Tuesday, November 3, 2009

Luxembourg: Vers la Révision de la Constitution

"Wir wollen sein ein einig Volk von Brüdern" -
Friedrich Schiller, "Wilhelm Tell, 1804"


Cette citation de Schiller se traduit à peu près par: "Nous voulons être un peuple uni et fraternel."

Dans la pièce de Schiller, Wilhelm Tell, c'est le premier verset du fameux serment du Rütli qui aurait scellé la naissance de la Confédération Helvétique le 1er août 1291. Il s'agit en fait de la première "Constituante" en Europe où le peuple Suisse s'émancipe et se défait de la tutelle féodale.

Quand le Théâtre de Luxembourg a mis en scène "Wilhelm Tell", à l'approche de la guerre, ce passage a été accueilli par 45 minutes d'applaudissements, une expression des aspirations profondes du peuple luxembourgeois. Guillaume Tell aurait été fier. Il a été banni par les Nazis.

Deux constitutions phares qui émanent de peuples souverains

Il m'a semblé opportun de faire ce détour par le serment du Rütli en 1291, où des hommes libres décidaient les règles de leur future vie commune comme peuple libre et fraternel. Cela peut s'appeler une Constitution. Il faudra attendre cinq siècles, 1787, pour voir une réédition du Rütli, cette fois-ci à Philadelphie aux Etats-Unis. Des hommes libres ont cherché à instaurer la forme de gouvernement la plus parfaite possible, sachant que la perfection dans les entreprises humaines n'existe pas. Le débat sur la constitution dans la jeune république américaine a duré de 1776 à 1787, soit 11 ans. Durant cette époque, "The Federalist" publié par Alexander Hamilton, James Madison et John Jay est devenu la tribune du débat public. Les 85 dissertations qui composent le "Federalist" sont un monument de l'histoire américaine et de la philosophie politique.

Les constitutions nées du Rütli et de Philadelphie exaltent les espoirs de ces gens et de leur temps et inspirent par leur idéalisme et leur confiance en l'avenir. Elles sont en cela à l'opposé de beaucoup de constitutions dites modernes de notre vieille Europe dans lesquelles on décèle encore aujourd'hui les traces de luttes, de concessions sans doute faites avec rancœur, de compromis entre ceux qui devaient céder et ceux qui exigeaient.

Dans le cas des constitutions arrachées aux maisons royales européennes au 19e siècle on trouve aussi la trace de ceux qui exigeaient : les bourgeois de l’époque. Il manque certainement cet élan d’idéalisme et de jubilation de tout un peuple d’hommes égaux, unis et fraternels qui ont fait le Rütli ou Philadelphie.

La plus moderne, la constitution européenne, par pudeur rebaptisée traité de Lisbonne, garde encore quelques appendices des temps révolus. Non seulement a-t-elle vingt fois plus de pages que la constitution américaine, elle fait penser à un contrat de mariage compliqué entre un milliardaire et une starlette hollywoodienne. Il est vrai qu'il vaut mieux obtenir un doctorat en droit d’abord, avant de se lancer dans sa lecture. Il est vrai aussi que son principal incubateur était un normalien, qui ne savait sans doute pas parler aux gens normaux. Pourtant ce sont les gens normaux qui ont dû s’exprimer par référendum sur ce texte fondamental. C’était tellement laborieux qu’il a fallu voter et revoter jusqu’à ce que l’Irlande dise finalement oui, un embarras pour toute la classe politique européenne, incapable de lire leurs propres opinions publiques.

C’est que les gens normaux ont cette science innée de ce qui importe dans l’organisation de leurs vies, surtout s’il faut l’exprimer par un vote solennel installant une constitution. Cette constitution devrait être cette fondation en béton armé qui garantit nos droits naturels. Ceux-là se conçoivent clairement, donc ils peuvent être exprimés clairement et simplement.

Lisons notre Constitution en lui attribuant son QRS


J’ai été exposé aux mœurs démocratiques des enfants du Rütli et je vis depuis vingt ans au régime du « We the People» aux Etats-Unis. J’ai donc voulu évaluer l‘étendue du chantier que représente la révision de la Constitution luxembourgeoise, en entreprenant la lecture de notre constitution avec des nouvelles lunettes helvético-américaines.

