Smooth Sailings for Europe? Photo ET
Et pourtant l’Europe aurait pu se faire !
Je me rappelle du Président Pompidou revenant du Sommet de La Haye en 1969 déclarant
sa satisfaction, parce que « le Sommet a été bénéfique pour la France
d’abord, pour l’Europe ensuite ». Comme beaucoup de jeunes Européens
« fleur bleue » de l’époque, j’étais mi- encouragé par ces propos,
car la construction européenne avait été en panne, mais aussi mi- offensé, car
l’égocentrisme français plaçait la France devant l’Europe. L’Europe
supranationale par libre adhésion pourtant avait été un idéal suprême après
deux guerres mondiales meurtrières.
Le Traité de Rome de 1957 parlait d’une « union sans cesse plus
étroite entre peuples européens ». Cela fait 57 ans, et à ce jour on ne
sait toujours pas quelle sera cette union : seront-ce les Etats-Unis
d’Europe, une Confédération, un Marché Unique ou va-t-on continuer le Grand
Machin mal défini, non-démocratique, que l’on ajuste selon les besoins de
refuge d’une gérontocratie européenne après des échecs électoraux chez soi ?
Et on dirait que plus on avance, plus le Grand Machin mal défini s’éloigne,
vers une union sans cesse moins étroite.
Combien de temps pour faire (défaire)
un Empire ?
Donc on construit sans plan depuis 57 ans, une construction organique selon
les courants, à peine darwinienne, sauf pour sauvegarder la gérontocratie. Vous
direz que Rome ne s’est pas faite en un jour. Mais Rome avait un plan. Et elle
avait fini par unir l’Europe, bien-sûr selon son plan, et avec le glaive.
Atteignant un sommet de civilisation politique qu’il faudra par la suite des siècles
pour retrouver, l’Empire Romain a duré des siècles. C’est l’autre considération
pour mesurer le succès d’un Empire, la durée, car ils naissent et dépérissent.
Une autre variable est l’idéologie qui les anime. Charlemagne et ses
successeurs ont présidé au triste essor du féodalisme, garantissant l’obscurantisme
qui nous a jetés plusieurs siècles en arrière. L’aventure napoléonienne avait
moins de souffle : une quinzaine d’années pour atteindre Waterloo,
synonyme de fin d’Empire. Comment mieux définir l’idéologie napoléonienne que
par l’ego d’un homme. « Commediante, Tragediante » lui disait le
Pape. Vint ensuite Hitler avec un plan d’un Empire Nazi millénaire. Cela durait
12 ans. Mais il avait un plan. Tout comme l’idéologie suivante, le communisme
de Lénine et de Staline. L’Union Soviétique tenait la route tant bien que mal
pendant 70 ans. Mais ils avaient un plan : la route du communisme mondial
ne va pas de Moscou à Paris, mais de Moscou par Pékin à Paris.
Puis vient le Grand Machin de l’Union Européenne. On ne conquiert rien avec
le glaive. On n’a pas de plan non plus sauf une idée générale de construire une
union sans cesse plus étroite entre les peuples européens. C’est une idéologie
agnostique, où tous peuvent imaginer une finalité à leur façon pour le Grand
Machin. Sauf que ce sera basé sur une Economie de Marché. Le reste sera la
conduite de la bataille des intérêts particuliers.
Avez-vous remarqué que tous ces exemples historiques de construction européenne
ont tous produit une nomenclature féodale, partisane, non-démocratique. Le 1%
quoi !
David Cameron a tort, s’il n’a
pas raison
Sa vision du Grand Machin est en la circonstance aussi valide que celle de
ses camarades dans le bac à sable européen. Mais quelque part sous-jacent à
toutes ces diverses visions, il doit y avoir des dénominateurs communs. Comme
par exemple si on joint un club de football, c’est parce qu’on veut jouer au
football selon les règles du football. Joindre une Union Européenne, suggère qu’on
ferait quelque chose en commun pour l’Europe en observant certaines règles du
jeu. Là vous me parlez en fait d’une Constitution Européenne, qu’on a tronquée
en Accords de Lisbonne, un autre machin. Elle a autant de pages que la
Constitution américaine a de mots. Il est vrai qu’on avait confié son élaboration
à un normalien français, alors que la Constitution américaine est le fruit d’esprits
libres de toute contamination politique antérieure.
Que devrait être ce Machin Européen ? Certainement un Marché Unique était
une bonne idée. Mais pour que l’Europe fasse le poids dans le monde, c’est l’union
qui devrait faire la force. Il faut un Gouvernement central, élu, tenu
responsable par un Parlement. Donc PLUS d’Europe. Il devrait recevoir un transfert
de souveraineté des Etats membres. Pour « faire le poids » internationalement
et être une alternative aux puissances américaine, chinoise et russe, la
politique étrangère doit être d’une voix unique, la politique économique (et
monétaire) un ensemble consistant et la défense une défense commune. Tout cela
a été tenté partiellement, provisoirement, intuitivement, sans se soucier de
quelques principes essentiels : Une Lady britannique est vaguement en
charge de la diplomatie européenne qui n’est pas définie, l’Euro a connu un
lancement précipité et malencontreux qui remplaçait l’Ecu seul outil monétaire viable
sans plus de coordination économique, et en guise de défense commune il y a une
Brigade européenne juste bonne pour défiler.
