Sunday, July 14, 2013

Le Luxembourg à la croisée des chemins

Mettant les voiles. Photo ET

Le Luxembourg à la croisée des chemins

Le mercredi 10 juillet la scène, sinon la culture politique luxembourgeoise a eu son choc qui, j'espère en fin de compte sera salutaire. Malgré le fait qu'au niveau mondial il s'agisse d'une anecdote locale impénétrable, le choc a même été remarqué par la presse internationale(1), du moins pour ses causes immédiates: une lugubre affaire d'espions et la chute de l'aspirant européen permanent, Jean-Claude Juncker.

Or cette nouvelle, rapportée comme un fait divers qui vaut 15 secondes sur les télévisions internationales, est tronquée. Elle ignore la genèse de ce fait rare en politique luxembourgeoise, la chute du gouvernement. Cette chute a ses origines lointaines dans ce bouillon de méfiance publique colportée depuis des décennies, l'affaire Bommeleeër qui couvre l'espace du temps pendant lequel J.C. Juncker était un des responsables politiques, dont 18 années comme Premier Ministre. L'accélération de la désintégration du système s'est produite à partir de 2011 avec une réaction en chaîne de scandales gouvernementaux plus ou moins habilement esquivés: l'affaire  Livange-Wickrange, l'affaire Cargolux, l'affaire SREL, toutes sur l'arrière-fond des grondements de l'affaire et du procès Bommeleeër. Le tout saupoudré d'allégations d'obstruction de la justice et de musellement de la Presse. A part l'affaire pan-luxembourgeoise de Livange-Wickrange, toutes les autres sont placées sous l'égide de Monsieur Juncker ou de ses lieutenants politiques immédiats. Même le partenaire de coalition le plus docile ne pouvait continuer à couvrir de tels dysfonctionnements. Le LSAP n'avait plus que le choix du divorce, car qui ne dis rien consent, et certes on comprendra son amertume d'avoir été aspiré malgré lui dans cette tourmente.

La grande dilution, la grande évasion, la grande illusion

Pourtant nous avons suivi les travaux douloureux de la Commission d' Enquête Parlementaire qui peinait pour trouver une raison pour diluer la responsabilité dans les pannes du SREL. Ainsi espérait-on, que leur chef Juncker ne serait pas le seul responsable, mais aussi la Commission de Surveillance et si possible d'autres. On dira aussi, pour amadouer l'opinion, qu'on veillera à ce que cela ne se reproduise plus! La Commission finissait par discutailler du sexe des anges en accouchant d'une notion de responsabilité objective et subjective, en espérant trouver là une autre échappatoire. Il n'en fut rien. Il ne restait que la grande évasion: la démission au lieu du vote de confiance. Bref, une dérobade devant les responsabilités.

La grande illusion qui s'ensuivit est que le CSV, feignant la surprise totale à propos de cette tournure des événements pourtant signalée depuis des semaines, tel un essaim d'abeilles que des sales gamins auraient dérangées, se retrouvaient sans préavis, endéans quelques minutes pour un congrès "flash mob" national extraordinaire à Hespérange. Pas besoin de préparer ce congrès, car l'adrénaline se substituait au processus démocratique pour "stante pede" sélectionner J.C. Juncker pour se succéder à lui-même comme tête de liste aux élections anticipées, que l'on anticipait sans doute correctement, seraient décidées par le Chef de l'Etat.     

Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation

Cette précipitation contraste certes avec la démarche des autres partis, s'autorisant un moment de réflexion, et le pas délibéré qu' a pris le Grand-Duc, qui en tant que Chef de l'Etat a voulu d'abord s'entourer de tous les renseignements pour déterminer la sagesse des décisions à prendre: dissolution de la Chambre et élections anticipées en Octobre. S'il est clair que le pays ira vers des élections anticipées, il eut été plus élégant pour les partis d'attendre ces décisions formelles, tout en son temps, ne fut-ce que pour sauvegarder les apparences d'une constitution qui fonctionne. La plupart des partis le font. Comme quoi l'amertume n'est pas bonne conseillère, et la constitution ne commande pas de respect.

Le grand nettoyage

Si à la suite de ces turbulences qui font remonter à la surface des graves insuffisances institutionnelles, le Luxembourg rate l'occasion de se réformer, il ira vers la ruine politique et financière. Pour commencer, il y a le vaste chantier d'une nécessaire réforme politique.

