Sunday, February 2, 2014

Cargolux: Comment jouer une mauvaise main?

















Aurore ou dernières lueurs? Photo ET

Cargolux: Comment jouer une mauvaise main?

Dans le débat autour de la vente de 35% des actions de Cargolux appartenant à l'Etat luxembourgeois à une entité chinoise de la Province de Henan, apparaissent un nombre d'incongruités, qu'il est sans doute possible d'expliquer. Ce qui ne fut pas fait jusqu'à présent.  Or, il est arrogant d'escamoter le débat et d'évader les questions du contribuable luxembourgeois, de l'employé de Cargolux et même des instances dirigeantes de la société, sinon des experts comme les avocats externes.  Et d'ignorer les avis qui gênent pour ne retenir que ceux qui arrangent l'affaire.

Le droit de savoir du public est ainsi bien établi: Cargolux est l'affaire de tous les contribuables, donc de tout le monde. Cargolux en effet n'est pas une société comme les autres. Elle est pratiquement détenue à 100% par l'Etat, en considérant les paraétatiques. Ce qu'elle a fait nous regarde. Ce que Cactus ou n'importe quelle autre société privée font comme décisions par contre, ne nous regarde pas.

Les faits, les fuites et les rumeurs

Pour le partenariat de Cargolux avec HNCA, il n'est pas sûr si toutes les explications sont faciles. En tous cas elles n'ont pas été communiquées toutes, spontanément, franchement. Ou alors l'accord a des graves lacunes, et il n'y a pas d'autre explication que d'avouer qu'on n'était pas à la hauteur, et que l'accord manque de consistance et d'équilibre. Sans réponse directe et ouverte, il y aura encore plus de fuites, qui elles ne sont pas des rumeurs. Ce sont des faits, qu'on a voulu cacher, obtenus par dérobade, mais dont certains ne peuvent être minimisés. Mais les questions sur les recoins obscurs du partenariat avec HNCA qui restent sans réponses, ou que des fuites n'exposent pas, le vide est comblé par les vraies rumeurs qui iront bon train.

Monsieur Helminger a essayé d'adresser ce manque de communication au sein de la société, par une lettre au personnel. Il énumère des raisons pour être optimiste, notamment le business plan sur cinq ans. Mais il finit avec l'avertissement que les "rumeurs" doivent cesser pour éviter de ruiner les chances de succès dans la recherche de nouveaux professionnels, et donc du succès de Cargolux. C'est une frappe préemptive du même genre que celle que Monsieur Schaus a utilisée à l'égard du Comite de direction qu'il appelait "dysfonctionnel", et qui mettrait en danger le grand projet chinois. Cela se résume en ce slogan: On réussit, c'est grâce à nous, on échoue, c'est à cause de vous. De telles déclarations malheureusement ne peuvent pas rassurer le monde, car involontairement celui qui la profère, fait parler son subconscient et expose ainsi sa propre incertitude quant au succès du projet qu'il défend. 

Mais la frappe a eu ses effets jusqu'à présent, car les syndicats se tiennent bien volontairement coi depuis lors. Tout comme les deux membres du Comité qui, de façon chevaleresque, refusent d'élaborer sur les raisons de leur démission. Il est vrai que celles-là parlent pour elles-mêmes. Et les fuites font de même. Quelques organes de presse ont des contributions qui s'alignent sur cette pensée qu'il faut étouffer le débat. On y parle "d'offensive" de Monsieur Helminger. J'y verrai plutôt une défensive devenue nécessaire pour essayer de calmer le jeu. Toujours est-il que c'est une base de départ pour mener une meilleure campagne de communication interne et publique.

Rumeurs et propagandes sont également nocives

D'autres initiatives pour calmer le jeu sont moins heureuses. Je ne sais qui a inspiré un article du Wort (1), donc non-attribué, et qui pour une raison inconnue s'en prend au "mythe" du "stand alone" pour Cargolux. Donc cette vision d'une Cargolux qui se passerait de tout partenaire, serait selon le gouvernement une vision fantaisiste et impossible. Et par conséquent, qu'elle est géniale cette idée du partenariat avec HNCA! Il est intéressant de voir un journal, connu pour être un porte-parole d'un parti d'opposition, venir ainsi prêter son support à "la bonne solution" chinoise, en utilisant un argumentaire produit me semble-t-il par un Ministère biaisé. Le mystère s'épaissit quant aux motifs du Wort, quoiqu'une certaine continuité est indéniable avec le passé. L'argumentation est simpliste et se défait elle-même dans une vision restreinte, qui croule sous les sophismes. C'est mauvais, car se pose la question de savoir, source de rumeurs, ce qui se cache derrière ces affirmations hardies, sinon fausses. Voici ces arguments:

Le stand alone n'est pas possible, car les résultats de 2012 sont mauvais. 615.286 tonnes de fret, c'est moins que l'année record de 2008 de 788.286 tonnes.  Malheureusement cet argument est une démonstration contre le partenariat et pour le stand alone. La mauvaise année 2012 était celle d'un partenariat avec  Qatar Airways, une démonstration que la pire année était celle où CV n'était pas stand alone. On s'empresse d'ignorer aussi l'année 2013. CV, y est stand alone de nouveau, après le départ de Qatar Airways. Après l'année exécrable de 2012, 2013 sera une année profitable me dit-on. Ce qui apporte une preuve que l'argument que le stand alone n'est pas soutenable est fallacieux. Le contraire serait plutôt vrai.

