Wednesday, October 21, 2015

Luxleaks, un nouveau caillou dans les souliers européens


Amendes Luxleaks: Coupons le paradis en deux. Photo ET






















Luxleaks, un nouveau caillou dans les souliers européens

Voilà le revenant : Luxleaks avec en vedette Starbucks et Fiat, accusés autant que les Etats partenaires ou complices, selon l’angle de vue. Une nouvelle pomme de discorde pour faire dérailler le projet européen encore un peu plus.

Maintenant on pointera du doigt les multinationales, leur terre d’accueil qui souvent est le Luxembourg, mais « tout le monde le faisait », et les consultants qui imaginaient les géniales constructions.


Verra-t-on des amendes en des proportions américaines, en dizaines et centaines de millions, voire milliards ? On parle pour le moment de 20 à 30 millions. Ouf ! Cela valait quand-même l’investissement, et on recommencera. Le Luxembourg défendra ses décisions « tout à fait légales » devant la justice européenne.

Monday, October 12, 2015

Un « jugement » dans une affaire bien luxembourgeoise II


Etat bouffon? Photo ET


Un « jugement » dans une affaire bien luxembourgeoise II

Luxembourg, Etat de droit ou Etat bouffon ?

Voici un petit rappel et la reproduction de mon blog du 13 octobre 2014 : en octobre 2005 j’avais porté plainte pénale contre F. May et C. Bollendorff pour abus de biens sociaux. Un curateur a fait de même. Vous comptez bien, cela fait 10 ans. En mars 2014, donc il y a 18 mois il y a eu le jugement ci-dessous. A ce jour, ce jugement n’a pas été exécuté ! Donc, voici mon blog d’il y a un an, dans lequel j’avais posé une question. Vous verrez que la réponse à cette question aujourd’hui est OUI :


Un « jugement » dans une affaire bien luxembourgeoise

Ce lundi 13 octobre 2014 verra sans doute (ou peut-être pas) une séance finale en appel d’une affaire pénale dont les faits remontent aux années 2002-2004. Peut-être pas, parce que les inculpés F.May et C. Bollendorff ont au cours des années utilisé toutes les manœuvres dilatoires qu’il est possible d’imaginer : appels, certificats médicaux, substitution d’avocats pour provoquer des conflits de calendrier. Ainsi est faite la justice luxembourgeoise, et nous écrivons 2014.

Je reprends ci-après un extrait du jugement, contre lequel F. May a fait appel. Son co-inculpé n’a pas fait appel. D’abord faut-il savoir que les faits reprochés aux deux portaient un « tarif » de cinq ans de prison ferme. Les peines ont été diminuées parce qu’entre autres, la procédure qu’ils ont retardée à chaque occasion a pris trop de temps !! F. May sera donc devant les juges en appel.

Quant à  C. Bollendorff, le jugement contre lui datant du mois de mars 2014 est exécutable. Mais voilà ! L’huissier de justice chargé de la saisie a retourné la demande au curateur avec le motif que le libellé du jugement, « ordonne la réintégration à la masse de la faillite de la société …. » des montants détournés (±€900.000 au total) n’était pas clair, et que dès lors la saisie ne pourra être exécutée. Faudra-t-il plus d’un an pour vérifier ce que le juge a bien voulu dire ?

Voici l’essentiel de ce jugement.

A suivre

PAR CES MOTIFS :

le Tribunal d 'arrondissement  de et à Luxembourg,  treizième  chambre, siégeant en matière correctionnelle,  statuant  contradictoirement   a l'égard  de  Claude  BOLLENDORFF  et  de
François MAY en leurs moyens et explications, les défenseurs des prévenus, les demandeurs et défendeur au civil entendus en leurs conclusions et le représentant du Ministère Public entendu en ses réquisitions,


