Le Luxembourg devant un scénario de Constitution-Fiction.
Le Luxembourg est en ébullition depuis des mois, en alignant des scandales
bien fermentés. Le gouvernement en est arrivé à mijoter un scénario pour enfin
se décaper de toutes ces vilénies : la démission du gouvernement, ce qui
dit-on pourrait se passer au début du mois de juillet.
A l’origine, une série de
scandales
La genèse de cette issue assez historique pour le Luxembourg aura été une
série de scandales plus ou moins bien esquivés par ceux par qui le scandale
arrive, pour arriver finalement au point de l’indigestion. Il y a d’abord eu
l’affaire du Stade National de Livange et de ses cordées d’ »insiders »
qui a fini sous le tapis d’un vote parlementaire opposant la création d’une
Commission d’enquête. Il y a eu ensuite l’affaire Cargolux et ses cordées
d’ »insiders » qui a également fini sous le tapis d’un vote
parlementaire refusant une Commission d’enquête. Puis il y a eu l’affaire du
SREL, curieusement déclenchée par le Premier Ministre lui-même, monologuant sur
un enregistrement clandestin de sa conversation avec son chef du service de
renseignement, il y a de ça des années. Le plan derrière ces confidences
tardives était sans doute de divertir des autres scandales. Il a donc mis le
feu à la cuisine pour divertir du feu dans le garage. En anglais :
« wag the dog ».
L’overdose du SREL
Même l’arrogance la plus extrême ne permettait plus au Parlement de voter pour
la troisième fois consécutive contre une Commission d’enquête parlementaire.
Pour l’affaire du SREL, jugée bénigne, on a donc préféré dire oui à une
Commission d’enquête. Dire non aurait fait un peu trop pourri. Et puis comme on
ne pensait pas qu’on risquerait gros, ce que pense tout apprenti sorcier avant
de déclencher un cauchemar, on a appelé les esprits. Mais voilà, de fil en
aiguille des squelettes remontent du fond du marécage secret de nos vaillants
agents secrets et de leur chef. L’affaire SREL et cette autre affaire qui date
d’il y a un quart de siècle, le procès Bommeleeër finissent par s’alimenter mutuellement
par leurs rebondissements. C’est la
tempête parfaite. Que faire pour stopper tout cela, alors qu’on ne peut quand-même
plus mettre un autre feu au salon ? Cela ferait désordre et serait suspect !
Les digressions de Michel Wolter au sujet de la liberté de la presse, ne font
pas l’affaire non plus. Non, il faut que le gouvernement démissionne, dit-on !
Cette idée de manœuvre est partagée par une bonne partie de l’opinion publique,
qui s’est manifestée même par une démo en pleine Fête Nat.
Démission en question
Mais cette idée de démission doit être tissée un peu plus loin, car elle a
un hic pour l’intérêt public. Les grands penseurs ont bien évidemment pensé
deux mouvements plus loin en aval : si le gouvernement démissionne, le
Parlement sera dissout ( ?). Si le Parlement est dissout, il n’y aura plus
de Commission parlementaire d’enquête. Voilà comment oblitérer une Commission
parlementaire que l’on n’avait pas pu voter sous le tapis : la démission pure
et simple du gouvernement lave plus blanc que le feu au garage et à la cuisine,
ou bien que les votes majoritaires contre les enquêtes. Et puis, à l’issue
d’élections anticipées, on prendra quand-même les mêmes et on recommencera.
« Déi Lenk » ont déjà exprimé leurs réserves dans une lettre
publique : si démission il y a, il faudra veiller à finir au préalable cette
enquête sur le SREL. Mais justement, avorter cette enquête est le plus puissant
sinon le seul motif pour considérer une démission : l’impunité espérée
étant à la clé. On ignorerait facilement une manif qui demande la même chose,
mais quelle aubaine si elle exprime le consensus dans le public en faveur des
« Neiwahlen » au diapason avec la décision politique, sans autre condition !
A vrai dire, en ce moment aucune autre solution n’est politiquement
acceptable que celle qui mène l’enquête sur le SREL à bonne fin et qui en tire
les conclusions finales et les conséquences politiques. Mais nous sommes en
plein brouillard constitutionnel.