Avouez, vous ne l’avez pas regardée depuis longtemps, cette constitution. Ce n’est pas mon livre de chevet non plus. Vous pensiez aussi que c’est la spécialité d’une poignée de doyens du droit. Mais cet aspect là est déjà traité plus haut : la constitution est notre affaire à tous, et en tant que citoyens, c'est nous qui savons le mieux ce qu’elle devrait nous dire. Donc nous voilà en charge de la révision d’un texte ultra rébarbatif pensez vous ? En effet oui, nous sommes tous en charge, mais à ma surprise, ce n’est pas ennuyant du tout. C’est preuve que nous sommes une génération traumatisée par des profs d’éducation civique barbants. La lecture de la Constitution est amusante. On y trouve des choses surprenantes, édifiantes, des fois enrageantes mais surtout amusantes. Dire que ces doyens du droit constitutionnel gardaient tout le plaisir pour eux ! Cachottiers, va !

Faisons le tour du propriétaire de cette constitution, notre propriété redécouverte. Imaginons que nous sommes Guillaume Tell sur son alpage ou Benjamin Franklin au fin fond de la Pennsylvanie, et prenons leur perspective. Qu'est-ce qui nous surprend?

Notre loi fondamentale comporte environ 121 articles et sa version originale date de 1868, octroyée pour sûr, mais rappelons nous, elle nous appartient et nous sommes les meilleurs experts pour la réviser et nous avons un sens inné de ce qu’elle doit contenir.

  1. Le nombre de révisions : 37
En 141 ans, la Constitution a été modifiée 37 fois. Pendant la première période de 115 ans elle n’a été changée que dix fois. Par contre, les dernières 21 années ont connu 27 modifications dont un record de 18 modifications ces 10 dernières années. A ce rythme accéléré des changements, peut-on encore parler de loi fondamentale ? Elle devrait être coulée en béton armé, mais la nôtre donne l’impression plutôt d’être une girouette assise sur des sables mouvants.

  1. Le nombre de qualificatifs restrictifs, Q = 46 articles
Sur les 121 articles, au moins 46 commencent par énoncer un principe fondamental, mais qui se trouve immédiatement tronqué par un qualificatif (marquons les d’un Q) dont voici un échantillon :
  • La loi déterminera…
  • Sauf les restrictions à établir par la loi…
  • Les règles établies par la loi…
  • Sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’exercice de ces libertés..
Surprenant comme notre loi fondamentale, qui devrait être coulée en béton armé, peut ainsi être atténuée par une simple loi, donc par un simple vote majoritaire. De telles règles changeantes ne tiendraient pas le coup dans n’importe quelle cour de récréation où l’on joue à « attrape-moi ». Cet équilibre instable est probablement un appendice féodal qui se trouve perpétué dans le langage de la constitution au fil des révisions. C’est une vieille constitution de compromis, qui à dessein se retrouve flexible et malléable pour qu’elle reste propriété de ceux qui l’ont écrite avec l’intention de l’user et de l’abuser. Ils gardent ainsi toutes les portes ouvertes pour aller repêcher les concessions qui leur auront été arrachées, pour jongler avec les articles et pour garantir la pérennité de leur pouvoir. C’était sans doute l’intention du Roi-Grand-Duc au départ, et aussi des politiciens de nos jours, ceux-là même que nous avons voté en place pour nous servir.

Notre constitution actuelle est une girouette, une parodie du Rütli et du « We the people ». Elle est ravalée à l’équivalent d’un code de la route qui introduirait des panneaux de signalisation à roulettes, que l’on pousse par où ils gênent le moins.

  1. Le nombre de bizarreries et de corps étrangers, R + S = 27 articles
N’oublions pas que nous sommes tous experts, et en tant qu’expert, je réviserais pas moins de 27 articles (marquons les d’un R), en fait le plus souvent je les supprimerais (marquons ceux-là d’un S). Donc, selon mon tour du propriétaire, il faudrait revoir Q+R+S = 46 articles + 27 articles = 73 articles en tout sur 121 soit environ 60%. Ou si vous voulez coter cette constitution sur 60 comme à l'école, cela ferait un 24/60. Une "Datz". Vous arriverez sans doute à des chiffres semblables. Vaut-il mieux reconstruire ou réparer?

