Un vaudeville constitutionnel
au Luxembourg
Pour la deuxième fois depuis 2009 le Luxembourg connait une crise
constitutionnelle. La première résultait du refus du Grand-Duc, communiqué bien
en avance au Premier Ministre, de "sanctionner" la loi sur
l'euthanasie pour raison de conscience, alors qu'une majorité des députés
l'avaient votée. Elle s'est résolue par
une sorte de coup d'état en changeant la Constitution.
La présente crise résulte de l'affaire du Service de renseignement de
l'Etat, SREL, qui aurait dû se terminer tout simplement par un vote de
confiance, avec les conséquences normales si un tel vote mettait le blâme sur
le Premier Ministre ou son gouvernement. Ce qui était entendu. Une fois de plus
le Grand-Duc a été mis dans l'inconfortable situation de manœuvrer sans repère
constitutionnel clair. Curieusement dans ce vaudeville, nous voyons M. Juncker
jouer un rôle multi-facettes de responsable, d'accusé, de défenseur, de
démissionnaire, d'arbitre, de médiateur, de victime, de conciliateur et de
grand sauveur tête de liste.
La grande esquive
La panne remonte à la séance de la Chambre des Députés du 10 juillet,
consacrée au vote sur le rapport de la Commission d'enquête sur le SREL. Ce
vote et les motions de censure y attachées n'ont tout simplement pas été soumis
aux députés. La séance a été avortée avant son terme par l'action de M.
Juncker, qui a agité le drapeau blanc de la démission. Le Président de la
Chambre, endormi au volant ou en panne de décision, a omis de finir l'ordre du
jour, comportant ces deux motions de censure. M. Juncker dirait-on ne voulait
pas qu'on le critique, et a fait une manœuvre d'esquive. Je ne sais quel autre
motif justifierait cette manipulation, alors que la seule tâche restante, le
vote sur la rapport SREL et la question de confiance y rattachée aurait été
évacuées en bonne et due forme. Et un gouvernement démissionnaire aurait continué
à vaquer à la bonne marche des affaires courantes. Cela respectait la lettre et
l'esprit de la Constitution, et ce que le public croyait avoir compris. Le pays
s'en serait sorti avec ce gouvernement en sursis en place pour 3 mois. Comme on
s'est débrouillé pendant les huit années d'absence de M. Euro de son poste de
Premier Ministre. Mais une défaite par un vote de confiance est un stigmate que
M. Juncker n'entendait sans doute pas endosser.
Quand on n'a rien à gagner d'une situation, il vaut mieux la laisser
pourrir. Comment? En introduisant des manœuvres dilatoires, comme cette idée,
justifiée je ne sais comment, mais éventuellement plausible, que le Grand-Duc
prononce la dissolution différée du Parlement pour le 7 octobre. Le Conseil
d'Etat, qui vient de donner son avis sur cette dissolution différée a opiné que
la Constitution luxembourgeoise ne prévoit pas ce moyen. Pour des raisons
obscures, le gouvernement en crise n'a pas démissionné non plus. La pensée
était dès lors que le Parlement devait continuer son contrôle constitutionnel?
Un peu boiteux me semble-t-il.
La provocation d'une autre
affaire
Ce qui était une affaire de dysfonctionnement est en train de devenir une
autre affaire à l'initiative de ....M. Juncker. Le rapport SREL lui aurait valu
une sanction. Mais il a esquivé le vote parlementaire qui devait le sanctionner
et créé un nouveau problème. Selon la Constitution il est le premier conseiller
du Grand-Duc, à qui il refile le valet de pique. Alors que le Conseil d'Etat, dans
lequel tous les partis ont leurs représentants nommés, émet son avis, les mêmes
partis au Parlement ont un avis contraire. En ce cas, pourquoi perdre une
semaine pour demander un avis du Conseil d'Etat qu'on n'entend respecter que
s'il rencontre les désirs? En tous cas le consensus à l'issue d'une réunion de
la Commission institutionnelle (à laquelle M. Juncker démissionnaire
non-démissionné de l'exécutif semble avoir assisté!) est que le Grand-Duc
procède à la dissolution différée de la Chambre. C'est une dissolution que
selon l'avis du Conseil d'Etat le Grand-Duc n'a pas le droit de prononcer. Qui protégera
le Grand-Duc du reproche qu'il aurait violé la Constitution? En attendant, le
Parlement fonctionnerait donc comme le bloc des condamnés à dissolution, en
attendant la date de l'exécution.
Et pourquoi pas une petite
révision de la Constitution?
Je voudrais puiser dans les grands moments de sagesse passée du Parlement
et du gouvernement. Rappelez-vous du 12 mars 2009 quand on a changé l'article
34 de la Constitution, en un quart de tour. Le Grand-Duc tout simplement ne
"sanctionne" plus les lois, il les "promulgue". Je propose
un coup similaire, un article 74bis par exemple qui dirait à peu près: "Le
Grand-Duc peut prononcer la dissolution différée de la Chambre à la demande
d'une majorité simple des députés." Juste comme protection de l'acte à
venir et par fair play, vu les déboires de 2009. Au point où on en est avec
cette Constitution, ce ne serait "que" le 38e amendement!
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