Au  pénal :
a c q u i t t e François MAY des infractions non établies à sa charge ;
c o n d a m n e  François MAY du chef des infractions retenues à sa charge, qui se trouvent en concours réel, a une peine d'emprisonnement de 24 (VINGT-QUATRE) mois, ainsi qu'aux frais de sa poursuite pénale, ces frais liquides à 77,92 euros,
d i t  qu'il sera sursis à l'exécution de cette peine d'emprisonnement;
v  e  r t i t          François MAY  qu'au cas, ou dans un délai de cinq ans à dater du présent jugement  il aura commis une nouvelle  infraction ayant entraîné une condamnation à une interdiction de conduire d'un véhicule sur la voie publique ou à une peine privative de liberté pour crimes ou délits prévus par la législation sur la circulation sur les voies publiques ou sur la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie, l'interdiction de conduire prononcée ci-devant sera exécutée sans confusion possible avec la nouvelle peine ct que les peines de la récidive seront encourues dans les termes de I'article 56 alinéa 2 du Code pénal;
·     a c q u i t e  Claude BOLLENDORF!' des infractions non établies à sa charge ;
c o n  d  a  m  n   e  Claude BOLLENDORFF du chef des infractions retenues à sa charge, qui se trouvent en concours réel, à une peine d’emprisonnement de 12 (DOUZE) mois, ainsi qu'aux frais de sa poursuite pénale, ces frais liquidés à 49,92 euros,
d i t  qu’il sera sursis à l'exécution de cette peine d'emprisonnement;
a v e r t i t Claude BOLLENDORFF qu'au cas, où dans un délai de cinq ans à dater du présent jugement il aura commis une nouvelle infraction ayant entrainé une condamnation a une interdiction de conduire d 'un véhicule  sur la voie publique ou à une peine privative de liberté pour crimes ou délits prévus par la législation sur la circulation sur les voies publiques ou sur la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie, l'interdiction de conduire prononcée ci-devant sera exécutée sans confusion possible avec la nouvelle peine et que les peines de la récidive seront encourues dans les termes de l'article 56 alinéa 2 du Code pénal;

o r d o n n e que le présent jugement sera affiché en la salle d'audience  du Tribunal d'arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, ou il restera exposé pendant trois mois, et qu'il sera inséré par extraits dans les quotidiens « Luxemburger Wort » et « Tageblatt », le tout dans les trois jours à partir du présent jugement, aux frais des contrevenants,

o r d o n n e la réintégration à la masse de la faillite de la société Food Factory S.a r.L de la somme de 634.878,65 euros avec les intérêts légaux à partir du 20 décembre 2004, jour  de la
faillite, jusqu'à solde ;

o r d o n n e la réintégration à la masse de la faillite de la société Toscana Sari de la somme de 165.457 euros avec les intérêts légaux à partir du 3 décembre 2004, jour de la faillite, jusqu'à  solde ;

o r d o n n e la réintégration à la masse de la faillite de la société Geromlux Sarl de la somme de 131.432,17 euros avec les intérêts légaux à partir du 29 novembre 2004, jour de la faillite, jusqu'à  solde ;

c o n d a m n e   les prévenus solidairement aux frais pour les infractions commises ensemble.





Wednesday, October 7, 2015

Jean-Claude Juncker, l’homme à la page






















Jean-Claude Juncker, l’homme à la page

Nous venons de vivre un feuilleton à propos d’une page manquante dans un rapport sur la fraude fiscale, vieux de 18 ans, que Jean-Claude Juncker, alors Premier Ministre et Ministre des Finances du Grand-Duché de Luxembourg avait commandité à Jeannot Krecké, Membre du Parlement en 1997. Krecké a présenté une version officielle et une version officieuse (à vrai dire secrète) de son rapport à Juncker. La différence ? La version officieuse a une page supplémentaire, traitant de la pratique des rescrits ou « tax rulings » du Bureau 6, dont l’unique occupant était Marius Kohl pendant des années. Ce rapport n’a été vu que par trois personnes : Krecké bien-sûr, Juncker, et Lucien Lux, camarade de parti de Krecké. Or Juncker, pour se dégager de toute responsabilité dans la pratique des tax rulings dans le pays qu’il dirigeait, a toujours prétendu  qu’il n’a jamais eu connaissance de la pratique. Dans le film « Casablanca », le Capitaine Renault disait: «I'm shocked, shocked to find that gambling is going on in here!”  Pour Juncker aussi, c’était en tous cas plus confortable de s’en laver les mains, que d’apparaitre soudain comme le grand alchimiste qui recyclait des milliards d’impôts en une poignée de dollars, dans sa forteresse luxembourgeoise.