Voici deux exemples savoureux de ce dont je parle, pour vous donner le goût de la lecture:

Art.21.
Le mariage civil devra toujours précéder la bénédiction nuptiale.
Hilarant. Je suis sûr que le corollaire devrait être un ajouté pour ne laisser planer aucun doute: La bénédiction nuptiale devra toujours suivre le mariage civil. Cela éclairerait l'esprit de cet article.

Et pour ajuster la constitution à la situation de fait de l’an 2009, et aux exigences des forces à l’origine de l’article 21, il serait utile de clarifier cette clef de voûte de notre société en précisant : La consommation du mariage peut précéder le mariage civil mais en aucun cas ne peut précéder la bénédiction nuptiale.

Je ne sais pas comment agencer tout cela! Mon verdict : c’est un Q et surtout un S. Comment peut-on faire des dizaines d’ajustements à la constitution, et laisser l’article 21 traîner tel quel par là?

Art. 28.
Le secret des lettres est inviolable. – La loi détermine quels sont les agents responsables de la violation du secret des lettres confiées à la poste.
La loi règlera la garantie a donner au secret des télégrammes.

"Télégrammes ? Poste ? La loi détermine? Inviolable, oui ou non!?" C'est un Q! Les seuls télégrammes que vous enverrez sont des télégrammes de félicitations, bien publics, enveloppe ouverte, pour les gens de l’article 21 ci-dessus. Ces télégrammes doivent arriver avant la consommation du mariage, mais après le bénédiction nuptiale. Mais peut-être enverrez-vous un courriel ou un SMS ou un cadeau par FedEx ou DHL. Assez, déjà! Il faut revoir, mais innover. Sinon, la solution luxembourgeoise, je parie serait que "la loi règlera les modalités du secret des télégrammes qui seront applicables aux nouvelles technologies".

L’article 28 ne s’applique pas aux services étrangers spécialisés dans l’interception des communications électroniques, services dont la mission est la collecte du renseignement, de sa duplication, de son archivage et de son exploitation. Sachez que ces agences de renseignement auront lu mon article que voici, transmis par courriel, bien avant vous. Le télégramme de félicitations est franchement plus confidentiel. Mon verdict : l'article 28 est un Q et surtout un R.

En commençant ce nouveau chantier de la révision de notre constitution avec l’enthousiasme du Rütli et de Philadelphie, c’est l’occasion d’atteindre finalement le gouvernement du peuple, pour le peuple, par le peuple. Et que les fondations soient en béton et simples. Un peu comme celui qui a fait graver ses 10 commandements dans la pierre. Verriez-vous Moïse gravir la montagne des centaines de fois en cinq mille ans pour changer ses tablettes ? Il y a belle lurette qu'il aurait abandonné et qu’on adorerait le veau d’or. En fait, cela, on le fait déjà ….

Le système luxembourgeois

Il a ses racines en cette année 1868. Imaginons la scène suivante pour insérer un peu d’altitude dans nos perspectives: nous sommes en 1868 et le Roi-Grand Duc est en route de La Haye à Luxembourg sur un vol KLM. Il partage la première classe avec le Kaiser, la Queen, le Roi des Belges. Le Français, Empereur nouveau-riche d'extraction républicaine, n'est pas content. Il n'a pas eu un « upgrade » et chantonne des chants révolutionnaires dans la première rangée économie. Tout ce monde de cousins, isolé en première, tourmente le Roi Grand-Duc et ironise sur la mollesse de "sa" nouvelle constitution, qu'il s'apprête à céder, à octroyer se défend-il, aux bourgeois qui attendent là bas. C'est a dire, environ 20% des hommes qui avaient le droit de vote au cens. Les femmes ne votaient pas du tout. Elles devront attendre le suffrage universel jusqu'en 1919!

