"Trois personnes peuvent garder un secret, si deux d 'entre elles sont mortes" (Benjamin Franklin)
Le 20 juin de l'an 2000, le député Alex Bodry déposa la
"Proposition de Loi concernant la liberté d'accès à l'information" (1).
Le Luxembourg allait enfin rejoindre la toute grande majorité des pays démocratiques,
embrassant les principes mondialement connus sous la dénomination "Freedom
of Information", ou FOI, et qui consacrent le droit du public de savoir.
En pratique la loi créerait une obligation pour le gouvernement et les
administrations publiques et parapubliques de fournir endéans les 2 mois tout
document demandé par le public. A l'étranger, c'est surtout la presse qui use
de ce droit pour se procurer tout document et toute correspondance officielle pour
les besoins de ses investigations journalistiques.
FOI à la luxembourgeoise
Onze ans et 4 mois plus tard, cette loi n'est toujours
pas adoptée! La Mongolie et le Nigeria
viennent de passer la leur. Quel joli consensus national que de faire trainer
cette chose appelée transparence, que personne ne semble vouloir. Par contre, les
directives européennes en matière financière voient une transposition en loi
luxembourgeoise en un rien de temps, business oblige, tandis que le droit du
public de savoir peut attendre. Le Luxembourg, pays le plus riche du monde,
brille ainsi par son obstination de tronquer l'ouverture et la communication.
Selon l'organisation internationale "Access Info" (2), seuls Chypres et l'Espagne font encore partie de ce
club des opaques dans l'Union Européenne.
Dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi, le
rapporteur Alex Bodry note: "De nos
jours le processus de décision ne peut être le fruit de procédures opaques,
mûries dans le cloisonnement de l'Administration, décisions prises à huis clos
à l'insu de ceux qui sont directement concernés." A en juger par ce
retard sinon le sabordage de la proposition de loi, elle fait sans doute l'objet
d'un concept hautement indésirable pour notre gouvernement. La solution est dès
lors de laisser le projet mijoter jusqu'à l'oubli.
Les barbares dans le temple secret, ou un projecteur en pleine chambre
noire.
Quel sacrilège dès lors quand le Mouvement Ecologique, MOUVECO,
vient déranger cette conspiration feutrée en éclairant de tous ses feux d'abord
un processus de décision opaque et une lettre signée par trois ministres, dont
le Premier Ministre, et adressée à des intérêts particuliers. Incroyablement,
cette lettre est classée "très confidentielle" pour la soustraire à
l'examen du public. Benjamin Franklin serait ravi. Cette lettre représente donc
bien une décision prise volontairement à huis clos, à l'insu du public.
Le MOUVECO s'est ainsi positionné en agent de révélation
pour dévoiler une face cachée dans un débat public. Il a attiré l'attention du
public luxembourgeois, généralement pas dupe mais tolérant-bof et cynique
vis-à-vis du "système", sur le caractère illégal et inadmissible de
la trame qui s'est tissée. Cette fois-ci, au-delà du fatalisme coutumier et des
blagues de circonstance, le public voudrait des réponses. Hélas, la loi
concernant la liberté d'accès à l'information fait défaut pour obliger les
responsables publics et parapublics à les fournir et d'en finir avec la
mascarade.
Cette crainte de la lumière du jour est un état de fait
dans l'écosystème luxembourgeois. Elle est décrite également dans l'exposé des
motifs par: "les réticences de
certains milieux de la société luxembourgeoise d'admettre vraiment un droit à
l'information complet et un droit d'ingérence du public dans le domaine des
affaires publiques." Une réminiscence féodale donc. Et de conclure: "Dès lors, à l'instar du droit
communautaire et de nombreuses législations étrangères, notre droit national
doit enfin reconnaître explicitement le droit à l'information détenue par les
autorités publiques ou parapubliques. La présente proposition de loi entend
consacrer ces droits fondamentaux de tout citoyen dans un Etat de droit qui se
veut démocratique." C'était il y a onze ans et quatre mois.
