Monday, June 1, 2009

Luxembourg et l’Après-Secret Bancaire.

Quand les « Grands » organisent une conférence à Londres, Luxembourg n’a qu’à bien se tenir. Les chances sont grandes qu’ils prendront la décision de démanteler la forteresse de Luxembourg. Tel fut le cas en 1867 et en 2009. En termes historiques, deux fois en deux siècles, c’est obsessif. Et la leçon pour le Luxembourg est que dans les deux cas, il n’avait pas droit au chapitre. Il est vrai qu’on a brillé par notre absence à une réunion préparatoire à Paris en 2008. Cela rappelle la sage décision de l’URSS de boycotter le Conseil de Sécurité, ouvrant le champ à l’intervention en Corée en 1950.

Le 2 avril 2009, le secret bancaire a été démantelé, et il est mort dans le monde entier. Le Luxembourg pré-électoral largement escamote la nouvelle de cette mort, jusqu’après les élections du 7 juin. Le contraire est même prétendu avec assiduité, qu’on va trouver une astuce pour le garder à jamais. Mais en même temps, l’on exécute le testament du mort en signant de nombreux certificats de décès appelés accords de non-double imposition avec si possible 12 juridictions. Ces accords sont réellement des accords d’échange d’informations fiscales.

Le client étranger, qui pensait pouvoir recourir impunément à l’autodéfense fiscale en s’évadant vers Luxembourg, ou vers d’autres paradis fiscaux, est ainsi placé en plein milieu de la scène et sous les projecteurs. Il est tout nu et il est exposé à des lourdes peines et amendes dans la juridiction dans laquelle il réside, dont certaines considèrent l’évasion fiscale comme un crime. Ceux qui se feront prendre seront promenés à travers ville pour statuer l’exemple. Le « Couponszuch » sera bientôt vide.

Quelles sont les conséquences de cette débâcle et que faut-il faire?

Les risques de l’après-secret bancaire.

Que fera le client privé, celui qui précisément s’intéressait au secret bancaire? En regardant bien les réalités en face, il faisait une manœuvre évasive, le plus souvent pour échapper à l’imposition dans sa juridiction. Quelle est sa nouvelle donne et quelles en sont les conséquences ?

Pour ce client, l’évasion fiscale est devenue une bien mauvaise affaire. Il disparaitra du paysage luxembourgeois. Tout un pan d’activité en souffrira. Il se peut qu’en fait la bonne surprise soit que leur nombre soit plus petit qu’on ne pouvait le penser : le « Qualified Intermediary » en vigueur depuis l’an 2000 et les précomptes programmés sur l’épargne auront peut-être déjà éliminé une partie de cette clientèle privée. Ce n’est pas ce que les « Grands » pensent. Dans ce cas, nous connaitrons l’impact économique que nous redoutons. Et l’affaire sera montée en scandale par la presse internationale.

Il est certain que dans les paradis fiscaux à travers le monde, les activités et l’emploi seront menacés. Tel est le cas pour nombre d’iles des Caraïbes, qui pourraient voir leurs deux sources de revenus compromises: les services financiers, et le tourisme. Ce dernier souffrira sous le double impact de la crise économique et de l’ouverture prochaine des Etats-Unis vers Cuba. L’excitation et la nostalgie des vacanciers iront vers la Havane. Des Bahamas aux iles Cayman, une crise sociale pourrait précipiter certaines des iles dans une misère difficile à contrer, faute d’alternatives. Il n’y a pas d’activités facilement transférables vers les iles avec des plus-values telles que les produits financiers.

Il y a aussi le risque de voir des clients se retourner contre leurs banques, les organes nationaux de supervision, voire les gouvernements pour les avoir faussement assurés d’un secret bancaire inviolable. La « class action » américaine par exemple n’est pas à exclure, sinon même la poursuite pénale de certains individus, banquiers, fonctionnaires et responsables politiques étrangers en charge de l’édifice secret et de son message d’impunité. N’oublions pas que les Etats-Unis ont déjà poursuivi des cadres d’UBS avec des charges criminelles. Si cela peut arriver, cela va arriver. N’oublions pas non plus que ce client, qui se retrouve tout d’un coup sous le projecteur, est fou de rage sur tout ce qui représente la juridiction qui l’a induit dans une trappe pour finalement s’en laver les mains.

Mais que faire ?

Tout d’abord je voudrais citer le roi Juan Carlos s’adressant à un dictateur, Chavez du Venezuela : » ¿Por qué no te callas?” Pourquoi ne te tais-tu pas?

Il faut cesser le tapage journalier. Notamment le faux cri de guerre : « Delaware, Delaware ». Je ferai une analyse au sujet du projet de loi SB 569 du Sénateur Levin, qui résout le problème du Delaware.

Il faut surtout s’arrêter de glousser qu’on les a eus, qu’on a été forcé à accepter un standard qui en pratique ne marche pas, et que donc le secret bancaire a été préservé. De toute façon ce ne sera pas vrai même à relativement court terme, car il sera en effet difficile aux administrations étrangères de rassembler les détails nécessaires pour soumettre une demande recevable. Cela forcera les administrations fiscales à pousser plus loin, vers l’échange d’informations automatique. Londres, ca 2010 ?

Voici ce qui va précipiter ce processus : Il ne faut pas exclure que des institutions qui facilitent l’évasion fiscale, facilitent aussi une sorte d’évasion aux contrôles et aux demandes d’information, en alertant le client. Je voudrais citer une récente expérience personnelle. En vue d’une saisie que j’ai demandée suite à un jugement favorable (donc tout le monde étant bien identifié), mes demandes ont souffert des retards de plusieurs mois, d’abord pour satisfaire la question supplémentaire de fournir les dates de naissance des personnes à saisir, ensuite pour vérifier l’adresse d’un employeur, l’ABBL en l’occurrence, archiconnue et nommée correctement dans la demande. Ceci n’est pas le fait d’une banque, mais d’une administration. Imaginez les obstacles qu’érigeront les banques et les tunnels de fuite et autres casemates qui seront creusés pour protéger les clients.

