Monday, October 28, 2013

Le Luxembourg et sa Révolution d'Octobre


    Rouge, Bleu Vert. Photo ET

Le Luxembourg et sa Révolution d'Octobre

La révolution était en l'air en ce mois d'octobre 2013 et le pouvoir l'ignorait. Pas entièrement, car ses voix artificiellement alarmées ont essayé de peindre le spectre de cette révolution au mur, à des fins électorales. Sans vraiment y croire. Mais en démocratie, il est difficile d'arrêter une marche en avant basée sur le redoutable verdict de l'arithmétique et sur un large consensus qui veut le changement. Encore faut-il que quelques meneurs saisissent l'occasion et exécutent avec détermination, forcément par surprise et rapidement, sinon la tentative de révolution est stoppée là, nette. Ce qui fut fait par l'action rapide du DP, du LSAP et De'i Gréng.

En ce sens nous vivons actuellement une "insurrection" tout à fait légale contre un ordre, une coutume et une routine établis, car elle est issue des urnes. Nous assistons en réalité à une mutation du régime tenu jusque là par un quasi parti unique, le CSV. Sa longévité au pouvoir, son cachet sur les institutions, et le clientélisme inévitable que produit une telle longévité, ont drainé vers ce parti un éventail de plus en plus vaste de sensibilités en dehors des sensibilités "chrétiennes". Celles-là cherchant le pouvoir ou la proximité du pouvoir, de sorte que le parti, en élargissant son attraction, s'est retrouvé avec une aile gauche sécularisée, qui représente d'autres valeurs sociétales que les conservateurs à leur droite. On l'a vu lors du débat sur l'euthanasie.

Cet élargissement était toléré sinon activement encouragé, car il était utile et nécessaire à la pérennisation du pouvoir. L'ampleur de son réajustement vers le centre et la perpétuité du pouvoir ont conduit à cette omniprésence du CSV, à ses excès avec ses techniques de strangulation de la vie publique qui ont provoqué le ras-le-bol des électeurs et des partis juniors, normalement  appendices du "parti unique". Le CSV, ses membres et ses électeurs feront leur introspection et tireront les conséquences de l'actuel retour de la manivelle. On dit que l'excès mène au palais de la sagesse.

Tout nouveau départ est fragile

Telle est la nature humaine et la vie des peuples. On y détecte comme un rythme biologique: l'optimisme, la crise, l'oppression, la libération, l'abondance, la misère, la catastrophe et la reconstruction. Le Luxembourg vient de parcourir une zone de turbulences, ponctuée des scandales du Stade National, du Bommeleeër, de Cargolux et du SREL, après un règne interminable de toujours les mêmes, avec des dirigeants absents et un électorat cynique mais prêt à bondir face aux "irremplaçables" du monde politique. Le rythme biologique du Luxembourg venait de toucher un fond, quand eut lieu ce que j'appelle le coup d'état du 10 juillet 2013. Ses auteurs n'ont pas été confirmés par les élections. En face, l'enthousiasme et l'exubérance sont toujours plus grands quand on a touché le fond et que le rebondissement promet que les simples principes de liberté, d'égalité, et de fraternité seront restaurés. Car imperceptiblement mais infailliblement une démocratie sans alternance glisse vers un système où les cochons seront plus égaux, lois, décrets et règlements aidant. Je fais bien-sûr allusion à la bien connue "Animal Farm" et le devenir classique des vieilles démocraties.

A en croire une conférence de presse du parti chrétien social ce vendredi, leurs représentants sont plus égaux et auraient un droit acquis et péremptoire de former les gouvernements. J'aurais limité mon discours cependant à des simples déclarations, comme quoi le CSV prend note de la volonté de trois partis d'entrer en coalition, mais reste à disposition pour entrer au gouvernement sous n'importe quelle configuration de coalitions possibles. Au lieu d'une telle posture digne et responsable, on a eu droit à une pénible tirade de mauvais perdant et de calculs de la petite laitière.

Le déni de la nouvelle donne était surprenant. Personne ne peut ignorer le défi lancé par des plus jeunes à l'ordre établi, à la routine, à la coutume, à la sclérose décrite même par la presse étrangère. Il est évidemment beaucoup plus dur pour un parti de tomber de haut que de gravir les échelons. Clairement le pays était en manque d'un renouveau que le CSV a omis ou ne pouvait délivrer pendant des dizaines d'années au pouvoir.  D'où les célébrations chez ceux d'en face, quand l'arithmétique s'en mêlait.

Les mathématiques babyloniennes du CSV

La prestation du leadership du CSV lors de la conférence de presse de vendredi ne vaudrait pas le détour, si ce n'était l'occasion d'éclairer un héritage conservateur, qui s'est singulièrement retourné contre eux: c'est le calcul de l'attribution des sièges selon la loi électorale. Pour notre amusement appelons cela les mathématiques babyloniennes, pas tellement pour son système sexagésimal basé sur le nombre 60, comme le nombre des députés, mais pour la réputation babylonienne qui est synonyme de confusion. Dans la langue de Wolter et dans ses calculs il y eut déjà maintes confusions. Je voudrais y ajouter ma petite laitière, pour plus de confusion.

