Le Soleil se couche aussi. Tourmente. Photo ET
Luxembourg - L'Etat de la Nation
Etant toujours de
nature optimiste, je mettrai donc mes lunettes roses pour décrire l'état de la
Nation en cette année 2013: cela va mal, très mal. La majorité des
luxembourgeois ne ressent qu'une vague inquiétude, mais inexorablement nous
récoltons ce que nous avons semé depuis de nombreuses années. Nous voyons le
pauvre état des relations internationales, le printemps arabe qui est givré aux
portes de l'Europe, un dictateur enfantin et joufflu jouant avec les allumettes
en Corée, un Moyen Orient qui est une poudrière de sorte que nous renoncerons à
notre croisière Luxair sur le Nil et aux pélés à Jérusalem. Sans parler de
Chypre, et de sa révélation que toute richesse est éphémère. Pendant ce
temps-là, chez nous, notre Premier voit des réflexes de 1913, et on n'en croit
plus ses instincts!
Le procès du Bommeleeër est un Miroir National
Ce procès, en cours
depuis des semaines, expose des dysfonctionnements dans les institutions
luxembourgeoises en général, Justice et Police en tête, et en fait une
décadence rampante dans tout le
gouvernement. Surtout que ce procès, près de 30 ans après les faits, arrive
comme une cerise sur le gâteau bien marbré des autres affaires non-résolues,
escamotées, déraillées, obstruées, avortées de Livange-Wickrange, Cargolux et
du Service de Renseignements. Le public est confus de voir défiler dans le
procès du Bommeleeër en cours d'incroyables pannes à répétition dans les
enquêtes, des manœuvres, des cordées diverses, des princes, des ministres, des
ex-gendarmes et deux accusés que le public ne semble même pas haïr mais au
contraire disculper d'avance. C'est un méli-mélo d'interférences aussi
inacceptables que suspectes. Le spectacle durera encore quelques mois,
probablement entrecoupé par 8 autres semaines de "congé judiciaire"
en été, qui s'ajoutent aux 2 semaines de vacances judiciaires de Pâques. C'est
une opérette extravagante qui impitoyablement met à nu les insuffisances de la
société luxembourgeoise et de son système judiciaire.
Pendant ce temps
là, le citoyen qui n'a pas eu de chance, qui doit trouver un emploi, retrouver
une santé ou tout simplement appeler une administration, appellera souvent aux
abonnés absents. Telle est l'arrogance de l'appareil que nous avons laissé
dériver. Il faut redresser la barre, au plus tôt.
Faire le ménage est un vaste chantier
Le changement est
donc indispensable. Et il y a une lueur d'espoir, car les opportunités existent
et ont été annoncées ou du moins énoncées comme liste à souhaits. Il y a
d'abord la nouvelle Constitution, en chantier depuis des années. Je me fais des
soucis, car des années de tergiversations montrent que des intérêts
particuliers sont à l'œuvre. Un résultat autre qu'une constitution instaurant
un gouvernement laïque du peuple par le peuple sera une nouvelle tutelle de
quelqu'un d'autre sur le peuple et sur son avenir. Découlant des grands
principes d'une telle constitution, qui sont la séparation des pouvoirs et leur
contrôle mutuel, est cimentée la notion que les administrations et les
ministres sont les employés des contribuables, avec leurs droits certes, mais
surtout des devoirs. Mais le
contribuable, ni son représentant au Parlement, ni le quatrième pouvoir, la
Presse n'ont de cadre établi pour accéder à l'information. Les devoirs et les
limites du pouvoir ne sont pas définis non plus. La loi promise depuis 12 ans
sur la transparence ou "Freedom of Information - FOI" (que notre
Premier déclare ne pas aimer), et le fameux code de déontologie
(Ministeschgesetz) qui devrait avoir son pendant pour les fonctionnaires, sont
des projets remis toujours à plus tard. En cette matière, un tiens vaudrait
mieux que deux tu l'auras.
Quand enfin ce sera
fait, encore faudra-t-il distinguer entre
la qualité des textes adoptés, le sérieux de leur application, les
sanctions prévues et surtout les sanctions effectivement appliquées. Le manque
de transparence et l'absence du droit à l'information sont des portes ouvertes
aux abus, à la discrimination et à la corruption. Si le Luxembourg ne se charge
pas de ses propres changements, le monde global s'en chargera.
