Wednesday, November 28, 2012

Cargolux - Qatar Airways: Autopsie d'un mariage forcé

Sunset in Key West Florida. Photo Egide Thein



Cargolux - Qatar Airways: Autopsie d'un mariage forcé



Par intervention divine ou était-elle prime-ministérielle, une histoire d'espionnage de série B hallucinante, avec B comme dans Bommeleeër, est venue masquer le fin mot sur le mariage forcé et raté de Cargolux. Or le fin mot sur ce mariage est que c'était une faute, une fausse solution à un vrai problème, une opération inutile, superflue, opaque et douteuse, abusive et coûteuse. L'affaire laisse une Cargolux divorcée avec plus de plomb dans l'aile qu'auparavant.

La vente de 35% de Cargolux ne faisait d'autre sens que de libérer les investisseurs privés.

La volonté affichée de s'allier avec un "partenaire industriel" qui donnerait aussi accès à du capital, sans spécifier comment, était une belle pensée théorique. C'est la base fragile de l'appréciation erronée qui a été faite.

La réalité est que deux sociétés actives dans le même secteur sont essentiellement des concurrents. La pensée était que le partenariat avec Qatar Airways, (QR), allait produire des avantages mirobolants à Cargolux, (CV). Ce n'était qu'une rêverie dépourvue de bonne diligence, et selon mes sources, sans engagement ni promesse formelle de la part de QR. Selon les dires de Monsieur Juncker, ce partenariat allait fournir des nouvelles routes, des nouveaux clients, du nouveau business et de nouveaux emplois à CV. Cette affirmation n'était basée sur rien. Mais concrètement CV projetait 500-600 tonnes de fret supplémentaires par semaine au Findel et Luxair de par son handling voyait des revenus en augmentation de plusieurs millions de dollars. Sans parler du résultat de la vente d'une partie de sa participation dans CV.

Selon mes sources encore, la bonne diligence conduite par QR était extensive et n'avait aucune réciprocité du côté luxembourgeois. Ainsi QR demandait contractuellement accès à tous les renseignements comptables, commerciaux, opérationnels, organisationnels et légaux sur CV. Aucune demande réciproque de la sorte n'était faite à QR! Il faut conclure qu'à ce jour CV ne sait même pas si QR est profitable, quels sont leurs clients, leurs obligations quelconques envers des tiers, quel est la stratégie de développement du hub de Doha, pourtant essentielle pour comprendre le business de QR. En effet, le négociateur luxembourgeois était quasi inexistant.

Ainsi la lamentable valorisation à $117,5 millions pour 35% de la société est la preuve de cette incompétence, sinon de mauvaise foi. Une vague référence à la valeur comptable de la société ne suffit pas pour convaincre le commun des mortels du bien fondé de cette valorisation, à peine $335 millions. Cargolux avait bien plus de valeur pour un acheteur qui opère 4 tires depuis 5 ans seulement. CV, c'est 42 ans d'expérience, plus de 1500 employés parfaitement entrainés, des routes, des clients , des marchés. A l'issue de l'année 2010 avec un profit de $60 millions, il n'y avait pas d'arrogance de chiffrer la valeur entre $500 millions et $1 milliard. Le candidat chinois Yangtze River Express/HNA, ne s'y est pas trompé: il a offert pour ouvrir une négociation un prix bas de $175 millions pour 35% de CV, certain qu'il serait négocié vers le haut. Cela vaut acquiescement d'une valorisation de $500 millions au moins. Il adoucissait même son offre avec une offre de prêt de $200 millions à 2% d'intérêt, alors que QR offrait vaguement d'augmenter sa participation à 49% sans indication de prix ou des modalités envisagées. La question du capital supplémentaire, tout comme des "synergies" était habilement escamotée, sinon négligée pour se concentrer sur ce qui paraissait la priorité des priorités: libérer les actionnaires privés, surtout BIP et le fond Luxavantage de la BCEE, aux meilleures conditions. Cet épisode à l'intérieur de l'affaire a été détaillée dans un article de V. Poujol dans le Land (1) et vaut la peine d'être rappelé ici.

L'acquisition de 35% de CV par QR était une transaction à géométrie variable.

C'était un jeu d'actions ordinaires et d'actions privilégiées, qui au cours d'une opération fiduciaire confiée à la banque ING apparaissaient et disparaissaient comme dans un grand numéro de prestidigitation. L'opération, qui serait probablement illégale dans la plupart des pays occidentaux, a en fait procuré une plus-value équivalente à $12,50, soit près de 40%, aux actions privilégiées de BIP et du fond Luxavantage de la BCEE, qui ont liquidé toutes leurs positions. La SNCI et la BCEE en tant que banque appartenant 100% à l'Etat et Luxair ont simplement converti leurs actions privilégiées en actions ordinaires au taux 1:1, donc sans la plus-value de 40%. L'Etat curieusement n'avait pas d'actions privilégiées lui-même. Par contre l'Etat, donc le contribuable, étant le commun propriétaire de SNCI, BCEE et Luxair a fait renoncer ceux-là à une plus value d'environ $43 millions dans la conversion, mais a permis aux investisseurs privés sortants de réaliser une plus value de près de $7 millions.