Les limites de la Constitution
Ah, cela aiderait, si nous avions une Constitution qui fonctionne. Elle a
145 ans, mais son âge n’est pas le problème. Les constitutions américaine et
suisse ont plus de deux et sept siècles respectivement mais sont jeunes et
vigoureuses parce qu’elles annoncent des grands principes et s’appuient sur les
droits de l’homme. La nôtre fournit à peine le cadre de notre vie commune. En
ses 145 ans, elle a subi 37 amendements. J’ai eu l’occasion de commenter sur le
massacre de la Sainte Justine du 12 mars 2009, quand le Parlement a coupé les
ailes au Grand-Duc qui dorénavant ne « promulguera » plus les lois.
Il signera. C’est un coup d’état qui n’est rien d’autre qu’un jeu de mots. Et
telle est l’interprétation des textes tout au long des 120 articles : des
jeux de mots pour initiés seulement. Aucun texte au monde n’a tant d’écart
entre la lettre et l’esprit qui lui est interprété. J’en conclue que nous
sommes en coup d’état permanent, au gré de la lecture variable de la
Constitution. Un document vivant !
C’est pour cette raison qu’à l’ONU la lecture littérale classe le
Luxembourg dans une catégorie de démocratie amoindrie. Leur conclusion que le
Luxembourg n’est qu’une démocratie de seconde zone est peut-être vraie, mais
basée sur le texte intégral de la Constitution. Elle l’est aussi pour nous, alors
que nous savons que ces textes sont malléables dans l’interprétation « pragmatique »
qui leur est donnée. Ses articles sont remplis de qualificatifs, de
restrictions et d’échappatoires, de sorte qu’ils disent ce que le lecteur veut
leur faire dire. Sinon on la changera selon les besoins du moment.
Basé sur ces textes, quels scénarios ou plutôt fictions existent pour
la démission d’un gouvernement ? C’est le Premier Ministre qui tend la
démission du gouvernement au Grand-Duc. Construisons l’arbre des actions
possibles. Le Grand-Duc accepte ou n’accepte pas la démission. S’il n’accepte
pas, il se crée un tollé, un nouveau massacre de la Sainte Justine. S’il
accepte, va-t-il aussi dissoudre le Parlement ? En effet rien ne
l’obligerait à associer démission du gouvernement et dissolution de la Chambre.
Etant donné l’intérêt public de finaliser l’enquête parlementaire en cours, il
pourrait surseoir à la dissolution de la Chambre et d’abord charger un
informateur pour s’entourer des informations nécessaires à sa décision, et
laisser la Commission finir ses travaux. Si, si, dans ce feuilleton fiction, il
pourrait lire la constitution comme bon lui semble lui-aussi. Il pourrait aussi
nommer un nouveau formateur. Seulement en cas d’échec de ces tentatives
sera-t-il forcé à dissoudre la Chambre des députés en vue d’élections nouvelles.
Quoique la lecture de l’ONU permette ces multiples possibilités, c’est une
fiction. La lecture luxembourgeoise est toute autre : Monsieur Juncker
fera à sa guise. Voilà le problème et aussi la perspective d’une nécessaire
action future.
Vers une Constituante
En effet notre constitution est devenue absurde à ce point. Elle n’est plus
une référence pour l’action gouvernementale ni pour les droits du citoyen. La pensée
politique ne contemple plus les valeurs démocratiques ni la séparation des
pouvoirs. C’est documenté par les scandales du jour. Le Parlement est banalisé
à force de l’ignorer et de l’affaiblir. A vrai dire aucune pièce de législation
n’émane du Parlement, mais du gouvernement assisté de quelques lobbyistes ou
d’une Directive de la Commission Européenne. L’élu est ainsi ravalé au statut
de célébrité locale chargée d’engranger des voix aux élections.
Pour secouer tout cela, une fois le mystère SREL élucidé, les responsables sanctionnés,
le gouvernement démissionné, la Parlement dissout et les élections anticipées annoncées,
ne faudrait-il pas que ces élections produisent une Constituante ? Cela
fait des années qu’une révision de la constitution se trame à l’abri des
regards. Elle mérite au contraire un large débat public et un referendum à au
moins deux tours. Une nouvelle Constitution est trop délicate pour la confier
aux pouvoirs établis. Quel changement de culture politique ce serait, surtout
si on limitait les mandats politiques tant qu’on y est. C’est la longévité des
carrières politiques qui doit être l’explication de l’actuelle implosion de nos
institutions.