En bas il y a l’énorme forteresse de Luxembourg, des chèvres broutent sur le plateau du Kirchberg. 80,000 Luxembourgeois, dont la plupart n’avait pas le droit de vote, ont quand même voté, mais avec leurs pieds et sont partis pour l’Amérique ou le Brésil. C’est de ces temps là que tient notre constitution.
Vous avez raison, l'avion KLM n'existait pas en 1868. Il n’y avait pas non plus le téléphone, l’automobile, la radio, la télévision, l'homme sur la lune sans parler de l’internet. Il y aura par la suite la guerre de 1870, le démantèlement de la forteresse, et puis deux guerres mondiales. Depuis, il y a eu l’essor et le déclin d’une sidérurgie puissante, le passage d’une agriculture quasiment de subsistance vers une agriculture rationalisée par nécessité. L’économie a graduellement basculé vers une économie de services et le pays a adhéré à des organisations internationales telles que UEO, ONU, OTAN, OECD et surtout l’Union Européenne.

Pourtant, nous cuisinons toujours dans les mêmes vieilles casseroles constitutionnelles. Certes on en a remplacé quelques unes. D'autres vieilles casseroles, on les laisse pendouiller là et tout le monde a convenu qu'on ne les utilise plus. Si on y touche , cela fait trop de glin-glin. C'est donc un sujet tabou.

Le fait le plus marquant est que le rapport des forces a graduellement glissé du Grand-Duc vers le Gouvernement, donc le Premier Ministre. Quelle ironie de l'histoire, que les ministres, terme d'origine latine qui se traduit par "serviteur" et qui jurent fidélité au Grand-Duc sont de nos jours les ténors sur le vol KLM. Malgré 37 révisions, les textes sur les prérogatives du Grand-Duc n’ont pas vraiment été adaptées aux réalités de sorte que les braves fonctionnaires du PNUD aux Nations Unions arrivent à la conclusion que la démocratie luxembourgeoise laisse à désirer, car le chef de l’Etat disposerait de pouvoirs exorbitants. Nous savons qu’il n’en est rien, que l’interprétation luxembourgeoise des articles ad hoc de la constitution n’a rien à voir ni avec la lettre de ces articles, ni avec l’interprétation textuelle et erronée des Nations Unies. Ils ne savent pas qu’au Luxembourg, l'interprétation de l'esprit et de la lettre des articles de la constitution est un sport extrême: le grand écart.

Et puis qui sont-ils ces nationsunisards mauvaises langues? Est-ce que nous disons qu'ils ne sont qu'une association mondiale de thérapie de groupe, où surtout les chefs excentriques du monde viennent s’exhiber chaque année et captivent l’attention du monde pour 15 minutes, certains pour 90 minutes?

Le massacre de la Sainte Justine (12 mars 2009)

Par contre sur le terrain, là où en 1868 les chèvres broutaient et Gottlieb Hurra se soumettait sur les parvis du glacis à des drills infernaux d'artilleur, nous avons vu que le rapport des forces a glissé au fil des temps, imperceptiblement, du Grand-Duc au Premier Ministre. Imperceptiblement jusqu’au jour du massacre de la Sainte Justine, le 12 mars 2009, quand le glissement s'est accéléré en coup d'Etat à la luxembourgeoise, ouvert et perceptible par tous, quand la révision de l’article 34 de la constitution (encore une) enlevait au Grand-Duc le pouvoir de sanctionner les lois. Tout le monde avait l'air très, très content. On vous expliquera que la démocratie a été renforcée.

Comment décrire le massacre de la sainte Justine? Le Grand-Duc parait-il avait fait savoir au Premier Ministre qu'il ne signerait pas une loi sur l'euthanasie. Or cette signature, selon l'article 34 avait un double but vous disait-on: sanctionner, c'est a dire approuver, et promulguer, c'est a dire décréter la loi. L'affaire a mijoté à feu doux pendant des mois, jusqu'au vote, et personne d'autre n'était au courant des réserves du Chef de l'Etat. On connait la suite. Désormais le Grand-Duc promulgue mais ne sanctionne plus.