Il est surtout important de regarder la réalité en face: le secret bancaire sert à favoriser l’évasion fiscale. L’heure n’est plus à réfuter cet argument. C’est difficile d’ailleurs. Le problème est que l’équivalence secret-évasion est devenue un axiome internationalement accepté. Il n’y a plus rien à discuter, et en signant tous ces accords de non-double imposition, nous donnons notre acquiescement.

Il est de toute urgence de réorganiser et de consolider la place financière en vue des futurs assauts. Cela consiste à :

1) Jeter la notion de secret bancaire par-dessus bord. C’est un vilain mot qui est favorablement remplacé par confidentialité ou discrétion et qui surtout, par leur contenu, ne signifieront plus la même chose que secret bancaire.
2) Elaguer les branches mortes de l’ancien secret bancaire. Vaste programme qui consistera à changer pas mal de règles et de mentalités, une vraie introspection.
3) Pour les instituts financiers, établir au plus vite la liste de ceux parmi leurs clients qui sont exposés à des suites administratives et judiciaires du fait de la disparition de notre secret bancaire. Il serait sans doute utile d’élaborer des solutions communes à la place toute entière, pour venir en aide aux clients en perdition. Une sorte de guichet unique pour clients piégés et en détresse par leur faute et par la nôtre. Cela ne se fera pas sans coûts et sans mea culpa. Oui, il y a culpabilité.
4) Changer l’image de marque de paradis fiscal en centre de compétences et de services haut de gamme qu’il est difficile de trouver ailleurs et dont l’éthique serait le repère universel à atteindre. Quelle aubaine pour les travaux du « Luxembourg Institute for Global Finance Integrity » ou LIGFI. Alors que sa récente création donnait l’impression d’être une feuille de vigne peinte à la hâte par un moine dominicain sur ce que je ne devrais pas voir, ce serait une aubaine que d’élaborer les règles de ce nouveau standard et cela rendrait les critiques au silence. Imaginons que transparence remplace secret bancaire comme image de marque.
5) Etablir un catalogue des bonnes raisons pour utiliser le centre financier luxembourgeois dans le futur et qui pourraient être parmi d’autres:
a) la qualité des services
b) « asset protection ». Protection contre les pouvoirs excessifs des administrations ou contre des jugements divers dans la juridiction de résidence du client.
c) une fiscalité compétitive, voilà un domaine qui vaut une bataille internationale, et qui peut être gagnée.
d) la stabilité politique du pays et son « rating » élevé.
d) un environnement innovant, sans laisser aux lobbyistes le soin de contrôler la législation.
e) une infrastructure de premier ordre qui comporte un cadre légal sans failles et sans fioritures, donc réformée. Une supervision de premier ordre, ce qui existe en tant que moyens. Encore faudrait il revoir les missions de la CSSF et du Commissariat aux Assurances et sans doute les unifier, et leur donner les moyens de sanctionner plus sévèrement. Par contre les moyens de la Justice, y compris la Police Judicaire et la « Financial Investigation Unit » ou FIU manquent de moyens pour garantir une résolution rapide et juste de tout incident, litige et crime, qui autrement affecteront la réputation de la place. Quel sera le poids à porter par les tribunaux si une affaire comme Madoff génère des dizaines, voire des centaines d’actions en justice ?
6) Poursuivre la diversification économique. Il est de mon expérience personnelle que Luxembourg for Finance devrait avoir le rôle facile. C’est Luxembourg for Business qui aura du fil à retordre, d’abord pour trouver la perle rare, puis pour la guider à travers la piste d’obstacles de la réglementation en général, environnementale en particulier. Quel contraste avec le monde financier!

A la vue de ces besoins de diversification, je ne peux que regretter deux opportunités perdues, des pertes impardonnables. L’une est la Banque Centrale Européenne perdue à Francfort, alors que les précédents donnaient une réelle chance à Luxembourg d’y installer toutes les institutions financières européennes. Pire, elle a été perdue sans compensation que je sache. L’autre est la perte de Bloomberg Headquarters Europe à Londres. J’avais l’engagement formel de Michael Bloomberg d’installer une copie conforme de ses opérations de Princeton, NJ à Luxembourg, un total de 700 journalistes et analystes. L’affaire a raté malgré l’engagement personnel du Premier Ministre, qui avait confirmé l’accord. Le lendemain, l’affaire a raté. L’adjoint de Bloomberg arrivé à Luxembourg, ne pouvait être reçu par le fonctionnaire en charge. Il avait un jeu de tennis urgent. La délégation de Bloomberg est rentrée furieuse. L’histoire ne dit pas si le fonctionnaire a gagné son match de tennis. Nous savons qu’il a perdu 700 emplois. Rassurez-vous, rien ne lui est arrivé. Voilà sans doute la plus grosse réforme à faire : terminer l’habitude du népotisme dont la maladie héréditaire est l’incompétence.

Malheureusement les problèmes actuels étaient prévisibles. Ils n’ont jamais été adressés, malgré les avertissements de l’OECD depuis 2004 et les gesticulations au niveau européen sur la même période. C’est une période perdue qui se solde par un sérieux coup à la réputation de la place.

Je conclue en citant le Général Janssens, dernier Commandant de la Force Publique Congolaise. Il a fait rapport au Roi des Belges sur l’indépendance tumultueuse du Congo pour conclure : » Sire, ils vous l’ont cochonné ! »

« Ils » ont cochonné la place financière aussi.

Egide Thein
2009-06-01

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