Ou bien était-ce à la Chambre des Députés? Une Mise A Jour.
L'obscurité
descend. Faites de beaux rêves! Photo ET, Naples, FL
Je vous parle très sérieusement: jamais n'a-t-on vu dans
l'histoire politique du Luxembourg une aussi belle démonstration de savoir-faire
politique, cynique, insolente et efficace pour défaire une tentative d'accéder
à la vérité. Le gouvernement et sa majorité ont su isoler, contenir, diriger et
canaliser la poussée aspirant à la lumière dans l'affaire Livange. D'abord par
l'interdiction d'une Commission d' Enquête qui aurait pu faire la lumière, puis
l'émasculation du Parlement pour y substituer la Justice, enfin la justice en
tant qu'administration soumise au gouvernement et notamment le Ministre de la
Justice et à ne pas confondre avec la Justice, 3e pouvoir indépendant. C'est
une justice administrative, qui fournit une enquête "préliminaire",
forcément tronquée, concluant par la description experte, donc incontournable,
de l'étape suivante, aseptisée, engourdie qui était un vote pour un enterrement
de 1re classe de l'affaire. Et la boucle était bouclée, sans vraie résolution,
et tous les soupçons continueront à alimenter les sarcasmes d'un public
attentif.
Les antécédents sont connus:
Deux entrepreneurs, Guy Rollinger et Flavio Becca ont
deux projets immobiliers concurrents, dont l'un comprend un stade de football.
Becca, il apparait, a la préférence du gouvernement, donc Rollinger est une
nuisance et est mis sous pression pour abandonner son projet en faveur de l'autre. Enfin, c'est ce que dit Rollinger,
qui affirme qu'un ministre aurait menacé de lui casser la nuque s'il se rebiffait.
Mais il serait compensé disaient-ils. Et la BCEE va aider, disaient-ils. Avec € 16 millions en prêts, disaient-ils.
Survient le mouvement écologique, qui a à redire, parce
que le projet du chouchou est en pleine zone protégée. Blanche Weber, au nom du Meco et presque par
inadvertance, met le feu à la poudre. L'affaire, soustraite aux yeux du public
pour si longtemps devient une affaire publique politico-financière. On se pose
des questions aux niveaux Parlement et Justice pour savoir si le ministre
Jeannot Krecké, démissionnaire en février, a menacé Guy Rollinger, et si le
ministre Halsdorf est intervenu auprès de la BCEE pour un prêt à Rollinger? Ou était-ce
Becca? Dans un cas ce serait de l'extorsion, dans l'autre une violation du
secret bancaire, peut-être aussi de la corruption? Tout le monde insiste qu'il n'y a pas de
coupable avant qu'il n'y ait une condamnation. C'est peu de consolation pour nos
deux hommes politiques Krecké et Halsdorf: le mal est fait car leur réputation
est entamée, qu'ils le veuillent ou non.
Le recours à l'art de l'esquive
La majorité du Parlement hélas a rejeté une commission d'enquête,
la seule façon élégante et transparente de traiter le sujet. Ce refus est
inexcusable. La majorité expose ainsi le
pays à tous les soupçons et à toutes les théories qui jadis (Septembre 2011),
ont fait écrire un certain Nick Jardine: "There is something rotten in theState of Luxembourg", article-reportage subjectif et partiellement faux,
mais hautement préjudiciable à notre image de marque internationale.(1) Sauf
chez les mauvais garçons, bien entendu. L'esquive a l'énorme défaut de laisser planer
le doute à jamais.
Nos élus ont préféré refiler la patate chaude à la Justice
pour faire une enquête préliminaire, tout en poursuivant leurs propres enquêtes
au niveau des Commissions parlementaires. Ces commissions n'ont pas vraiment de
dents, et ne mordront personne. Les deux démarches ont produit une amorce et un prétexte pour faire passer
toute l'affaire dans l'oubli. En marge on nous a offert en
"side-kick" un autre petit scandale grâce à la BCEE, dont le
directeur général a refusé de comparaître devant une commission édentée, en
citant le secret bancaire, cher aussi à Nick Jardine ci-dessus. Ce mépris du Parlement
n'est pas un crime, c'est une faute, pour paraphraser Joseph Fouché. C'est
l'épanouissement d'une culture de désinvolture, de désordre et
d'insubordination.
Le "faute de preuves", et
rond et rond petit patapon
L'enquête judiciaire préliminaire n'a pas produit les
preuves de menaces de Krecké envers Rollinger, ni des preuves d'une violation
du secret bancaire par Halsdorf. Selon les procédures en place, l'enquête
conclue qu'il y a parole contre parole et que l'on classe l'affaire sans
suites. Si suite il y avait, ce serait une inculpation qui ne peut se faire que
par un vote du Parlement. Ce vote a donc eu lieu, et sans surprise suivait le
conseil expert du Procureur. Dans l'intérêt de nos institutions, il y aurait
cependant eu trois raisons pour procéder autrement:
1. Ceci est un scandale politique, nécessitant une
réponse politique. Le Procureur ne pouvant la donner, la politique se devait de
faire une enquête par une commission d'enquête. Elle aurait conclu s'il fallait
lever une immunité et inculper au lieu d'envoyer la balle "en corner"
à la Justice pour une "enquête préliminaire". Comme prévu, la Justice
revient mettre la balle en jeu. Boucle, bouclée, balle dégonflée. Quelle est au
juste la différence entre une enquête préliminaire et une enquête? L'enquête
préliminaire est définie dans le communiqué de presse du Parquet de Luxembourg
selon l'article 46 du code d'instruction criminelle:
Art. 46. (L. 6 octobre 2009) (1) Les
officiers de police judiciaire et les agents de police judiciaire
désignés à l’article 13 procèdent à des
enquêtes préliminaires soit sur les instructions du procureur d’Etat, soit
d’office, tant qu’une information n’est pas ouverte.