La globalisation est à double tranchant
Le Luxembourg a
montré une capacité remarquable de s’adapter à la globalisation pendant des
dizaines d'années. Il a su tirer avantage des changements dans le monde, et il a
aussi été attaqué pour ces mêmes raisons. Petit pays plus agile que certains
voisins, il a su profiter des ouvertures procurées par la globalisation et la
construction européenne, tout en abritant un pan de ses activités économiques
par le secret bancaire et le « pragmatisme » de ses institutions.
Mais ce darwinisme
demande une adaptation continue, car la globalisation est une voie à deux sens.
La place financière est assiégée comme paradis fiscal, le pragmatisme est
décrié comme laxisme sinon paradis judiciaire, et le site industriel, surtout
l'acier, se vide de sa substance sous le double effet de nos stratégies
incompétentes et de la perte de compétitivité.
Le problème éternel
à résoudre est celui de comment garantir le futur d’une économie monolithique ?
Pendant un bon siècle, l’industrie sidérurgique était ce monolithe qui garantissait
un bon niveau de vie aux luxembourgeois. On pensait qu’elle n’allait pas
disparaitre, car enfin, on ne déménage pas des hauts-fourneaux comme une banale
armoire, n’est-ce pas ? Eh bien si, dans le monde global c'est possible,
et ne pas considérer cette possibilité lors d’une acquisition telle que celle
de Mittal est incompréhensible : Mittal achète pour quelles raisons ?
Soit pour acheter du revenu supplémentaire, soit pour acheter du savoir-faire,
soit pour éliminer un concurrent, soit les trois à la fois. ARCELOR était les
trois à la fois. Sachant cela, comment cette chose a-t-elle pu se passer, pire,
comment a-t-on pu subventionner le plan Mittal de la mise à mort de la
sidérurgie européenne, transférée de fait dans les autres sites du groupe? Le même
scenario s’est répété avec d’autres, comme avec Cargolux, sauvée in extremis je
dirais par la sagesse populaire.
Comment remplacer
les activités industrielles perdues ? Le Luxembourg se sauve en sautant
d'un monolithe, l'industrie, sur cet autre monolithe pour assurer son futur, la
place financière qui est essentiellement plus vulnérable, plus déménageable que
la sidérurgie. D'ailleurs 42 plans sociaux dans le secteur financier en quatre
ans démontrent sa fragilité en tant qu'employeur. Plus grave, les sauvetages à
répétition des banques en difficulté
comme DEXIA-BIL et BGL sont une menace pour la stabilité financière du pays
entier. Pour sortir de cette dépendance
sur une seule activité économique en poussant les diversifications en cours tout
en consolidant et rénovant les activités légitimes du secteur financier et lui
enlever les épithètes péjoratifs ci-dessous.
Le paradis fiscal et judiciaire
Il fut un temps quand
personne à l'étranger ne savait où se trouvait Luxembourg. Aujourd'hui le Luxembourg
est connu en tant que "paradis fiscal" qui pêle-mêle se réfère à des
activités légitimes et légales, douteuses, illicites et carrément criminelles.
Souvent on entend aussi, même des parlementaires étrangers influents, utiliser
le label "paradis judiciaire", qui fait référence à l'absence de
règles et surtout à une grande impunité. Monsieur Contzen, Président de l'ABBL,
a récemment parlé de la bonne infrastructure légale du Luxembourg. Je pense
qu'il parle de la législation seulement, et non pas de l'application des lois, qu'il
n'a sans doute jamais eu à attendre. Je
pourrai l'éduquer, ayant porté plainte civile et pénale il ya neuf ans contre des
délinquants en col blanc, sans conclusion à ce jour. A croire que les manœuvres
dilatoires ont eu de l'aide pour faire trainer les affaires de la sorte. Ce
n'est pas l'affaire grotesque du Bommeleeër qui viendra infirmer mon opinion.
Ni la Cour Européenne des Droits de l'Homme qui a condamné le Luxembourg comme
récidiviste pour ne pas fournir une justice en des délais raisonnables. Ni les
victimes de Madoff ou de la BCCI. Le centre financier est en ce moment un
paradis judiciaire.