Attention : un leak peut cacher un gate

Mais voilà. Le rapport Krecké soudain étale au grand jour que Juncker était bien au courant. Et de Luxleaks, les fuites, on en arrive au Leak-gate, le besoin de mentir. Comment un “leak” peut-il devenir un « gate »? La recette est simple : vous prenez un responsable politique qui couvre un secret inconfortable, vous dévoilez le secret du responsable par un « leak ». Presque automatiquement, notre responsable va mentir, pour protéger sa carrière, pense-t-il. Mais le mensonge est court sur pattes, et n’ira pas très loin. Il faudra maintenant mentir sur le mensonge : invoquer l’amnésie et la vieillesse ennemie sont d’assez bons mensonges, car personne d’autre n’est accusé. Que « tout le monde le fait », cela va encore. Plus délicat est d’impliquer une tierce personne. Comme par exemple, « Krecké m’a caché tout, je n’étais pas au courant ».

Nous venons d’assister à l’illustration de la recette pour créer un « gate » par Jean-Claude Juncker, l’actuel Président de la Commission Européenne. Pour se sortir du Leakgate il a choisi la meilleure des trois options, la première, l’amnésie. Bien-sûr qu’on a retrouvé la page manquante, mais il ne se rappelle pas de l’avoir jamais vue. Puis par miracle elle est retrouvée et on la leak à son leakeur préféré, « Der Spiegel ». Et on s’occupera de Fabio de Masi, l’eurodéputé envahissant, après l’Oktoberfest, autour d’un bon verre à la cantine à Strasbourg.

L’encre de la page manquante n’est pas encore sèche

C’est une boutade, je sais. Elle est inspirée par les cachotteries de ces derniers mois, et tel que Saint Thomas, je demande à voir. La fameuse page du Spiegel, version officielle de la Wiedergutmachung junckerienne incite les doutes. J’ai pris la description officielle parlant d’une « page manquante » littéralement. Je pense que c’est d’ailleurs l’entendement universel dans la presse qu’il manquait une page dans la version officielle du rapport Krecké. Or la page publiée est une photocopie (apparemment), composée de deux parties. Il y a en effet une ligne d’ombre horizontale qui sépare le premier paragraphe du second. Ce qui indique que c’est soit un assemblage de deux pages découpées, (ce qui aurait fait deux pages manquantes), soit qu’une partie du texte pourrait avoir été enlevée. L’autre indication qu’il s’agit d’un bricolage est que la partie inférieure du texte est légèrement décalée et inclinée vers la droite. Voici LA PAGE en question:



Dans le rapport public, l’entête 5.2.4.3.6. « Treaty Shopping » qui donc logiquement suivait la page en question et est remontée pour prendre la place de ce qu’était 5.2.3.4.6. « Tax Ruling ». Cette entête se trouve en bas de la page 134, le corps sur la page 135. Pourquoi ne pas publier les deux pages 134 avec l’entête, et la page 135 avec le corps du texte ? Le corps de ce texte aurait dès lors rempli la page 135 sans « page break », donc sans ombre. D’ailleurs la page produite ne porte ni le numéro de page 134, ni 135. Que signifie donc cette coupure apparente qui provoque la ligne d’ombre? Surtout que dans ce texte-ci il n’y a rien d’un secret d’Etat à cacher. On y accuse même les Néerlandais d’y aller très fort en ce domaine des rulings. Une feuille de vigne hollandaise dès les premiers moments?