(2) Ils informent les personnes lésées,
identifiées, de leur droit d’obtenir réparation et aide en leur fournissant les
informations visées à l’article 30-1.
(3) Ces opérations relèvent de la surveillance
du procureur général d’Etat.
Remarquez que cette enquête n'implique pas la Justice "assise".
Il n'y a pas de juge d'instruction. Elle est conduite par la justice "debout",
le Procureur, qui est sous l'ultime contrôle du Ministre de la Justice, qui
n'est pas indépendant.
2. Notre Constitution, est sclérosée. Elle est un
"quilt" désordonné et rapiécé des dizaines de fois, que tout le monde
ignore en temps normal. Mais elle a été utilisée ici pour créer un obstacle à
l'enquête. Cet obstacle a été une aubaine pour pratiquer l'esquive, agencée sur
le slogan dépassé que seul le Parlement peut inculper un ministre. Mais
pourquoi se limiter à une enquête préliminaire? Cela sonne comme l'équivalent
de sommaire. Il faudrait prendre note et revoir les principes de l'égalité de
tous devant la loi lors de la prochaine révision de la Constitution.
3.Le ministre Krecké a déjà porté plainte en diffamation
contre Rollinger. C'est une contre-action à l'accusation de menace et ses
conséquences anticipées. Le Parlement donne un appui considérable dès lors à
Krecké, un des leurs, en votant pratiquement
un non-lieu dont Krecké se servira dans son action contre Rollinger. Et
si Rollinger porte plainte pénale et des preuves apparaissent que l'enquête
préliminaire n'a pas su détecter? Ah
oui, le Parlement seul peut faire l'inculpation ....
Le mépris de la BCEE pour la Chambre des Députés
Mais que fait la BCEE dans cette galère? C'est précisément
ce que les Députés ont voulu savoir. Surtout le détail de l'intervention du
ministre Jean-Marie Halsdorf auprès du directeur général de la BCEE,
Jean-Claude Finck à propos d'un prêt de € 16 millions à Guy Rollinger. Au sujet
de ce prêt, on a eu droit à toutes les versions: qu'il n'y avait pas de prêt, qu'il
y avait un prêt, que le gouvernement n'est pas intervenu en faveur du prêt, que
finalement le gouvernement est intervenu un tout petit peu. En fin de compte ce
serait Becca qui serait intervenu auprès de la BCEE. Pour Monsieur Finck , il
s'agissait de reconstituer le puzzle créé par ses propres déclarations
contraires, et celles des autres.
Avec les traces laissées en ces
neuf mois que dure l'affaire, et l'omniprésence de Finck dans de nombreuses organisations
auxquelles ci et là appartient Becca ou qui lui appartiennent (Lynx, Compagnie
de Banque Privée dans le temps...), il faudra réparer les contradictions
apparentes. Est-ce pour les éviter que Finck
a sorti son joker: le secret bancaire pour interdire toute autre question? C'est une faute, mais l'esquive du Parlement
est du même caractère que le refus de Finck: le mépris des institutions. Si
tout le monde le fait ....
Jean Bour, ancien procureur et une autorité en matière de
secret bancaire, s'est montré "étonné et surpris", que le ministre
Halsdorf puisse appeler ainsi la BCEE, et relève la contradiction entre les
faits et les propos propagés.
Puis il y a la réaction du président de la Commission des
Finances Michel Wolter. Elu depuis le plus tendre âge auquel un citoyen est
éligible aux fonctions de Député, Michel Wolter a eu un sursaut d'indignation
et insiste que Finck paraisse. Mais voilà: les dés sont tombés. Il n'y aura pas
d'inculpation des deux ministres. Du coup que Finck se rende à la Chambre ou
continue de refuser n'a plus d'importance ni de conséquences.
Pas de conséquence pour son chef politique Luc Frieden non
plus. Alors qu'il n'aurait pas pu jouer au roi Hérode éternellement, et s'en
laver les mains. Le "Je
n'interviens pas dans la conduite des affaires de la banque" peut en effet
être utilisé, mais pas trop. Dans une affaire politique, le politique est appelé
à résoudre le conflit et à tirer des conséquences politiques.
Mais tout s'arrange. Finck a eu un rêve. Je croyais au canular de RTL.(2) Mais si, si, le téléphone (sans fil, j'espère) a sonné dans
son rêve la nuit du 7 au 8 juin, et il a rêvé de Halsdorf. Allons donc,
Messieurs! C'est une Commission parlementaire pardi. Le Dr Frieden se penche
sur le cas, sur le film archivé du rêve, la nature transcendantale de
l'incroyable transposition de matériel d'entrainement pour jeunes employés de
banque dans un rêve de PDG, et pour l'interprétation freudienne des pulsions,
refoulements et désirs inconscients. A l'ère Becca cependant, les plus terre à
terre se pencheront sur cette remarque sur des tickets pour un match de foot !?
La boucle est bouclée. Nous revoilà à Livange.
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