Monday, July 16, 2012

Au Stade National de Livange, les contorsionnistes font un Houdini


Lumière! Naples Pier. Photo ET


Les antécédents sont connus:

Deux entrepreneurs, Guy Rollinger et Flavio Becca ont deux projets immobiliers concurrents, dont l'un comprend un stade de football. Becca, il apparait, a la préférence du gouvernement, donc l'autre est une nuisance et est mis sous pression pour abandonner son projet en faveur de l'autre. Enfin, c'est ce que dit Rollinger, qui affirme qu'un ministre aurait menacé de lui casser la nuque s'il se rebiffait. Mais il serait compensé disaient-ils. Et la BCEE va aider, disaient-ils. Avec  € 16 millions en prêts, disaient-ils.

Survient le mouvement écologique, qui  a à redire, parce que le projet du chouchou est en pleine zone protégée.  Blanche Weber, au nom du Meco et presque par inadvertance, met le feu à la poudre. L'affaire, soustraite aux yeux du public pour longtemps devient une affaire publique politico-financière. On se pose des questions aux niveaux Parlement et même Justice pour savoir si le ministre Jeannot Krecké, démissionnaire en février, a menacé Guy Rollinger, si le ministre Halsdorf est intervenu auprès de la BCEE pour un prêt à Rollinger, ou était-ce Becca? Dans un cas ce serait de l'extorsion, dans l'autre une violation du secret bancaire, peut-être de la corruption?  Tout le monde insiste qu'il n'y a pas de coupable avant qu'il n'y ait une condamnation. C'est peu de consolation pour nos deux hommes politiques: le mal est fait car leur réputation est entamée., qu'ils le veuillent ou non.

Le recours à l'art de l'esquive

La majorité du Parlement hélas rejette une commission d'enquête, la seule facon elegante et transparente de traiter le sujet. Ce refus est inexcusable. La majorité  expose ainsi le pays à tous les soupçons et à toutes les théories qui jadis (Septembre 2011), ont fait écrire un certain Nick Jardine: "There is something rotten in theState of Luxembourg", article-reportage subjectif et partiellement faux, mais hautement préjudiciable à notre image de marque internationale. Sauf chez les mauvais garçons.  L'esquive a l'énorme défaut de laisser planer le doute à jamais.
Nos élus ont préféré refiler la patate chaude à la Justice qui a fait une enquête préliminaire, tout en poursuivant des enquêtes au niveau des Commissions parlementaires. Les deux ont produit  une amorce pour faire passer tout cela en oubli, et un autre petit scandale grâce à la BCEE, dont le directeur général a refusé de comparaître en citant le secret bancaire, cher à Nick Jardine ci-dessus. Ce mépris du Parlement n'est pas un crime, c'est une faute, pour paraphraser Joseph Fouché.

 Le "faute de preuves" du Parquet luxembourgeois

L'enquête judiciaire préliminaire n'a pas produit de preuves de menaces contre Rollinger, ni des preuves d'une violation du secret bancaire par Halsdorf. Selon les procédures en place, l'enquête conclue qu'il y a parole contre parole et que l'on classe l'affaire sans suites. Si suite il y avait, ce serait une inculpation qui ne peut se faire que par un vote du Parlement. Ce vote, qui sera non, se fera dans la semaine.  Dans l'intérêt de nos institutions, il y aurait cependant eu trois raisons pour procéder autrement:

1. Ceci est un scandale politique, preuve ou pas. La politique se devait de faire une enquête par une commission d'enquête. Elle a été refusée par la majorité. Elle aurait conclu s'il fallait lever une immunité et inculper au lieu d'envoyer la balle à la Justice en vue d'une enquête préliminaire. Quelle est au juste la différence entre une enquête préliminaire et une enquête? Elle est définie dans le communiqué de presse du Parquet de Luxembourg selon l'article 46 du code d'instruction criminelle:

Art. 46. (L. 6 octobre 2009) (1) Les officiers de police judiciaire et les agents de police judiciaire
désignés à l’article 13 procèdent à des enquêtes préliminaires soit sur les instructions du procureur
d’Etat, soit d’office, tant qu’une information n’est pas ouverte.
(2) Ils informent les personnes lésées, identifiées, de leur droit d’obtenir réparation et aide en leur
fournissant les informations visées à l’article 30-1.
(3) Ces opérations relèvent de la surveillance du procureur général d’Etat.