La suspicion est une réaction normale envers quelqu’un qui officiellement a élevé le mensonge en procédé de gouvernement. Elle est alimentée par le résultat pauvre et la piètre performance dans le « damage control », suivant Luxleaks. La meilleure réponse publique à une telle crise doit suivre quelques principes fondamentaux et demande du professionnalisme dans la communication. D’abord, quand les choses deviennent sérieuses, il ne faut PAS mentir. Le plus vite la vérité est dévoilée, le plus vite le problème s’en va et on oubliera. Pour communiquer la vérité, il faut s’entourer de professionnels de la communication. Surtout si l’on a besoin d’une petite blonde pour envoyer un tweet. En ce cas il vaut mieux s’abstenir aussi de découper un texte pour le rafistoler en une seule photocopie. Puis dire qu’on regrette est OK aussi. Ce serait bien, car les gens pardonnent vite. La seule chose qui ait été traitée plus ou moins convenablement était de dire qu’on ne le refera plus jamais. Mais si !

En attendant, la Présidence de Juncker est entamée. L’Europe est dirigée par le tandem Merkel-Hollande. Ils reçoivent Poutine et Juncker n’est même pas invité.  La Présidence luxembourgeoise prend des initiatives, et le nouveau Premier Ministre luxembourgeois, Xavier Bettel, fort de la Présidence luxembourgeoise de l’Union va lui aussi voir Vladimir Poutine à Sotchi. C’est là qu’est l’action. Juncker pendant ce temps veille aux petites corvées bruxelloises.

Chacun pour soi, et tous pour un

En attendant, l’Union Européenne, qui selon Juncker ne doit pas évoluer vers les Etats-Unis d’Europe, évolue vers une désunion de plus en plus parfaite. La crise des migrants met les accords de Schengen entre parenthèses, l’Anglais David Cameron n’était pas à Paris non plus pour rencontrer Poutine et il fait face au UKexit, et la Catalogne ouvre la voie vers une Europe non pas unie mais pulvérisée, granulaire. Egoiste et profiteur.

Dans un dernier sursaut pour la vieille Europe, l’OCDE vient poser des bandages sur la plaie des tax rulings. Dorénavant, il est proposé que les multinationales rapportent pays par pays : les bénéfices, le chiffre d’affaires, le nombre de salariés, les actifs et les impôts payés. En tout cas selon Pascal Saint Amans de l’OCDE, ce sera la liste de souhaits pour le prochain G20.


Le Luxembourg peut envisager ces changements avec phlegme. C’était le secret bancaire et son évasion fiscale qui était le problème majeur et intenable du pays. Ce n’est pas l’optimisation fiscale tellement décriée dans Luxleaks. Fruit du laxisme et de la permissivité, bien-sûr, elle heurtait les intérêts d’autrui sans être pourtant illégale. Le manque à gagner pour le Luxembourg sur des impôts qui étaient minuscules ne devrait pas heurter trop le budget. Quelqu’un qui ne paye pas d’impôt et n’a pas d’autres activités locales, ne remplit pas les caisses. En outre, les tax rulings ne disparaitront pas. Et je suis certain que les Big Four raffineront quelques autres manœuvres pour parquer de l’argent exempt d’impôt dans le pays : royalties, prêts inter-compagnies, primes de réassurances, capital à risque, family office. On sera même deux clicks en avance sur l’OCDE. Et ce sera de bonne guerre sans doute. 



Saturday, October 3, 2015

Luxembourg, Etat de droit ou Etat bouffon ?

Que la lumière soit ! Photo ET














Luxembourg, Etat de droit ou Etat bouffon ?

Voici une contribution experte sur le phénomène luxembourgeois étrange, illicite et unique dans le monde des démocraties. C’est ce phénomène, distillé par l’hebdomadaire allemand « Der Spiegel » dans son édition du 12 Septembre dans un article intitulé « Das Luxemburg Prinzip » sur les (hauts) fonctionnaires luxembourgeois membres de Conseils d’Administration.

La contribution est experte, parce que Madame Biermann connait la loi et les principes constitutionnels. Elle a fait sa carrière dans la magistrature. Retraitée, elle ne doit certainement plus s’encombrer du contrôle social à la luxembourgeoise, qui la ferait se taire. Elle peut donc combiner honnêteté et expertise.