Comme par exemple que le CSV est le grand vainqueur plus égal que les autres quand il s'agit de la distribution des sièges. Le parti n'a que 33.68% des votes, mais a 23 sièges, ce qui représente 38,33% des sièges. Le système, sans doute conçu pour favoriser les grands partis et éliminer les petits, a favorisé en particulier le CSV. Une distribution égale lui attribuerait 1 siège pour 1,66% des votes, soit 20 sièges seulement selon les chiffres nationaux. Il a donc eu un bonus de 3 sièges. La petite laitière dirait 15%. L'ironie est que le bonus de cet édifice obturateur, la loi électorale créée par le CSV, rend aussi possible la coalition à trois avec 32 sièges, qui autrement, selon mes calculs babyloniens, n'auraient totalisé que....29 sièges, contre CSV 20, Déi Lénk 3, ADR 4, KPL 1,  Piratepartei 2, et PID 1. Ce petit exercice est juste pour la gymnastique cérébrale. Il n'a pas comme objectif encore des Neiwalen que d'aucuns pourraient désirer.  Il ne peut être pris au chiffre, car le report des voix dans un seul district national aurait produit d'autres résultats. Et je concède que  la loi électorale dans beaucoup de pays fixe un seuil minimum pour une entrée au parlement, qui sinon, craint-on, devient un Babylone. Les "grands" partis ont dès lors peu de raison pour changer la loi électorale. Quoique les districts électoraux datent de l'ère de la diligence.

Le programme de coalition

La future opposition CSV se réjouit déjà des imbroglios imaginaires du gouvernement futur. Astrid Lulling, elle-même Astre errant de parti, en parti, en parti, pour en assimiler de façon holistique toutes les tendances en une seule personne trinitaire, est trépidante d'anticipation. Elle sait pourtant par expérience qu'elle-même est plus que les trois partis qui la composent. La coalition sera pareillement plus que les trois partis qui la composent. Leur seul défi sera de faire mieux que les gouvernements précédents. Cette barre n'est pas trop haute. Malgré les années de vaches maigres, l'enthousiasme aidant, et précisément grâce au large spectre d'orientations politiques présentes, la chance est donnée de gouverner de façon équilibrée et surtout de réaliser des innovations historiques. Devant cette coalition se trouvent deux catégories d'actions urgentes: gouverner l'immédiat, et réformer notre cadre institutionnel. Les deux efforts peuvent très bien être contemporains.

Gouverner l'immédiat, c'est pallier au manque de prévision des dernières années. Ce sont les mesures urgentes à prendre pour contrôler le chômage, préserver une place financière qui ne soit plus controversée, développer des nouvelles activités. Dans un Luxembourg dénudé de richesses naturelles, où il faut tout importer, l'énergie, les matières premières, les équipements, les méthodes, voire la main d'œuvre et les sociétés pour extraire une plus value, la formation des jeunes est le défi majeur. La médiocrité ne permet pas d'obtenir un emploi à haute valeur ajoutée, sans laquelle le modèle luxembourgeois à moyen terme ne pourra être soutenu.  

La nouvelle Constitution sera la clé de voûte de la coalition

La grande chance historique de la coalition sera néanmoins de redéfinir nos institutions de façon durable. Ce sont les réformes nécessaires pour une forme de gouvernement que même les grands journaux étrangers qualifient de « sclérosée ».

Créer une nouvelle Constitution veut dire faire du nouveau. Ce n'est pas un rafistolage de l'actuelle Constitution. Ce n'est pas non plus le bricolage autour du projet de "révision" de la Constitution, en chantier depuis des années dans des chambres obscures, où quelques apparatchiks s'affairent à tergiverser autour de compromis boiteux. (1)  

Plus que dans tout autre projet, il faudra organiser un débat public, si l'on ne rejette pas le principe que la souveraineté réside dans le peuple, et de laisser au peuple la décision finale par référendum. Le gouvernement, les partis, les communes et d'autres devraient  prendre les initiatives de tels débats publics, en vue d'établir un projet alternatif à celui en cours. Ce processus permettra à l'opposition à faire valoir ses arguments, et de vraiment considérer aussi les apports de certains petits partis, dont le discours est à la fois intelligent, honnête et pas trop encombré de calculs d'auto-préservation. 

Commençons la lecture du "Texte de la Proposition de Révision"(1), ce que très peu de gens ont fait. Vous verrez un grand nombre d'articles que vous voudriez voir supprimés, d'autres changés ou ceux qui sont virtuellement nuls, car ils peuvent être interprétés, altérés ou complétés par une simple loi obtenue à la majorité simple. Si vous ne vous occupez pas de cette Constitution, elle s'occupera de vous.



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