Je suis trop loin du lieu du massacre pour comprendre en quoi la nouvelle formule de l'article 34, que l'on présente comme quoi le Grand-Duc ne "sanctionne" plus, mais simplement "promulgue" donnerait tous les apaisements au Grand-Duc? Comment un jeu de mots, qui doit être expliqué, professeur belge à l'appui, atténuerait-il la caution morale que le Grand-Duc donne aux documents qu'il signe? Puis-je proposer d'autres jeux de mots qui vont avec "sanctionne, signe, promulgue": approuve, publie, décrète, acquiesce, publie, avise, agrée, ratifie, consent?

En quoi serait-ce un coup d'Etat? La victime, il se trouve, est la constitution, parce que c'est encore elle qui a été affaiblie, du fait qu'un contrôle vital a été supprimé: le possible véto par l'exécutif d'un acte législatif a été remplacé par rien. La démocratie ne s'en trouve pas renforcée, mais affaiblie. Il n'y a plus d'instance qui pourrait opposer l'ultime véto à la promulgation d'une nouvelle loi quand certaines circonstances, extrêmement rares certes, comme le bien public ou une violation de la constitution l'exigeraient. Ce n'était certainement pas le cas pour la loi sur l'euthanasie, comme il s'agissait d'une objection de conscience personnelle du Grand-Duc. Donc la constitution manquait tout simplement d'un mécanisme pour passer outre une objection personnelle du Grand-Duc qui avait des connotations politiques, mais qui lui laissait son droit personnel de penser librement. Comme par exemple par un vote super majoritaire ou par tout autre mécanisme délayant ou bicaméral.

Dans le massacre de la Sainte Justine, l'Exécutif a donc été inutilement amputé d'une fonction critique, celle de pouvoir opposer un véto au pouvoir législatif. En quoi cela renforcerait la démocratie, si une fonction de contrôle disparait? Serait-il un renforcement de la démocratie que de supprimer le droit de la Chambre des Députés de sanctionner le Gouvernement? On pourrait prétendre que c'est une bonne chose que de renforcer le Gouvernement.

Mais, il est vrai que le Gouvernement n'a pas besoin d'être renforcé. En fait, le pouvoir du Premier Ministre a été indirectement accru, encore une fois, par l'épisode de l'article 34. Si l'on conclue qu'il faudrait rétablir le pouvoir de sanctionner les lois, ce pouvoir, parce que politique, irait peut-être encore au Premier Ministre qu'on appelle aussi des fois « Président du Gouvernement ». Nous sommes en effet désormais dans une « Monarchie Présidentielle » ce qui en soi est une contradiction et une incompatibilité des termes, mais une réalité bien luxembourgeoise.

En effet le Premier Ministre (ou Président du Gouvernement):
  • · préside le Gouvernement,
  • · le Gouvernement a drainé les pouvoirs du Chef de l’Etat,
  • · le Gouvernement domine aussi le Parlement,
  • · le Gouvernement nomme les Conseillers d’Etat
Montesquieu quelqu'un ? N’est-ce pas ce vieux paresseux qui a écrit sur la séparation des pouvoirs? C’est difficilement applicable paraît-il chez nous comme chez lui du reste. Quoique nos amis américains le font. Ils appellent cela « Checks and Balances ». Non, cela ne veut pas dire « chèques et extraits de compte ».

Checks and Balances désigne quelque chose que notre "Monarchie Présidentielle" ne garantit plus bien : les vérifications, contrôles et équilibrages réciproques entre pouvoirs, nécessaires au bon fonctionnement d’une démocratie parlementaire et de l'administration. Les dysfonctionnements politiques "percolent" ainsi dans les Administrations.
La démocratie luxembourgeoise est caractérisée par la prépondérance d’un parti, le CSV, qui domine la scène politique depuis des dizaines d’années. Porté par les réflexes d'une population conservatrice et par des succès économiques dont il est pratiquement le seul a récolter les mérites, à tort ou à raison, ce parti attire des partisans de tous bords. Ensuite, comme ce parti ne peut pas gouverner seul, le nécessaire jeu de coalitions a créé une situation de vassalisation des autres partis, anxieux d'être de la partie coalisée. De sorte que l'on observe des tendances d'aplanissement du spectre des sensibilités politiques de la gauche vers la droite. Ce nivellement du débat politique est bien sûr aussi le fruit d'un bien-être sans précédent dans le pays. En conséquence, la classe politique luxembourgeoise exhibe souvent un alignement qu'on trouverait parmi les membres d'un parti unique, avec des ailes gauches et droites moins que plus prononcées et dissonantes. Une démonstration en était donnée lors du vote sur l'article 34 de la constitution. 