Le phénomène des administrateurs est unique, car il est typiquement luxembourgeois. Dans toute démocratie, la pratique est illicite et est certainement l’objet d’une loi restrictive luxembourgeoise. Aux Etats-Unis, ce serait l’ultime scandale, voire un crime de corruption.

Le problème est grave, car il est bien entendu que la pratique sera perçue comme un système corrompu depuis l’étranger. Il est aussi insupportable vu de l’intérieur, et il ne peut être défendu par les quelques justifications maladroites des figures politiques qui le couvrent.

En réalité c’est l’instauration d’une tradition qui récompense le fonctionnaire pour son zèle politique d’une part, et son allégeance au Management de la société en question d’autre part, qui généralement fait tout pour contrôler le Conseil d’Administration. Et certainement pour contrôler le fonctionnaire-administrateur et son Ministère par le biais d’une juteuse compensation du fonctionnaire.  Madame Biermann décrit une approche ultra-libérale de l’économie luxembourgeoise. Curieusement la politique économique a aussi des aspects (inavouables) de corporatisme d’Etat ! C’est le grand écart luxembourgeois. Il ne manquera pas d’engendrer encore maintes crises dues au laxisme et permissivité résultants, du genre de paradis divers et Luxleaks.

Il ne m’est pas connu à combien de rédactions Madame Biermann a adressé sa lettre ouverte. Je n’ai vu que deux instances de sa publication : Le Jeudi et Privat. « Das Luxemburg Prinzip » en action ?


« A propos de la polémique sur les deniers publics illégalement déviés dans les poches de quelques hauts fonctionnaires »

« Etat de droit ou Etat bouffon? » interroge l’ancienne magistrat Marguerite Biermann dans un courrier à la rédaction du Jeudi: 

« C’est avec un malin plaisir certain que le « Spiegel », dans son édition du 12.09.2015, a mis le Luxembourg sur la sellette à propos d’un scandale, selon lui exclusivement et typiquement luxembourgeois qu’il nomme « Das Luxemburg-Prinzip ».

Il s’agit d’un abus perpétré et connu de longue date, à savoir, le détournement de fonds publics par les fonctionnaires de l’État délégués par l’État dans les conseils d’administrations de certaines sociétés anonymes.

Il faut savoir que dans notre système économique ultralibéral, l’État n’exerce pas lui-même les activités dans l’intérêt des citoyens dont il a reçu le mandat de gouverner, mais qu’il s’en décharge sur le secteur privé, c’est-à-dire sur diverses sociétés anonymes, telles CREOS, ENOVOS (anc. CEGEDEL), CLT, LUXAIR, SES, etc… Il est en plus actionnaire dans de nombreuses sociétés anonymes de toutes sortes estimant, à tort ou à raison, que de telles participations sont utiles au bien public.

Face aux opposants à ce régime qui trouvent scandaleux et inadmissible qu’en fait nous soyons gouvernés non pas par notre gouvernement démocratiquement institué, mais par des sociétés commerciales privées, c’est-à-dire des sociétés dont le but exclusif est de faire le maximum de profit sans souci ni obligation de veiller à la protection et à la sauvegarde des intérêts des citoyens et de la nation, le LSAP s’est senti obligé d’agir et a pris l’initiative de la loi du 25.07.1990 qui règle le statut des administrateurs représentant l’État ou une personne morale de droit public (telle p.ex. une administration communale) dans une société anonyme.

Celle-ci était présentée comme le remède contre ce raz-de-marée libéral qui menace d’emporter tout le système d’un État démocratique basé sur la souveraineté du peuple, dans lequel nos braves citoyens, engourdis par les berceuses hypocrites de nos gouvernants, croient toujours.

Il fut ainsi expliqué au bon peuple que le fait de pouvoir déléguer un de ses fonctionnaires au conseil d’administration des sociétés en question, conférerait à l’État le contrôle sur les activités de celles-ci afin d’empêcher qu’elles agissent au détriment des intérêts publics.