M. Cameron, M. Hollande et d’autres devraient se décider s’ils veulent
appartenir au club et respecter les règles, ou sortir de là. Rester a des conséquences
comme par exemple abandonner ses terrains de jeux privilégiés en Afrique ou ailleurs, abandonner le bouton nucléaire
à un Président européen et consolider les budgets de défense, réduire le nombre
d’ambassades d’environ 2.000 à 192 dans une ère où le tweet a remplacé la « note
verbale », et repositionner l’euro dans un contexte de gouvernance qui
comporte entre autres l’élimination du menu chinois qui laisse le choix à tous
de participer aux règles ou de s’en distancer, comme Schengen et d’autres.
David Cameron a raison, s’il n’a
pas tort
Il est important de faire une mise au point : je ne suis pas un
enthousiaste inconditionnel des choses américaines. Mais encore une fois, la
Constitution américaine est une belle construction de l’esprit humain (par
opposition à l’esprit partisan). Elle laisse aux Etats l’autorité de s’occuper
de choses qu’ils sont les mieux équipés pour adresser. C’est le principe de subsidiarité.
C’est MOINS d’Europe. L’art est de doser le partage entre PLUS et MOINS de façon
à satisfaire les soucis de subsidiarité chers à
David Cameron, assez pour un compromis lui permettant d’abandonner
quelques pans de souveraineté, suffisants pour que l’Europe puisse s’affirmer
sur la scène internationale, économiquement, diplomatiquement et militairement.
L’Europe a besoin d’une
destruction créatrice
Malheureusement l’Europe s’est égarée au point de devenir un Machin non-démocratique. Elle a perdu le support du public, et des réformes
seront difficiles. Il faudrait à la fois avancer plus vite et plus loin dans la
gouvernance centrale, et faire marche arrière sur nombre d’égarements. Détruire
les excroissances que nous devons aux gardiens du Machin, pour faire du neuf.
Dans ce contexte l’élection du prochain Président de la Commission est un
cas d’espèce. Je parle de Jean-Claude Juncker, candidat dont la candidature
semble plus importante que le projet européen. Sous l’argument de la démocratie
que je cherche en vain dans la démarche de cette « élection » qui n’en
est pas une. Ni dans un sens, ni dans l’autre.
D’abord je ne suis personnellement pas en faveur des ambitions des leaders
politiques luxembourgeois qui développent une obsession pour accéder à des
postes internationaux. Leur terroir national leur devient trop étroit, donc ils
délaissent généralement leur électorat qui les a choisis pour des responsabilités
nationales. Monsieur Juncker est un de ceux qui ont négligé leur fonction
nationale. Comme Premier Ministre, il a été absent pendant huit années pour
assouvir des ambitions européennes telles que de jouer le rôle de M. Euro. Il
vient d’être élu parlementaire luxembourgeois, avec la promesse d’être soit
Premier Ministre, soit leader de l’opposition. Il est leader de l’opposition,
mais déjà absent pour raison d’ambition européenne. Ce sera la continuité du
Grand Machin non démocratique des 1%. Il est un vétéran de cette Europe-là et a
l’avantage de connaitre ses méandres. Il peut aussi tout simplement être un intermédiaire
utile et traducteur entre les autres dans le bac à sable européen, qui ne
parlent qu’une langue. Mais il peut être ennuyant : ses camarades lui
reprochent quelques habitudes qui ne se cachent plus.
Si ses actions passées sont une indication pour son « programme »,
rien ne changera. Il a fait de son parti catholique, le CSV, un parti séculaire
tout venant pour les opportunités qu’il offrait comme force dominante, au point
qu’on appelait ce genre népotiste luxembourgeois « l’Etat CSV ». Dernièrement
le parti a voté en faveur d’agendas sociaux progressistes qui normalement ne
sont pas supportés par des partis religieux. On peut parler de succès sous l’aspect
de la consolidation du pouvoir.
Dernièrement cependant il y a eu problème. Les élections de 2013, anticipées,
ont produit une autre majorité. Il est vrai que le Premier Ministre absent
a connu une série de scandales autour des services secrets, d’un Stade
National, et de Cargolux. Ailleurs le centre financier a connu le démantèlement
de quelques niches bien profitables tel le secret bancaire. Et puis il y a
cette plaie pour les 99% : le chômage qui sous M. Juncker a augmenté de
2,9% à 7,1%, sans compter les chômeurs frontaliers et les emplois provisoires subsidiés.
Enfin comme M. Euro il a maîtrisée la crise en socialisant les pertes des
banques, et surtout permis une première, permettant aux banques chypriotes en difficulté
de saisir une partie des avoirs des clients.
Et pour la fin, la danse du
quadrille
Ces jours-ci il y aura les grandes manœuvres pour « élire » ou ne
pas élire Juncker Président de la Commission Européenne. Ce n’est pas un
processus démocratique, mais un marchandage. M. Juncker était « candidat »
tête de liste lors des élections européennes, sans être sur une liste. Il n’a
donc pas été élu député européen, mais parait-il ces élections sont sa légitimité.
Le public luxembourgeois supporte sa nomination par solidarité avec un des
leurs, tout comme ils préfèreraient qu’un luxembourgeois gagne le Tour de France..
Le nouveau gouvernement aussi, car il évacuerait une belle-mère incommode à
Bruxelles. Reste les discordes dans le bac à sable à résoudre. Et si tout va
bien pour M. Juncker, sera-t-il le Président des 1% ? Qu’en disent 12,5%
de chômeurs européens ? Les 99% constateront qu’il sera le troisième Président
luxembourgeois de la Commission sur les 12 qu’il y a eus dans le passé. Comme
quoi un Grand Machin a souvent besoin de plus petit que soi.
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