La dérive
Mais voilà, entretemps nous évoluons vers le contraire,
et Livange en est une démonstration. Questionnées, les autorités publiques
pratiquent l'esquive, les parapubliques l'exception et la menace de poursuites.
Nous sommes en pleine dérive, en fait en plein délire. La crédibilité de nos
institutions est en jeu, à cause de l'absence de transparence et de son
corollaire, du droit d'accès à l'information. En fait nos institutions sont en
zone de danger et la méfiance du public est en croissance.
Certes le Parlement tente aussi bien que mal de jouer son
rôle de surveillance du gouvernement en posant des questions aux ministres (du
latin minister, serviteur), dans des dossiers comme Livange. Au-delà des
"c'est pas moi, c'est lui, connais pas, les autres l'ont fait aussi"
parmi d'autres excuses et assurances, le public sera difficile à convaincre. Il
faut en effet expliquer que des drôles de hasards aient aligné des initiatives,
des circonstances et des acteurs d'une certaine façon, mais que les choses ne sont pas du tout ce qu'elles
paraissent être. D'esquive en esquive, d'obstruction en obstruction se
nourrissent des soupçons, des spéculations, des accusations, basés sur les
simples perceptions. Elles sont nourries par la volonté documentée de garder le
secret et le refus de communiquer les faits. Il faut se rendre compte que l'on
a dépassé dans le contexte Livange le simple niveau d'un jeu de
questions-réponses. Les protagonistes se trouvent effectivement dans une phase ultérieure,
le "damage control", qu'ils le veuillent ou non. Et le "damage control" est un art
et une science, qu'on soit faussement accusé ou en train de vouloir minimiser
l'inavouable. En tous cas, le quatrième pouvoir, la presse, n'a pas été
convaincue. Elle ne dispose pas des faits et des preuves pour être convaincue
que tout ce cirque est une tempête dans un verre d'eau.
Le quatrième pouvoir, ligoté, doit spéculer
Le public a le droit de savoir. C'est le moment
d'appliquer ce grand principe démocratique, même
si l'on a choisi de renoncer ou d'escamoter une
législation sur le libre accès à l'information. A défaut, la presse, qui le
plus souvent est le vecteur d'investigation et de communication de cette
information, ne peut être tenue à rapporter des faits. Elle n'a pas accès à ces
informations. Au mieux, elle ne pourra que rapporter les rumeurs, à la grande
exaspération des gardiens du secret. Mais comment lui faire des reproches,
alors que les moyens d'investigation démocratique sont déniés?
C'est donc l'occasion d'appliquer maintenant et délibérément,
au nom de la transparence, les provisions de la proposition de loi égarée. Même
si elle n'a pas force de loi, elle fournit la guidance pour informer le public
et répondre aux questions. D'ailleurs si par impossible cette proposition
devait être reconsidérée par le législateur, il faudra la revoir pour l'adapter
à l'après-Wikileaks et pour prévoir des sanctions sévères pour les refus de
produire des informations, la destruction de documents ou leur falsification,
comme cela existe dans les autres juridictions. Pour ne citer que l'exemple
américain, où un banal "hearing" devant une commission parlementaire
se fait sous serment, et celui qui se fait attraper en plein mensonge, à
n'importe quel grade, se fait durement punir. L'exigence d'un code de
déontologie pour politiques et fonctionnaires exigé par certains élus est évidemment
nécessaire pour avoir des paramètres pour mesurer les incidents et le degré de
"malgoverno".
Pssst! Ceci reste entre nous!
Pour finir, je voudrais partager un secret, une très
bonne nouvelle, mais cela doit rester strictement entre nous deux, vous et moi:
j'ai bon espoir que si le stade se construit, le club de foot parisien PSG, qui
appartient à 70% au Qatar, viendra jouer à Livange. On les fera jouer contre la
nouvelle équipe professionnelle luxembourgeoise qu'on appellerait Léopard? J'ai
aussi bon espoir que vous et moi, nous serons invités, à la loge!
(1) Document 4676/00, Chambre des Députés:
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