kohl ne projette pas des signes extérieurs de richesse, il ne siège pas aux conseils d’Administration de Bertelsman Stiftung et de Nyrsta avec Viviane Reding, ou Arcelor-Mittal entre autres avec Jeannot Krecké, il n’a pas eu accès à un poste européen avec son ancien Premier ou à Deutsche Bank comme Luc Frieden.


Marius Kohl fait figure d’incorruptible, comme jadis le Schéiffer Misch vun Aasselbour, qui fameusement a dit : « mir kënnen nik lignen » - Nous ne savons pas mentir. Un petit mensonge encouragé par le juge l’aurait sauvé de la condamnation à mort pour rébellion lors du « Klëppelkrich ». Dans une pièce de théâtre, je ferais dire Marius Kohl : « Mir kënnen nik geschmiert ginn ! » Nous sommes incorruptibles. Juste pour contrebalancer ceux qui disent : « Il y a quelque chose de pourri au Grand-Duché de Luxembourg ».