Remarquez que cette enquête n'implique pas la Justice "assise". Il n'y a pas de juge d'instruction. Elle est conduite par la justice "debout", qui est sous l'ultime contrôle du Ministre de la Justice, qui n'est pas indépendant.
2. Notre Constitution, ce "quilt" désordonné et rapiécé à outrance, que tout le monde soit ignore soit manipule à qui mieux- mieux, crée un problème? Ce problème semble avoir été une aubaine pour pratiquer l'esquive. Seul le Parlement peut inculper un ministre, soit. Mais pourquoi se limiter à une enquête préliminaire? Cela sonne comme l'equivalent de sommaire. Pourquoi pas une enquête avec un juge d'instruction qui recommanderait une inculpation ou non. Il faudrait revoir les principes de l'égalité devant la loi dans la prochaine révision de la Constitution.
3.Le ministre Krecké a déjà porté plainte en diffamation contre Rollinger. C'est une contre-action à l'accusation de menace. Le Parlement donne un appui considérable dès lors à Krecké, un des leurs, en votant pratiquement  un non-lieu dont Krecké se servira dans son action contre Rollinger.

Le mépris de la BCEE pour la Chambre des Députés

Mais que fait la BCEE dans cette galère? C'est précisément ce que les Députés ont voulu savoir. Surtout le détail de l'intervention du ministre Jean-Marie Halsdorf auprès du directeur général de la BCEE, Jean-Claude Finck à propos d'un prêt de € 16 millions à Guy Rollinger. Au sujet de ce prêt, on a eu droit à toutes les versions: qu'il n'y avait pas de prêt, qu'il y avait un prêt, que le gouvernement n'est pas intervenu en faveur du prêt, que finalement le gouvernement est intervenu un tout petit peu. En fin de compte ce serait Becca qui serait intervenu auprès de la BCEE. Pour Monsieur Finck , il s'agissait de reconstituer le puzzle créé par ses propres déclarations contraires, et celles des autres.  Avec  les traces laissées en ces neuf mois que dure l'affaire, et l'omniprésence de  Finck dans de nombreuses organisations auxquelles ci et là appartient Becca ou qui lui appartiennent (Lynx, Compagnie de Banque Privée dans le temps...), il faudra réparer les contradictions apparentes. Est-ce pour l'éviter que Finck a sorti son joker: le secret bancaire pour interdire toute autre question.  C'est une faute, mais l'esquive du Parlement est du même caractère que le refus de Finck: le mépris des institutions. Si tout le monde le fait ....
Jean Bour, ancien procureur et une autorité en matière de secret bancaire, s'est montré "étonné et surpris", que le ministre Halsdorf puisse appeler ainsi la BCEE, et relève la contradiction entre les faits et les propos propagés.
Puis il y a la réaction du président de la Commission des Finances Michel Wolter. Elu depuis le plus tendre âge auquel un citoyen est éligible aux fonctions de Député, Michel Wolter a eu un sursaut d'indignation et insiste que Finck paraisse. Mais voilà: les dés sont tombés. Il n'y aura pas d'inculpation des deux ministres. Du coup que Finck se rende à la Chambre ou continue de refuser n'a plus d'importance ni de conséquences.
Pas de conséquence pour son  chef politique Luc Frieden non plus. Alors qu'il n'aurait pas pu jouer au roi Hérode éternellement. Le  "Je n'interviens pas dans la conduite des affaires de la banque" peut en effet être utilisé, mais pas trop. Dans une affaire politique, le politique est appelé à résoudre le conflit et à tirer des conséquences politiques.
En ce cas une simple esquive a suffi !

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