Nation Branding en Carte Postale. Photo ET
Le Luxembourg est-il un Paradis Judiciaire?
Mémoire au
Ministre de la Justice
Tout le monde sait que la Justice luxembourgeoise est
inacceptablement lente au point de ne pas vraiment rendre justice. "Justice
différée est justice déniée" dit le proverbe. On la critique aussi pour sa
mollesse en général, et ses égards et sa mansuétude envers la Grande Finance. L'investisseur
lésé, (surtout étranger) apprend qu'on ne gagne pas contre la Banque au
Luxembourg! Et les peines pénales sont tellement modérées que le crime
financier est un bon placement. Mais le public luxembourgeois s'en
désintéresse, car pense-t-on généralement, cela ne me concernera jamais. Pourtant
cette organisation judiciaire gravement défaillante nous concerne tous, par les
effets pervers qu'elle aura tout simplement sur le niveau de vie de tous les Luxembourgeois.
Quand le centre financier va, tout va.
Le Luxembourg d'aujourd'hui est un don de la Finance,
comme l'Egypte est un don du Nil, pour paraphraser un vieux sage. La place
financière est déterminante pour le niveau de vie des Luxembourgeois. Elle
représente environ 38% du PIB, 25% des recettes de l'Etat (c'est relativement
peu, mais une clé du succès), et occupe 63.000 personnes directement et
indirectement. Elle doit son essor depuis les années 70 en grande partie à sa
réputation d'accommoder l'évasion fiscale. Fort heureusement les services se
sont diversifiés au-delà de l'aide à l'évasion fiscale organisée, qui touche à
sa fin pour cause de fin du Paradis fiscal. Déjà le centre peine à payer notre niveau
de vie. Les nouveaux services financiers ne suffisent pas pour pallier au
manque à gagner par la perte du Paradis fiscal prévue pour le 1er janvier 2015.
Mais, l'acceptabilité internationale est ainsi retrouvée grâce à l'échange automatique
d'informations fiscales, imposé par l'étranger. Cette rentrée dans les rangs vient
avec un prix important, la perte d'une niche dorée, donc de revenus. Les 12,5
milliards d'euros de dette publique en sont une révélation.
Dans cette perspective de la perte de revenus, ce sera
une faute grave de ne pas adresser le spectre du Paradis judicaire (et
réglementaire), frère jumeau du Paradis fiscal. Ce frère-là risque de faire
fuir le client honnête et déjà attire le fraudeur. Il sera sous peu aussi sous
les feux croisés de la communauté internationale. L'impunité du criminel et
l'arrogance et l'immunité des institutions financières alimenteront le bouche à
oreille des investisseurs et des criminels. Comme jadis la fiscalité zéro
attirait les épargnants du monde entier, la connotation négative de Paradis
judiciaire les fait fuir, ruine une réputation, et forcément les revenus de la
place. Par contre, les fraudeurs prennent note de ce nouveau pays d'opportunité.
La vache et le gouvernement
Pour vous illustrer l'absurdité de la situation, j'aime
citer l'affaire presque hilarante, sauf pour les victimes, de la vache
volée. C'est l'affaire de M. Gustave Rausch, fermier
à Mertzig. Il a porté plainte contre son voisin (pas nommé, vie privée et
Paradis obligent) qu'il a accusé d'avoir volé une de ses vaches (Blimmchen, je
pense). L'affaire, après une éternité, a été portée devant la Cour Européenne
des Droits de l'Homme de Strasbourg. Voici les faits tels que résumés par Søren
Nielsen, greffier de la Cour Européenne des Droits de l'Homme à Strasbourg:
"Le requérant, Gustave Rausch, est
un ressortissant luxembourgeois né en 1951 et résidant à Mertzig (Luxembourg).
Il est cultivateur. En 1998, il déposa une plainte avec constitution de partie
civile contre son voisin, qu’il accusait de lui avoir volé un bovin et d’avoir
fait falsifier le numéro de l’animal."