Quand on sait que les réelles activités et opérations commerciales d’une société sont décidées et gérées par quelques personnages-clés qui souvent ne sont même pas membre du conseil d’administration et que les délégués de l’État, lors des assemblées annuelles ordinaires ou extraordinaires n’entendent que ce qu’on veut bien leur dire et ne voient que ce qu’on a décidé de leur montrer, il faut reconnaître qu’en réalité, cette loi est une farce. Car, au lieu d’instituer un contrôle de l’État sur les sociétés, elle est exploitée par celles-ci à leur profit, puisque, par l’intermédiaire de ces fonctionnaires de l’État, amplement bonifiés par leurs soins, ce système leur procure un accès facile auprès des divers Ministères afin d’obtenir les arrangements et avantages qu’elles recherchent.

Dans son interview donnée au « Spiegel », Monsieur le Ministre Schneider le confirma d’ailleurs candidement: « Nous sommes intimement liés à l’économie. Nous connaissons ce dont elle a besoin » et il explique que les nombreux mandats qu’il a occupés dans les diverses sociétés privées lui ont appris « ce dont elles ont besoin».

Ces nominations de fonctionnaires à des postes bien rémunérées est également un moyen utile pour les hommes politiques de se rendre mutuellement service et de récompenser et s’attacher des personnes susceptibles de jouer un rôle important dans l’avenir et elle permet aux fonctionnaires ainsi nommés de faire carrière en politique ou dans le secteur privé ou de s’y garer en cas de changement de gouvernement en attendant leur retour.

Mais ce qui s’ajoute à tout cela, c’est l’avantage financier, car ces postes sont copieusement rémunérés par les sociétés.

C’est pourquoi le législateur de 1990, dans un souci d’équité a décidé que « les émoluments leur revenant sous quelque forme que ce soit, sont touchés par l’État… » et « qu’il appartient au gouvernement en conseil…d’arrêter les indemnités à allouer à ces administrateurs pour l’accomplissement de leur mission ».

Ces mesures sont absolument justes et logiques. En effet, en droit, c’est l’État qui est membre du conseil d’administration et en porte la responsabilité, alors que le fonctionnaire délégué n’occupe ce poste qu’en qualité de mandataire et n’est responsable que comme tel vis-à-vis de l’État. Les indemnités doivent donc être versées à l’État qui, de son côté, doit rémunérer ses mandataires. Ce système est également juste sur un plan pratique, puisque d’une façon générale, il est toléré que ces délégués exercent ces fonctions sporadiques pendant leur temps de travail.

Et voilà que nous arrivons aux pratiques scandaleuses si violemment décriées par le Spiegel.
Il est, en effet, connu par tous ceux qui s’y intéressent ou devraient s’y intéresser, tels les ministres, la Cour des comptes, les députés, le Parquet, que depuis que la loi précitée existe, les dispositions légales y contenues n’ont jamais été respectées. Ainsi les sociétés concernées, au lieu d’envoyer les émoluments à l’État, les versent-elles directement aux administrateurs représentants. Jamais aucun d’eux n’a réclamé et renvoyé le montant en question en priant la société de le transmettre à l’État, ni l’a envoyé à l’État en le priant d’agir selon les termes de la loi.

Si l’on sait qu’il s’agit en l’occurrence de sommes juteuses qui s’additionnent pour ceux qui occupent plusieurs mandats et s’ajoutent à leur traitement substantiel de fonctionnaire, on ne peut que s’étonner que des personnes apparemment honorables, la plupart fortunées et gagnant bien leur vie auprès de l’Administration, se laissent aller à se mêler de pratiques que le code pénal qualifie de vol, d’abus de confiance, de détournement de fonds publics, ou encore de concussion. De même faut-il se demander comment nos gouvernements successifs de toutes les couleurs, conscients de cet état de choses ont pu se faire complices en ne respectant pas eux-mêmes les prescriptions légales.

Qu’on ne nous dise pas que ni les bénéficiaires, ni les autorités n’auraient été au courant de ces pratiques.

Déjà en 1996, Monsieur le député H. Grethen a questionné Monsieur le Ministre d’État, J.C. Juncker sur ce disfonctionnement. Monsieur Juncker lui a répondu en avouant que depuis la loi de 1990, à une exception près, les sociétés rémunèrent directement les fonctionnaires délégués et il a promis de saisir le Conseil du gouvernement afin de régulariser la situation.