Il y a d'abord la nécessaire et urgente nouvelle constitution. Notre constitution a 145 ans et elle a subi 37 amendements. Elle tend vers l'absurde dans de nombreux articles. Cela fait des années qu’une révision de la constitution se trame à l’abri des regards. Elle mérite au contraire un large débat public et un referendum à au moins deux tours. Une nouvelle Constitution est trop délicate pour la confier aux pouvoirs établis et à leur agenda. Quel changement de culture politique ce serait, si on limitait aussi les mandats politiques tant qu’on y est. C’est la longévité des carrières politiques qui doit être l’explication de l’actuelle implosion de nos institutions. Je recommande entretemps la lecture du "The Federalist" comme source d'inspiration, 85 dissertations publiées par James Madison, Alexander Hamilton et John Jay comme accompagnement philosophique de l'élaboration de la constitution américaine.

Basé sur les péripéties du passé, j'y verrais bien aussi l'introduction du principe de subsidiarité comme obstacle constitutionnel à la braderie de nos intérêts, pour empêcher que des intérêts vitaux soient sacrifiés inutilement sur l'autel des institutions internationales. Je pense en particulier à cette tendance luxembourgeoise de vouloir être le meilleur élève, sinon candidat à quelque chose dans le grand monde international, avec le contribuable luxembourgeois bon pour payer pour la frivolité.  

La transparence

Le meilleur cadre constitutionnel ne vaut pas grand chose, si le public n'a pas le droit de savoir. Une loi crédible sur l'accès à l'information (Freedom of Information, FOI), le projet de loi Bodry, est en train de mijoter depuis 12 ans. L'ancien Premier Juncker n'aime pas cette idée d'accès du public à l'information, et il l'a dit lors de la réception de la Presse pour le Nouvel An. Il n'y a aucune autre raison de ne pas la passer de toute urgence, mais pas sous une forme qui usurpe et pervertit son but premier: l'accès sans obstacle du public à l'information. Son corollaire est une législation sur le lobbying pour affiner la transparence du gouvernement. Le public en effet est aussi en droit de savoir qui est autorisé à jouer de son influence auprès du gouvernement pour influencer sa politique et sous quelles conditions.

Finalement afin de préserver autant qu'on pourra du secteur financier, il importe de réformer la Justice et surtout son fonctionnement de toute urgence. La multiplication d'affaires comme BCCI, Madoff, Kaupthing et autres finiront par rendre le Luxembourg toxique, car il ne fonctionne pas comme un état de droit. Les multiples condamnations par la Cour Européenne des Droits de l'Homme en témoignent, surtout en ce qui concerne les délais systématiquement exagérés. "Justice delayed, is Justice denied". Au moment où le fameux procès du Bommeleeër est interrompu pour 10 semaines de congés judiciaires, et accusés, défense, procureur et juges s'en vont à la plage, vous n'allez pas m'expliquer que tout roule. Mes amis américains la trouvent bien bonne que notre procès du siècle s'offre un tel hiatus après trente ans de retards.

Les urgences

Si des grandes questions de principe doivent être résolues, il y a plus terre à terre: il y a urgence et c'est bel et bien la situation financière du pays. Le défi massif de 22.000 chômeurs combiné aux déficits budgétaires grandissants et une dette publique qui vient de monter de €2 milliards, est en train de ruiner la prospérité et les chances d'arriver à des nouveaux accords de la tripartite. Le phlegme et la négligence avec laquelle ces trois urgences, chômage, dette publique et tripartite  ont été traitées font que leur réparation sera un défi majeur et désormais urgent car grandissant de jour en jour.

Les jours des solutions faciles, improvisées et vendues au public avec un bon mot à la clé, ou au contraire reculées aux calendes grecques, sont finies. Finies aussi les combines d'arrière boutique. Le monde est à la transparence et à plus de démocratie, médias sociaux aidant.

Le prochain gouvernement décidera du sort du Luxembourg. Il présidera à sa prospérité ou à son appauvrissement. Le consensus devra être large, et par conséquent, la coalition devra être large.

On ferait bien de rompre avec le passé pour sauver le futur.


(1) New York Times: Luxembourg’s Prime Minister Resigns.   http://tinyurl.com/ordcfyk 

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