Treize ans plus tard, en 2011, les
sages de Strasbourg ont donné raison à M. Rausch qui a accusé le Gouvernement
luxembourgeois de maintenir un système judiciaire tellement obsolète que ses
droits de l'homme ont été violés. Voici leurs conclusions:
"Le Gouvernement admet que la
durée de la procédure en jeu n’a pas été raisonnable. Vu l’absence de
complexité de l’affaire et conformément à sa jurisprudence, la Cour parvient à
la même conclusion. Elle note par
ailleurs avec une très vive inquiétude qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé, puisqu’elle
a constaté à plusieurs reprises une violation de l’article 6 § 1 dans des
affaires soulevant des questions de délai raisonnable semblables à celle du cas
d’espèce. Elle ne saurait assez insister sur le fait que les États doivent
se donner les moyens nécessaires et suffisants pour garantir à chacun le droit
d’obtenir une décision définitive dans un délai raisonnable.
La Cour
conclut, par conséquent, à la violation de l’article 6 § 1.
Elle dit que le
Luxembourg doit verser à M. Rausch 16 000 euros (EUR) pour le dommage moral
qu’il a subi du fait de la durée de la procédure, et 1 500 EUR pour frais et
dépens."
L'histoire ne
dit pas si M. Rausch a finalement récupéré sa vache. Probablement non, puisque "le
pénal tient le civil en l'état". M. Rausch aura sans doute vu tous les
jours son bien quadrupède meuglant dans le troupeau du voisin. Je vous garantis
que le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg, malgré ces condamnations à
répétition, n'a rien compris et continue ses violations de l’article 6 § 1.
L'état lamentable de la justice
Vous me direz que je parle et que je ne
suis même pas juriste. Je suis même mieux équipé que quiconque pour tenir ces
propos, car j'ai été la victime d'un crime qui dix ans après n'est toujours pas
châtié. On n'écrit bien que sur ce qu'on a vécu. J'ai le malheur d'être un client
de la justice luxembourgeoise, donc bien-sûr une victime de ses lenteurs. Mon
histoire remonte à 2004-2005 quand j'ai introduit une plainte pénale avec
constitution de partie civile pour fraude contre deux individus au Luxembourg.
Au moment d'entamer sa 11e année, la
procédure pénale est toujours coincée quelque part. Les deux inculpés, qui ont
joué de toutes les manœuvres dilatoires, ont finalement été condamnés. Mais ils
ont eu droit à une peine réduite en raison "des retards inacceptables"
résultant de leurs propres manœuvres dilatoires! Alors que le tarif aurait permis une peine
maximale de 5 ans de prison, CB (on ne
dit pas de noms au Luxembourg) n'a été condamné qu'à 1 an de prison avec sursis,
FM à 2 ans de prison avec sursis. Ils ont été quand-même condamnés aussi à restituer
des montants très importants aux sociétés victimes de leurs abus de biens
sociaux. FM a fait appel. Il a aussi organisé son insolvabilité.
Donc on remet tout aux calendes
grecques, surtout pour la résolution dans le civil. Car au Luxembourg on scande
encore un slogan archaïque importé, adage inepte du 19e siècle, qui n'est même
plus en vigueur dans son pays d'origine, la France. C'est cette ringarde que
"le pénal tient le civil en l'état". Ce qui traduit en langage
compréhensible veut bien dire qu'alors que le pénal est déjà en retard, le
civil le sera encore plus, car il faut attendre la conclusion du pénal. Mais
attendez, ce n'est pas tout. Après cinq ans dans le marasme de cette procédure
pénale, l'Administration des Contributions est venue me réclamer des impôts sur
les revenus inexistants, parce que volés sans doute, et elle est restée d'une
intransigeance kafkaïenne. Son "tax ruling" envers moi, victime d'une
fraude et cas de rigueur était donc diamétralement opposé aux "tax rulings"
dont bénéficient Fiat et d'autres sur leurs bénéfices mondiaux parqués au
Luxembourg.
Faudra-t-il plus de 13 ans pour
résoudre mon cas, horizon 2015-2016? Les deux condamnés en attendant mènent
grande vie que je paie. A chaque nouvelle échéance refixée par le tribunal, des
mois et des mois seront ajoutés aux retards. Les avocats et les juges (s'ils ne
font pas l'impasse sur le dossier) devront relire leurs notes pour savoir où on
en est. Entretemps, des témoins sont morts. Comme la vache de M. Rausch l'est assurément
aussi. J'irai, le temps venu à Strasbourg pour faire corriger le mauvais élève
Luxembourg encore une fois.