Comme chaque gouvernement, surtout en Europe et aux
Etats-Unis cherche des revenus désespérément, les havres de secrets,
l'optimisation fiscale ou l'évasion fiscale sont désignés comme boucs
émissaires responsables des déficits. Les paradis fiscaux disparaitront à moyen
terme sous les coups de butoir de la Commission Européenne, du G 20, de l'OCDE
- GAFI, des gouvernements voisins et des Etats-Unis. Pour le Luxembourg
protester, prier, pleurer est également lâche. Il faut des actions hardies:
consolider ce qui est légitime, l'expertise et savoir faire, et abandonner les
activités qui moralement et politiquement ne pourront être défendues, p.ex. le
secret bancaire. Aucune propagande luxembourgeoise ne pourra se débarrasser du label
stéréotype du paradis fiscal, mais seulement les faits et ajustements qu'il
faut.
Est-ce à dire qu'il
faille se soumettre inconditionnellement aux demandes du voisin tonitruant ou
aux désirs des institutions supranationales? Je décèle une contradiction étonnante
entre l'arrogance avec laquelle on a développé le secret bancaire d'un côté, et
d'un autre côté le zèle soumis avec lequel le gouvernement luxembourgeois se
conforme à des demandes qui souvent heurtent nos intérêts légitimes: nous avons
plié pour l'harmonisation de la TVA, la taxe sur les transferts, l'aide au
tiers monde, les taxes sur le commerce électronique, sans parler de la perte
sans broncher de la BCE à Francfort. Sans contrepartie connue.
Si le Luxembourg
est appelé à faire des concessions, envoyez des négociateurs, des vrais pour défendre
nos intérêts. Les élections de 2014 en fournissent l'opportunité, surtout si la
proposition d'un membre du gouvernement de limiter les mandats à deux pouvait
se réaliser. Personne n'est indispensable, et en politique la longévité n'est
pas un signe de fraicheur.
La diversification économique trop diversifiée ?
Consolider le
nouveau monolithe est une chose, s'en distancer et diversifier en est une
autre. Mais le Luxembourg manque d'entrepreneurs créant des entreprises. Il
faut donc les importer, c.à.d. aller les chercher, les convaincre et les
appuyer. Le système est en place, depuis que Joe Gurley en 1958 a convaincu le
gouvernement de créer une cellule appelée Board of Industrial Development avec
un bureau à New York. (1) Il est remarquable que l'établissement de certaines
des rares productions industrielles luxembourgeoises datent de cette époque
comme Dupont de Nemours, ou même la consolidation de Good Year. Victime de son
succès, l'initiative n'a pas survécu les protestations d'Arbed notamment et a
fermé après trois ans seulement. Dommage, 25 années de diversification ont été
perdues par la suite.
En 1975, la
réactivation d'un Board of Economic Development a revisité les anciennes
politiques de prospection économique à l'étranger qui restent indispensables.
Je voudrais comme preuve la prolifération plus ou moins désirable d'entités chargées
de la promotion économique. Quant à celles des différents Ministères, "Luxembourg
for" ceci et cela, je me demande cependant comment justifier cette
prolifération, le double emploi et l'éparpillement des moyens budgétaires et
des efforts. Serait-ce du "moi aussi", ou l'attrait du côté récréatif
des voyages officiels, ou la guerre des Ministères?
Nos moyens pour
consolider et diversifier nos activités ne sont pas illimitées. Le gouvernement
emprunte comme jamais, et vient d'annoncer un trou de 2 milliards d'euros en
2016. L'année passée, 2014 était annoncée comme l'année de l'équilibre. Le fait
est que la dette publique est au plus haut, mais certains postes budgétaires échappent
à la tonsure, alors que d'autres, impactant la vie des luxembourgeois se
retrouvent facilement sur l'ordre du jour d'une tripartite. Exemple, l'aide aux
pays en développement qui reste taboue. On va se faire valoir dans le monde
qu'à euros 475 millions, nous sommes champions du monde des donateurs. C'est
l'équivalent du capital que Cargolux recherche en 2013 et 2014. L'exemple est représentatif
pour un certain manque de discernement dans l'établissement des priorités
budgétaires, alors que le pays a 22.000
chômeurs et 15% de la population se retrouvent en-dessous du seuil de
pauvreté.
Notez aussi que le
dernier emprunt de 750 millions d'euros nous donne les moyens pour faire don de
ces 475 millions. Quoique par temps de crise, même une charité bien chrétienne
pourrait s'accommoder de moins. Tel Saint Martin, qui n'a donné que la moitié
de son manteau militaire au mendiant. Je me suis toujours demandé comment il a
fait pour rembourser la propriété de l'Empire Romain? Je me demande comment nos
enfants feront pour rembourser nos dettes?