Le deuxième argument est que la société a perdu 253 millions d'euros depuis 2007, et qu'il faudra une augmentation de capital de 175 USD. Pardon de rappeler un détail pénible: le total d'amendes payées par Cargolux ces années passées totalise plus de 250 millions USD. N'y voyez-vous pas une relation entre ces amendes et les pertes, et les besoins en capital? CV a très bien manœuvré cette année. Sans les amendes, les chiffres seraient bien. On parle de besoins en financement ultérieurs, le cas échéant de 300-400 millions.  Il y a des investisseurs pour cela, y compris à Luxembourg, maintenant.

De ces deux arguments faux, on nous fait croire à la conclusion qu'il n'y a pas d'alternative à la Joint Venture avec le groupe chinois. Une faute de logique extrême. La conclusion serait donc juste, mais le fruit d'un raisonnement faux? Allons, encore un petit coup de pouce de sophisme: à défaut de Joint Venture, l'Etat devrait payer les pots cassés d'une stand alone en cas de  difficultés, menace-t-on. Calmons nous, l'Etat devra payer les pots cassés aussi dans le cas de la JV qui se planterait. Laquelle des deux options est plus risquée, le partenariat ou le stand alone? Avec Qatar Airways, c'était le partenariat avec Qatar Airways, pas la stand alone. Voyez l'année 2012 avec ses pauvres résultats!

Finalement suit l'argument que les consultants Clifford Chance, UBS et même Arendt & Medernach (!?) ne sont arrivés à des meilleures visions. Ajoutez même Robert Schaus. Face à ceux là, j'alignerais deux plus grands experts, Robert Van De Weg et Peter Van De Pas, puis Shearman Sterling et même Akbar al Bakr, CEO de Qatar Airways, que je cite en 2011: "...Cargolux, a sound, healthy and profitable company and a leading all-cargo carrier.....". Il parlait de la stand alone.

Le plus formidable contresens dans cette démonstration est qu'elle explose sous ses propres arguments: stand alone, non, JV avec le groupe chinois, oui! Mais dans les faits, en ce cas stand alone et JV sont pratiquement la même chose. Cargolux opérera pour au moins trois ans comme une virtuelle stand alone, qui aurait profité d'un investissement chinois. La différence restant les multiples obligations que ce, somme toute, petit investissement chinois impose à CV. Ces obligations produiront des pertes et des manques à gagner que l'on a acquiescé d'avance. On essayera d'y pallier avec un fonds de secours. Quel pessimisme! L'aspect inquiétant est que des élus, qui n'ont même jamais tenu boutique, qui se font conseiller sélectivement, prennent ces décisions au nom du contribuable, et engagent l'avenir d'une société milliardaire et de ses presque 1.500 employés.

Une omission qui aurait fait la différence

Pourquoi tant de mystère autour des questions simples du prix, du veto et des conditions généralement très favorables au seul côté chinois? Peut-être devrions nous en tant que contribuables exiger qu' un débat en pareille circonstance se fasse devant la Chambre des Députés. Je me réfère à l'article 99 de la Constitution qui dit que ... tout engagement financier important de l’Etat doivent être autorisés par une loi spéciale." Même si cet article se réfère aux opérations immobilières, seules concevables il y a un siècle et demi, quand personne ne pensait à acquérir ou vendre des valeurs autres, comme des actions d'une compagnie d'aviation, il indique néanmoins qu'il aurait été sage de chercher le débat à la Chambre et de se garantir par une loi spéciale. La loi du 8 juin 1999 sur le budget, la comptabilité et la trésorerie de l'Etat, dans son article 80, vient confirmer le bien-fondé d'une telle approche prudente: "Doivent être autorisées par la loi: sub. d) - tout autre engagement financier, y compris les garanties de l'Etat, dont le montant dépasse la somme de 7.500.000 (sept millions cinq cent mille) euros". Ce fut fait pour l'octroi d'une garantie de 3.000.000.000 de FLux (75.000.000 millions d'euros), pour la SES avant le lancement du premier satellite Astra (1A) en 1988. Pour le cas où il y aurait une partie secrète au contrat avec une entité chinoise officielle (elles le sont toutes dans une économie planifiée), la constitution dirait: " Les traités secrets sont abolis". Dites nous tout. Avouez qu'une telle loi spéciale aurait éclairé tout, révisé tout,  et par le vote, aurait mis fin aux discussions. C'est une note au dossier "Révision de la Constitution."


Pour le reste, il n'y aura pas de nouveau divorce genre Qatar Airways bis. Techniquement, le gouvernement chinois pourrait encore refuser son aval au projet. Mais leur contrat est trop bon pour y renoncer. Le gouvernement luxembourgeois a perdu sa liberté d'action en signant avec une Province, sous-fifre de Pékin. Il reste à vider le calice et à préparer les premiers vols déficitaires vers Zhengzhou. Une idée de PR interne: emmenez sur chaque vol une douzaine d'employés de Cargolux pour visiter Zhengzhou. Cela arrondirait les angles, car heureux qui comme Ulysse .... Et ceux qui ne se taisent pas, ne feront pas partie du voyage, si je comprends bien la nouvelle ligne.

(1) http://www.wort.lu/de/view/cargolux-der-mythos-vom-stand-alone-52ecceb7e4b0227bec51c975