C'est donc le gouvernement qui décide qui fait un bénéfice.

C'est ce que j'appelle le corporatisme d'Etat. L'Etat a aussi décidé contre l'investisseur chinois, qui avait offert $175 millions pour la même participation, soit 50% de plus que QR, soit une valorisation de la compagnie de $500 millions ou $165 millions de plus que QR. Les actionnaires de BIP et Luxavantage qui n'avaient d'autre souci que de sortir de là calculeront leur manque à gagner en ce cas eux-mêmes. Sans avaler l'excuse de négociations exclusives avec QR. L'exclusivité avec QR n'existait que pour trois mois, le délai standard dans ce genre de contrat entre la signature et le "closing".

Parmi les autres actionnaires paraétatiques, on n'a entendu protester personne contre ces pratiques. La BCEE, par sa double présence en tant que banque et son fond Luxavantage pousse la schizophrénie dans cette opération jusqu'à approuver sous les mêmes signatures le traitement privilégié pour Luxavantage et non-privilégié pour la banque. C'est preuve que le corporatisme d'Etat tend à promouvoir ses plus fidèles et obéissants membres aux postes de commande. Besoin de leadership? Survient alors QR avec Monsieur Al Baker, qui lui tire les mêmes conclusions, et le fait savoir.

Mariage abusif

Déjà l'accord prénuptial avec CV penchait totalement en faveur de QR, lui donnant accès à tous les secrets et informations, sans réelle réciprocité. Monsieur Al Baker arrive au Luxembourg en Septembre pour consommer le mariage. Selon le principe que "His Highness kicks ass", il apprend au management de Cargolux qu'ils sont incompétents et Boeing apprend qu'ils vendent de la camelote, provoquant le bel embarras d'une livraison festive du premier Boeing 747-8 avortée.  

On connait la suite dans laquelle CV perd sa dot, ses clients, sa confiance et son reste de stabilité. L'absence de synergies, de nouveau business et l'accumulation de menaces en appellent au bon sens pour corriger la trajectoire. Les plans dans les tiroirs, ou ceux mijotant chez des consultants, ou tout simplement certains accords existants ont fait craindre le pire aux employés, car les idées avancées ne laissaient aucune place à un quelconque attachement émotionnel au Luxembourg. Elles étaient toutes en chiffres. Les syndicats ont probablement vu le piège potentiel qui existait en une prise de contrôle par QR pas seulement dans les faits (on y était déjà!), mais aussi formellement. Car QR pouvait détenir jusqu'à 49% de CV. Par le biais de BIL, acquise par Precision Capital, et Luxair, une prise d'influence était programmée.  De même jouait l'évident corollaire que 51% de CV, le solde, devaient appartenir à des groupes européens: Precision Capital est un groupe européen.

C'est sans doute l'impatience, une attitude de prima-donna qui a alarmé tant de monde et mis le public luxembourgeois en défensive. La raison formelle du divorce est en fait superficielle et même absurde: Monsieur Forson n'a pas été accepté par les actionnaires luxembourgeois comme CEO alors qu'en même temps ils lui ont exprimé leur confiance. Les raisons sont plus profondes comme nous savons.

Rendre la divorcée plus belle encore

Quel gâchis. Ajoutez deux années d'opportunités ratées. Bien-sûr, personne n'est responsable dans le système du corporatisme d'Etat. L'Etat, gouffre anonyme, assume. Ainsi il se rendra compte, après une autre expertise peut-être, que le Luxembourg s'est vidé de beaucoup de substance économique ces dernières années, que perdre Cargolux ferait franchir le pas vers une catastrophe d'ampleur. En attendant d'autres investisseurs, car c'est une question de capital dorénavant, l'Etat devra bien colmater la brèche, consolider, économiser, développer CV.

En ce qui concerne le partenaire cargo idéal, il n'existe pas. En supposant que QR veuille vendre ses parts, les autres actionnaires ont le droit de premier refus. En somme, ce sera une sorte de vente aux encheres. Tenez, pour faire avancer le schmilblick, qui offre $1 pour démarrer? Mais en attendant QR garde ses droits contractuels. S'il faut vraiment un autre partenaire "stratégique", voici un petit dessin: vaut-il mieux s'allier avec quelqu'un qui est géographiquement très loin, opère dans un grand marché exportateur en plein développement, qui donc offre plus que cet autre choix qui est plus près, un débutant qui doit apprendre, qui veut construire un grand aéroport à Doha, près de ses cousins qui tous veulent faire la même chose juste 50 km plus loin?

(1) http://tinyurl.com/d2vnuk6


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