Rien n’a changé depuis.

En 2014, Monsieur le député Justin Turpel s’est adressé à Monsieur le Ministre d’État Xavier Bettel afin de percer l’opacité dans laquelle le Gouvernement cherche à noyer cette affaire. Après de réels efforts et la ténacité qu’on lui connait, il a finalement obtenu une liste des fonctionnaires-représentants actuels. Cependant, malgré son obstination, il n’a pas réussi à obtenir un relevé des montants touchés par eux. Tout cela est jalousement tenu au secret. Aussi, contrairement aux règles d’un État démocratique, ces dépenses ne sont-elles pas publiées au budget et ne sont donc pas portées à la connaissance des députés, ni de la Chambre des comptes, ni à fortiori du grand public.
Cela ne semble pas déranger nos Ministres.

Ainsi Monsieur Pierre Gramegna, lors de l’émission Back-ground du 19.09.2015 a cyniquement affirmé que chaque année, le Conseil des ministres déciderait que les administrateurs, délégués par l’État, peuvent garder les indemnités leur versées par les sociétés. Il faut espérer qu’en faisant ces déclarations, Monsieur le Ministre n’ait pas tout simplement menti. Car ni Monsieur Juncker, lors de la question parlementaire de Monsieur le député H. Grethen, ni Monsieur Bettel lors de celle posée par Monsieur Turpel, n’ont mentionné de telles décisions. Ni d’ailleurs, Monsieur le Ministre Schneider interrogé à ce sujet sur RTL. Où sont les procès-verbaux contenant de telles décisions?
Faut-il relever que, même si cela était le cas, cette pratique serait illégale. Où sommes-nous donc si, par une simple décision du Conseil du gouvernement, les Ministres peuvent abolir les lois?
La légèreté, la nonchalance, voire l’arrogance avec laquelle, par un revers de manche, ces Messieurs balaient des reproches pourtant sérieux, effraient. Tout comme le discours de Monsieur Schneider qui a fait sa carrière politique dans les rangs du LSAP et qui, sans états d’âme, déclare allègrement poursuivre une politique ultralibérale parce qu’il ne lui resterait pas d’autres choix. Il était pourtant entièrement libre de ne pas devenir Ministre dans un gouvernement qu’il savait être aux mains des ultralibéraux, tant nationaux qu’européens, voire internationaux.

A voir les dégâts irréversibles que cette politique, centrée exclusivement sur la productivité et le rendement au profit des capitalistes et au détriment de notre peuple, nous cause, on est tenté de dire que voilà le grand scandale au côté duquel celui des indemnités illégalement versées et retenues, n’est qu’une broutille. Cela ne saurait cependant excuser ceci. Car, outre le dommage matériel subi par la communauté et le trouble à l’ordre public causé par l’État et les fonctionnaires concernés, il y va de la respectabilité de notre État et de ses institutions. Ainsi ne serait-il que justice que le Parquet fasse son devoir. Son rôle consiste en effet à veiller aux règles de droit par tous les citoyens et à sanctionner leur non-respect à l’égard de tous les membres de la population.

Comment le justiciable ordinaire pourrait-il comprendre que le Parquet le poursuit pour le moindre vol ou abus de confiance s’il s’abstient d’agir à l’encontre de nos responsables politiques et les fonctionnaires au service de l’État?

Le Parquet porte donc une grande responsabilité puisqu’il dépend de lui de garantir que la Justice soit la même pour tout le monde, ce qui est un principe essentiel constitutionnellement garanti, sans le respect duquel il n’existe pas d’État de droit.

Aura-t-il le courage de relever ce défi et de démontrer que, contrairement à la majeure partie de l’opinion publique, il est politiquement neutre et indépendant.

Ou, en s’abstenant d’agir, donnera-t-il raison à ceux, qui, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de notre pays, raillent le sérieux de notre État tel qu’a essayé de le faire le journaliste du Spiegel ? »

Marguerite Biermann