L’électeur a parlé. Dans sa sagesse, il a décidé de prendre les mêmes et qu’on recommence.
L’électeur avait deux choix :
- valider l’équipe sortante parce qu’elle a fait un bon travail, principalement autour de la défense du centre financier, qui est la question éminemment critique du moment, du moins pour les observateurs de l’extérieur.
- ou bien désavouer cette équipe qui aurait négligé la défense de ce même centre financier, colonne vertébrale du bien-être luxembourgeois, pourvoyeur d’un acquis social sans précédent.
C’est assumer que la question primordiale était bien celle-là, stratégique, la préservation du centre financier et non celle-ci, réflexe d’autodéfense: que deviendra mon acquis social et qui m’inspire confiance pour le défendre?
Dans « Wisdom of Crowds » (1), James Surowiecki fait l’argument que dans une foule, qui dispose d’informations variées et contradictoires, la réponse collective donnée à un problème ou à une question, est souvent plus exacte que celle qu’aucun individu dans cette foule n’aurait pu produire seul.
Ainsi, si à la kermesse de Beckerich, lors d’un concours on demande de deviner la circonférence du vieux tilleul devant la Chapelle du Kahlenberg, la moyenne de tous les paris sera probablement plus près de la réalité qu’aucune réponse individuelle. C’est d’ailleurs une application en mathématiques, où la courbe de Gauss aussi appelée distribution normale ou « Bell Curve » en anglais, gère ce genre de hasard. Le principe se retrouve dans le tir d’encadrement de l’artilleur et aussi … dans l’algorithme de Google, qui puise dans ce que la foule de ses utilisateurs a voulu trouver pour pondérer les réponses en mettant les « plus justes » d’abord, avec une grande efficacité d’ailleurs.
La foule des électeurs luxembourgeois a donc probablement bien fait, si selon Surowiecki, les conditions du bon fonctionnement de la sagesse des foules et donc l’expression de son génie décisionnel étaient réunies. A moins qu’ils aient donné la bonne réponse à la mauvaise question.
La sagesse des foules s’exprime dans les conditions suivantes :
La diversité des opinions : tout le monde doit avoir accès à des sources d’information variées.
L’indépendance de l’esprit : les opinions des gens n’ont pas été façonnées par des opinions de groupe.
La décentralisation : l’apport d’expertise et de savoirs particuliers, locaux ou régionaux.
L’agrégation : il faut un mécanisme de synthèse qui permette à la décision collective de s’exprimer, une devinette à Beckerich ou une élection nationale par exemple.
Selon Surowiecki, si ces conditions ne sont pas réunies, l’avantage de la communion de toutes les opinions et expériences est perdu. Donc, la foule fonctionnera autrement et produira des solutions inférieures. Elles seront alors soit au niveau de son membre le plus intelligent, soit au niveau de l’intelligence de quiconque se hisse en position d’autorité.
La sagesse des foules sera en panne si la foule est :
Trop centralisée par un modèle hiérarchique rigide.
Trop homogène, par le manque d’informations variées et privées.
Trop divisée pour pouvoir réunir des idées.
Trop imitative pour remettre en question d’anciennes recettes, mimiquées à perpétuité.
Trop émotive et souffrant des effets négatifs résultant de l’appartenance à un groupe comme par exemple les pressions, les hystéries, les hallucinations.
Dans ce contexte, la sagesse des foules en panne, Surowiecki a un illustre prédécesseur : Charles Mackay qui en 1841 a publié «Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds », une volumineuse étude sur les réactions extrêmement stupides que des gens parfaitement intelligents peuvent avoir.
Le bel avenir de la sagesse des foules.
La théorie de la sagesse des foules suscite de plus en plus d’intérêt dans la gestion des affaires comme alternative collective en quelque sorte au dictat individuel du leadership MBA, guidé par le slogan « think outside the box ». Elle trouve confirmation dans les technologies de l’information, où nous assistons à des petites révolutions journalières, pour capter l’information, la formater, la traiter par des méthodes statistiques qui calculent des corrélations pour lier des éléments et les classer en fonction de leur pertinence.
En politique, la sagesse des foules n’a qu’une chance de s’exprimer lors d’une élection. La foule y cède sa sagesse par procuration aux représentants qu’elle élit. A force de déléguer ainsi, le processus démocratique discontinue le bénéfice du gouvernement du peuple par le peuple, c.à.d. qu’il renonce à la sagesse continuelle de la foule. A moins qu’une révolution se pointe à l’horizon pour redonner sa voix à la foule. Mieux que je ne puisse le faire moi-même, cette révolution est décrite dans l’excellent blog en référence :
« Je trouve que les blogs sont une réactivation de quelque chose qui était essentiel sous la démocratie athénienne, l’isègoria, le droit de parole pour tous à tout moment. Les Athéniens le considéraient comme le plus important de tous les droits dans la démocratie. Le fait que toutes les opinions dissidentes aient voix au chapitre protégeait la démocratie contre les erreurs, contre les dérives. Avec l’élection, on a renoncé au droit de parole pour chacun. Et Internet est un outil pour les humains qui ont toujours cette pulsion, ce besoin de s’exprimer, de protester, de résister. C’est l’isègoria qui revient sur le devant de la scène malgré les hommes politiques et je trouve ça très fort. » (3)
A vos blogs, citoyens !
Egide Thein
2009.06.08.
egidethein.blogspot.com
feierwon.blogspot.com
peckvillchen.blogspot.com
****************
(1) ISBN 978-0385503860
(2) ISBN 2-60459-441-1
(3) http://aixtal.blogspot.com/2007/01/lexique-isegoria.html
Tuesday, June 9, 2009
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