Le Luxembourg et sa Révolution
d'Octobre
La révolution était en l'air en ce mois d'octobre 2013 et le pouvoir
l'ignorait. Pas entièrement, car ses voix artificiellement alarmées ont essayé
de peindre le spectre de cette révolution au mur, à des fins électorales. Sans
vraiment y croire. Mais en démocratie, il est difficile d'arrêter une marche en
avant basée sur le redoutable verdict de l'arithmétique et sur un large
consensus qui veut le changement. Encore faut-il que quelques meneurs saisissent
l'occasion et exécutent avec détermination, forcément par surprise et
rapidement, sinon la tentative de révolution est stoppée là, nette. Ce qui fut
fait par l'action rapide du DP, du LSAP et De'i Gréng.
En ce sens nous vivons actuellement une "insurrection" tout à
fait légale contre un ordre, une coutume et une routine établis, car elle est
issue des urnes. Nous assistons en réalité à une mutation du régime tenu jusque
là par un quasi parti unique, le CSV. Sa longévité au pouvoir, son cachet sur
les institutions, et le clientélisme inévitable que produit une telle longévité,
ont drainé vers ce parti un éventail de plus en plus vaste de sensibilités en
dehors des sensibilités "chrétiennes". Celles-là cherchant le pouvoir
ou la proximité du pouvoir, de sorte que le parti, en élargissant son
attraction, s'est retrouvé avec une aile gauche sécularisée, qui représente
d'autres valeurs sociétales que les conservateurs à leur droite. On l'a vu lors
du débat sur l'euthanasie.
Cet élargissement était toléré sinon activement encouragé, car il était
utile et nécessaire à la pérennisation du pouvoir. L'ampleur de son réajustement
vers le centre et la perpétuité du pouvoir ont conduit à cette omniprésence du
CSV, à ses excès avec ses techniques de strangulation de la vie publique qui ont
provoqué le ras-le-bol des électeurs et des partis juniors, normalement appendices du "parti unique". Le CSV,
ses membres et ses électeurs feront leur introspection et tireront les conséquences
de l'actuel retour de la manivelle. On dit que l'excès mène au palais de la
sagesse.
Tout nouveau départ est fragile
Telle est la nature humaine et la vie des peuples. On y détecte comme un
rythme biologique: l'optimisme, la crise, l'oppression, la libération,
l'abondance, la misère, la catastrophe et la reconstruction. Le Luxembourg
vient de parcourir une zone de turbulences, ponctuée des scandales du Stade
National, du Bommeleeër, de Cargolux et du SREL, après un règne interminable de
toujours les mêmes, avec des dirigeants absents et un électorat cynique mais
prêt à bondir face aux "irremplaçables" du monde politique. Le rythme
biologique du Luxembourg venait de toucher un fond, quand eut lieu ce que
j'appelle le coup d'état du 10 juillet 2013. Ses auteurs n'ont pas été
confirmés par les élections. En face, l'enthousiasme et l'exubérance sont
toujours plus grands quand on a touché le fond et que le rebondissement promet
que les simples principes de liberté, d'égalité, et de fraternité seront restaurés.
Car imperceptiblement mais infailliblement une démocratie sans alternance glisse
vers un système où les cochons seront plus égaux, lois, décrets et règlements
aidant. Je fais bien-sûr allusion à la bien connue "Animal Farm" et
le devenir classique des vieilles démocraties.
A en croire une conférence de presse du parti chrétien social ce vendredi,
leurs représentants sont plus égaux et auraient un droit acquis et péremptoire de
former les gouvernements. J'aurais limité mon discours cependant à des simples
déclarations, comme quoi le CSV prend note de la volonté de trois partis
d'entrer en coalition, mais reste à disposition pour entrer au gouvernement
sous n'importe quelle configuration de coalitions possibles. Au lieu d'une
telle posture digne et responsable, on a eu droit à une pénible tirade de
mauvais perdant et de calculs de la petite laitière.
Le déni de la nouvelle donne était surprenant. Personne ne peut ignorer le
défi lancé par des plus jeunes à l'ordre établi, à la routine, à la coutume, à
la sclérose décrite même par la presse étrangère. Il est évidemment beaucoup
plus dur pour un parti de tomber de haut que de gravir les échelons. Clairement
le pays était en manque d'un renouveau que le CSV a omis ou ne pouvait délivrer
pendant des dizaines d'années au pouvoir. D'où les célébrations chez ceux d'en face,
quand l'arithmétique s'en mêlait.
Les mathématiques babyloniennes
du CSV
La prestation du leadership du CSV lors de la conférence de presse de
vendredi ne vaudrait pas le détour, si ce n'était l'occasion d'éclairer un héritage
conservateur, qui s'est singulièrement retourné contre eux: c'est le calcul de l'attribution
des sièges selon la loi électorale. Pour notre amusement appelons cela les mathématiques
babyloniennes, pas tellement pour son système sexagésimal basé sur le nombre 60,
comme le nombre des députés, mais pour la réputation babylonienne qui est
synonyme de confusion. Dans la langue de Wolter et dans ses calculs il y eut déjà
maintes confusions. Je voudrais y ajouter ma petite laitière, pour plus de
confusion.