Pratiquement tout le monde a participé au massacre, à l'unisson. Par contre lors du vote sur l'euthanasie, le CSV s'est aperçu qu'a force de recruter dans un spectre large du réservoir national, il s'est constitué une aile gauche prononcée qui a soutenu un vote contre la ligne officielle du parti.
Après tout cela, je demanderai bien au professeur belge: "Dis fieu, et si une fois le Grand-Duc refuse de "promulguer"?" Je ne sais pas si vous êtes comme moi: signer un document me semble-t-il, engage ma responsabilité. A mon humble avis, l'article 34 devrait prévoir un mécanisme pour outrepasser un tel refus de signer, sans crier à la crise institutionnelle. Laisser mijoter, c'est la programmer, à moins qu'un autre massacre soit la fin qui justifie la mijoterie..

Conclusions

La révision de la constitution est en effet un vaste chantier. Actuellement, les travaux sont cantonnés dans les laboratoires obscures d'une Commission sans doute. Il convient que nous soyons tous vigilants et que le débat soit public et aussi large que possible. C'est notre affaire à tous. Il est nécessaire que les idées soient largement publiées, ce qui est aussi une responsabilité historique du quatrième pouvoir. Quant à mes lunettes helvético-américaines, voici ce qu'elles aimeraient voir:

Restaurer un pouvoir de véto soit au chef de l'Etat, soit au Gouvernement. Quelqu'un dans l'Exécutif doit jouer le rôle de gardien de la Constitution et de garde-fou. Ce pouvoir de véto doit pouvoir être outrepassé par un vote d'une super majorité ou par un autre mécanisme.

Introduire l'élection au suffrage universel des membres du Conseil d'Etat pour le rendre plus indépendant du Gouvernement et de la Chambre, avec une composition politique potentiellement différente de la Chambre, et le doter de ses propres moyens d'investigation, de recherche et d'expertise.
Consolider la Cour Constitutionnelle en véritable Cour Suprême de Justice, gardienne et interprète de la Constitution.

Introduire dans la Constitution une section spéciale sur les principes et les limites de notre intégration dans de organisations internationales et le transfert de souveraineté.

Mener les débats sur la révision de la constitution publiquement et impliquer le public souverain. Nous savons le mieux quand on nous marche sur les pieds. Une petite étude du QRS fait sauter aux yeux le texte des articles à adapter aux réalités vécues. Il faudrait surtout éliminer ce recours abusif aux formulations qui introduisent un principe pour le dégonfler immédiatement avec une clé permettant des manipulations ultérieures beaucoup trop facilement par simple adoption d'une loi.

Et plutôt que de s'inspirer du professeur belge comme source de droit, nous pouvons penser que "We the people" avons tout ce qu'il faut pour établir "ein einig Volk von Brüdern". J'ajouterais "und Schwestern."

Et comme une constitution, une vraie selon moi, se construit par le peuple souverain, elle ne peut venir d'en haut. Voilà pourquoi, comme si souvent, vous les jeunes vous êtes sollicités pour contribuer à définir votre avenir. Ou bien nous les vieux, on le définira pour vous! Le Statec vous le dira: on est de plus en plus nombreux. Vous-mêmes élisez toujours les mêmes. Pas étonnant que vos chefs, pardon serviteurs, finissent par être des vieux aussi.

Impliquez-vous, faites votre QRS, rejoignez le vaste chantier de la nouvelle Constitution. Si vous ne faites rien, ne comptez pas sur une euthanasie obligatoire pour corriger votre inaction plus tard. Vous aurez à demander à Moïse qu'il change le "Tu ne tueras point" dans ses tablettes. Mais lui, il est un des nôtres. Pas sûr si le droit canon (non pas le canon de Gottlieb Hurra) a prévu une procédure d'amendement. Et de toute façon, la réponse serait non. C'est maintenant qu'il faut agir.

Egide Thein


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