Tuesday, June 25, 2013

Le Luxembourg devant un scénario de Constitution-Fiction.


    Un avenir plein de promesses. Photo ET

Le Luxembourg devant un scénario de Constitution-Fiction.

Le Luxembourg est en ébullition depuis des mois, en alignant des scandales bien fermentés. Le gouvernement en est arrivé à mijoter un scénario pour enfin se décaper de toutes ces vilénies : la démission du gouvernement, ce qui dit-on pourrait se passer au début du mois de juillet. 

A l’origine, une série de scandales

La genèse de cette issue assez historique pour le Luxembourg aura été une série de scandales plus ou moins bien esquivés par ceux par qui le scandale arrive, pour arriver finalement au point de l’indigestion. Il y a d’abord eu l’affaire du Stade National de Livange et de ses cordées d’ »insiders » qui a fini sous le tapis d’un vote parlementaire opposant la création d’une Commission d’enquête. Il y a eu ensuite l’affaire Cargolux et ses cordées d’ »insiders » qui a également fini sous le tapis d’un vote parlementaire refusant une Commission d’enquête. Puis il y a eu l’affaire du SREL, curieusement déclenchée par le Premier Ministre lui-même, monologuant sur un enregistrement clandestin de sa conversation avec son chef du service de renseignement, il y a de ça des années. Le plan derrière ces confidences tardives était sans doute de divertir des autres scandales. Il a donc mis le feu à la cuisine pour divertir du feu dans le garage. En anglais : « wag the dog ».

L’overdose du SREL

Même l’arrogance la plus extrême ne permettait plus au Parlement de voter pour la troisième fois consécutive contre une Commission d’enquête parlementaire. Pour l’affaire du SREL, jugée bénigne, on a donc préféré dire oui à une Commission d’enquête. Dire non aurait fait un peu trop pourri. Et puis comme on ne pensait pas qu’on risquerait gros, ce que pense tout apprenti sorcier avant de déclencher un cauchemar, on a appelé les esprits. Mais voilà, de fil en aiguille des squelettes remontent du fond du marécage secret de nos vaillants agents secrets et de leur chef. L’affaire SREL et cette autre affaire qui date d’il y a un quart de siècle, le procès Bommeleeër finissent par s’alimenter mutuellement par leurs rebondissements.  C’est la tempête parfaite. Que faire pour stopper tout cela, alors qu’on ne peut quand-même plus mettre un autre feu au salon ? Cela ferait désordre et serait suspect ! Les digressions de Michel Wolter au sujet de la liberté de la presse, ne font pas l’affaire non plus. Non, il faut que le gouvernement démissionne, dit-on ! Cette idée de manœuvre est partagée par une bonne partie de l’opinion publique, qui s’est manifestée même par une démo en pleine Fête Nat.

Démission en question

Mais cette idée de démission doit être tissée un peu plus loin, car elle a un hic pour l’intérêt public. Les grands penseurs ont bien évidemment pensé deux mouvements plus loin en aval : si le gouvernement démissionne, le Parlement sera dissout ( ?). Si le Parlement est dissout, il n’y aura plus de Commission parlementaire d’enquête. Voilà comment oblitérer une Commission parlementaire que l’on n’avait pas pu voter sous le tapis : la démission pure et simple du gouvernement lave plus blanc que le feu au garage et à la cuisine, ou bien que les votes majoritaires contre les enquêtes. Et puis, à l’issue d’élections anticipées, on prendra quand-même les mêmes et on recommencera.

« Déi Lenk » ont déjà exprimé leurs réserves dans une lettre publique : si démission il y a, il faudra veiller à finir au préalable cette enquête sur le SREL. Mais justement, avorter cette enquête est le plus puissant sinon le seul motif pour considérer une démission : l’impunité espérée étant à la clé. On ignorerait facilement une manif qui demande la même chose, mais quelle aubaine si elle exprime le consensus dans le public en faveur des « Neiwahlen » au diapason avec la décision politique, sans autre condition !

A vrai dire, en ce moment aucune autre solution n’est politiquement acceptable que celle qui mène l’enquête sur le SREL à bonne fin et qui en tire les conclusions finales et les conséquences politiques. Mais nous sommes en plein brouillard constitutionnel.