Comme par exemple que le CSV est le grand vainqueur plus égal que les
autres quand il s'agit de la distribution des sièges. Le parti n'a que 33.68%
des votes, mais a 23 sièges, ce qui représente 38,33% des sièges. Le système,
sans doute conçu pour favoriser les grands partis et éliminer les petits, a favorisé
en particulier le CSV. Une distribution égale lui attribuerait 1 siège pour
1,66% des votes, soit 20 sièges seulement selon les chiffres nationaux. Il a
donc eu un bonus de 3 sièges. La petite laitière dirait 15%. L'ironie est que le
bonus de cet édifice obturateur, la loi électorale créée par le CSV, rend aussi
possible la coalition à trois avec 32 sièges, qui autrement, selon mes calculs
babyloniens, n'auraient totalisé que....29 sièges, contre CSV 20, Déi Lénk 3,
ADR 4, KPL 1, Piratepartei 2, et PID 1. Ce
petit exercice est juste pour la gymnastique cérébrale. Il n'a pas comme
objectif encore des Neiwalen que d'aucuns pourraient désirer. Il ne peut être pris au chiffre, car le report
des voix dans un seul district national aurait produit d'autres résultats. Et je
concède que la loi électorale dans
beaucoup de pays fixe un seuil minimum pour une entrée au parlement, qui sinon,
craint-on, devient un Babylone. Les "grands" partis ont dès lors peu
de raison pour changer la loi électorale. Quoique les districts électoraux datent
de l'ère de la diligence.
Le programme de coalition
La future opposition CSV se réjouit déjà des imbroglios imaginaires du
gouvernement futur. Astrid Lulling, elle-même Astre errant de parti, en parti,
en parti, pour en assimiler de façon holistique toutes les tendances en une seule
personne trinitaire, est trépidante d'anticipation. Elle sait pourtant par
expérience qu'elle-même est plus que les trois partis qui la composent. La
coalition sera pareillement plus que les trois partis qui la composent. Leur
seul défi sera de faire mieux que les gouvernements précédents. Cette barre
n'est pas trop haute. Malgré les années de vaches maigres, l'enthousiasme
aidant, et précisément grâce au large spectre d'orientations politiques
présentes, la chance est donnée de gouverner de façon équilibrée et surtout de réaliser
des innovations historiques. Devant cette coalition se trouvent deux catégories
d'actions urgentes: gouverner l'immédiat, et réformer notre cadre
institutionnel. Les deux efforts peuvent très bien être contemporains.
Gouverner
l'immédiat, c'est pallier au manque de prévision des dernières années. Ce sont les
mesures urgentes à prendre pour contrôler le chômage, préserver une place
financière qui ne soit plus controversée, développer des nouvelles activités. Dans
un Luxembourg dénudé de richesses naturelles, où il faut tout importer,
l'énergie, les matières premières, les équipements, les méthodes, voire la main
d'œuvre et les sociétés pour extraire une plus value, la formation des jeunes
est le défi majeur. La médiocrité ne permet pas d'obtenir un emploi à haute
valeur ajoutée, sans laquelle le modèle luxembourgeois à moyen terme ne pourra
être soutenu.
La nouvelle Constitution sera la clé de voûte de la coalition
La grande chance historique de la
coalition sera néanmoins de redéfinir nos institutions de façon durable. Ce
sont les réformes nécessaires pour une forme de gouvernement que même les
grands journaux étrangers qualifient de « sclérosée ».
Créer une
nouvelle Constitution veut dire faire du nouveau. Ce n'est pas un rafistolage
de l'actuelle Constitution. Ce n'est pas non plus le bricolage autour du projet
de "révision" de la Constitution, en chantier depuis des années dans
des chambres obscures, où quelques apparatchiks s'affairent à tergiverser
autour de compromis boiteux. (1)
Plus que dans tout autre projet, il
faudra organiser un débat public, si l'on ne rejette pas le principe que la souveraineté
réside dans le peuple, et de laisser au peuple la décision finale par référendum.
Le gouvernement, les partis, les communes et d'autres devraient prendre les initiatives de tels débats publics,
en vue d'établir un projet alternatif à celui en cours. Ce processus permettra à
l'opposition à faire valoir ses arguments, et de vraiment considérer aussi les
apports de certains petits partis, dont le discours est à la fois intelligent,
honnête et pas trop encombré de calculs d'auto-préservation.
Commençons la lecture du "Texte de la Proposition de Révision"(1),
ce que très peu de gens ont fait. Vous verrez un grand nombre d'articles que
vous voudriez voir supprimés, d'autres changés ou ceux qui sont virtuellement
nuls, car ils peuvent être interprétés, altérés ou complétés par une simple loi
obtenue à la majorité simple. Si vous ne vous occupez pas de cette Constitution,
elle s'occupera de vous.