Il faut savoir que la banque BIL saisit
ma pension depuis 10 ans, avec comme motif les pertes qu'elle a subies suite
aux opérations frauduleuses des deux condamnés. Avec une vengeance dirait-on.
Elle invoque une garantie, comme si j'avais garanti la fraude, qui en plus se
passait sous les yeux de la banque! Sachez, braves clients étrangers, qu'au Luxembourg,
on ne gagne pas contre la banque! Au fil des années, force est de se demander
si cela est de l'incompétence, de la méchanceté, ou s'il s'agit de cette
corruption politique typique par
influence sinon par interférence et ingérence mafieuse?
Madoff, Landsbanki, BCCI et les 1.500 autres
Quelles conclusions devez vous tirer de
ces réalités, vous les milliers de victimes de la forteresse luxembourgeoise et
de ses fraudeurs Madoff, Landsbanki, Kaupthing, BCCI aussi appelée "Bank
of Crooks and Criminals"? Eh bien, que vous n'êtes pas sortis de
l'auberge. Pour les premières victimes, dont l'histoire ne dure que depuis 5-6
ans, préparez-vous à patienter encore quelques années. Peut-être que 13 ans
serait une expectation réaliste? Vous savez maintenant que vos droits de
l'homme seront violés par un gouvernement récidiviste. A la fin vous apprendrez
peut-être aussi que la Banque, ou Madoff et ses sous-fifres, auront une peine
réduite à cause des lenteurs de la justice luxembourgeoise, ou pire, un
non-lieu. En tous cas, je ne vous
souhaite pas le traitement BCCI. Car cela fait plus de 20 ans que cela dure
pour les 250.000 anciens clients dans plus de 70 pays. Ceux-là, s'ils vivent
encore, ne mettront plus un seul centime au Luxembourg. D'ailleurs les comptes
ne s'y cachent plus.
Maintenant, vous me direz que plus de
20 ans c'est en effet très long. Que diriez vous de 30 ans? Impossible? C'est
bel et bien le procès du siècle, celui du Bommeleeër actuellement en cours, 30
ans après les faits. N'appelez pas le tribunal pour vérifier: ils sont en
vacances de Pentecôte.
Heureusement pour vous les victimes,
vous vous êtes organisées, comme le groupe des victimes de Landsbanki, les
victimes de BCCI, ou le watchdog luxembourgeois Protinvest. Vous avez des
alliés comme le juge van Ruymbeke en France, ou des célébrités comme Enrico
Macias. Un député luxembourgeois, Justin Turpel, vient de s'attaquer à ce
cancer de la vie politique luxembourgeoise, la prolifération des postes
d'administrateurs parmi les fonctionnaires, garants de l'immunité générale dans
les conflits d'intérêts, où les supervisés supervisent les superviseurs.
Retenez donc qu'au Luxembourg la
justice est toujours différée, donc déniée, ou pire, classée, faute de moyens
et de volonté politique. A la "rentrée judiciaire" en automne 2011,
le Procureur Général Robert Biever a confirmé ce que tous les criminels et
leurs victimes savent: le Luxembourg est un Paradis judiciaire, car la Justice
n'a pas les moyens de sa mission. Selon le Procureur, en particulier quand il
s'agit de crimes financiers et de blanchiment d'argent, 1.500 affaires
prescrites ont dû être classées faute de moyens de 1990 à 2011!
Quant à vous, mon cher Ministre, vous avez de la chance!
Vous avez l'unique opportunité de nettoyer cette écurie, et de vous faire une
réputation de demi-dieu en ce faisant. Et en même temps sauver l'industrie
principale du pays, la place financière des dangers mafieux et du déclin, et les
luxembourgeois de la disparation désastreuse de la source de leur niveau de
vie. Et prévenez moi si jamais mon affaire arrive à bonne fin, pour que je
puisse sonner la fin d'alerte. Quant à moi, comptez sur moi à tout moment pour appuyer
votre action réformatrice. En attendant, la réponse à la question de l'entête
est oui.
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