Les limites de la Constitution

Ah, cela aiderait, si nous avions une Constitution qui fonctionne. Elle a 145 ans, mais son âge n’est pas le problème. Les constitutions américaine et suisse ont plus de deux et sept siècles respectivement mais sont jeunes et vigoureuses parce qu’elles annoncent des grands principes et s’appuient sur les droits de l’homme. La nôtre fournit à peine le cadre de notre vie commune. En ses 145 ans, elle a subi 37 amendements. J’ai eu l’occasion de commenter sur le massacre de la Sainte Justine du 12 mars 2009, quand le Parlement a coupé les ailes au Grand-Duc qui dorénavant ne « promulguera » plus les lois. Il signera. C’est un coup d’état qui n’est rien d’autre qu’un jeu de mots. Et telle est l’interprétation des textes tout au long des 120 articles : des jeux de mots pour initiés seulement. Aucun texte au monde n’a tant d’écart entre la lettre et l’esprit qui lui est interprété. J’en conclue que nous sommes en coup d’état permanent, au gré de la lecture variable de la Constitution. Un document vivant !
C’est pour cette raison qu’à l’ONU la lecture littérale classe le Luxembourg dans une catégorie de démocratie amoindrie. Leur conclusion que le Luxembourg n’est qu’une démocratie de seconde zone est peut-être vraie, mais basée sur le texte intégral de la Constitution. Elle l’est aussi pour nous, alors que nous savons que ces textes sont malléables dans l’interprétation « pragmatique » qui leur est donnée. Ses articles sont remplis de qualificatifs, de restrictions et d’échappatoires, de sorte qu’ils disent ce que le lecteur veut leur faire dire. Sinon on la changera selon les besoins du moment.

Basé sur ces textes, quels scénarios ou plutôt fictions existent pour la démission d’un gouvernement ? C’est le Premier Ministre qui tend la démission du gouvernement au Grand-Duc. Construisons l’arbre des actions possibles. Le Grand-Duc accepte ou n’accepte pas la démission. S’il n’accepte pas, il se crée un tollé, un nouveau massacre de la Sainte Justine. S’il accepte, va-t-il aussi dissoudre le Parlement ? En effet rien ne l’obligerait à associer démission du gouvernement et dissolution de la Chambre. Etant donné l’intérêt public de finaliser l’enquête parlementaire en cours, il pourrait surseoir à la dissolution de la Chambre et d’abord charger un informateur pour s’entourer des informations nécessaires à sa décision, et laisser la Commission finir ses travaux. Si, si, dans ce feuilleton fiction, il pourrait lire la constitution comme bon lui semble lui-aussi. Il pourrait aussi nommer un nouveau formateur.  Seulement en cas d’échec de ces tentatives sera-t-il forcé à dissoudre la Chambre des députés en vue d’élections nouvelles. Quoique la lecture de l’ONU permette ces multiples possibilités, c’est une fiction. La lecture luxembourgeoise est toute autre : Monsieur Juncker fera à sa guise. Voilà le problème et aussi la perspective d’une nécessaire action future.

Vers une Constituante

En effet notre constitution est devenue absurde à ce point. Elle n’est plus une référence pour l’action gouvernementale ni pour les droits du citoyen. La pensée politique ne contemple plus les valeurs démocratiques ni la séparation des pouvoirs. C’est documenté par les scandales du jour. Le Parlement est banalisé à force de l’ignorer et de l’affaiblir. A vrai dire aucune pièce de législation n’émane du Parlement, mais du gouvernement assisté de quelques lobbyistes ou d’une Directive de la Commission Européenne. L’élu est ainsi ravalé au statut de célébrité locale chargée d’engranger des voix aux élections.

Pour secouer tout cela, une fois le mystère SREL élucidé, les responsables sanctionnés, le gouvernement démissionné, la Parlement dissout et les élections anticipées annoncées, ne faudrait-il pas que ces élections produisent une Constituante ? Cela fait des années qu’une révision de la constitution se trame à l’abri des regards. Elle mérite au contraire un large débat public et un referendum à au moins deux tours. Une nouvelle Constitution est trop délicate pour la confier aux pouvoirs établis. Quel changement de culture politique ce serait, surtout si on limitait les mandats politiques tant qu’on y est. C’est la longévité des carrières politiques qui doit être l’explication de l’actuelle implosion de nos institutions. 



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