Wednesday, November 30, 2011

Et pourquoi pas une petite partie de tripartite?


Bon vieux temps, 1960. Brochure publiée par le "Luxembourg Board of Industrial Development". Lorsque le Luxembourg était encore capable d'attirer des industries manufacturières ...



La tripartite luxembourgeoise fonctionnait à merveille comme remède à la crise historique de l'acier de 1975. Elle fournissait un contexte pour un effort de solidarité nationale et des solutions créatives comme la DAC, Division Anticrise, qui occupait des milliers de personnes à des travaux d'utilité publique. Sans ces mesures, le chômage qui n'existait virtuellement pas en 1975, serait passé de 0 à des milliers de chômeurs, chose inadmissible psychologiquement à l'époque.

Cette tripartite était un joli triangle équilatéral qui avait pour sommet le gouvernement et à sa base le patronat et les syndicats. 35 ans plus tard, il faut se rendre à l'évidence que la tripartite de bon papa n'existe plus sous forme de triangle équilatéral, qui donnait le même poids aux trois participants. Il faudra bel et bien trouver des mécanismes d'adaptation, pour sortir du déséquilibre des forces et du blocage résultant. Car il faut réaliser qu'au bout de 35 ans, le centre de gravité s'est déplacé en faveur du patronat, avec l'approbation du gouvernement, Ministre de l'Economie inclus.

L'indexation automatique des salaires, clé de voûte de la tripartite, était destinée à préserver le pouvoir d'achat des salariés. C'était un dispositif de pilotage automatique, qui assurait donc aussi une vie paisible aux représentants des partenaires sociaux, bref la paix sociale. L'indexation automatique a été pervertie cependant par la suite. Au fil des années elle a procuré au salariat une participation somme toute limitée à la manne des années de vaches grasses par son effet de freinage, limitant la vitesse de croissance des salaires à des petits pas de 2,5% aux échéances des tranches indiciaires. Elle est par contre dégradée en un arrangement vieillot qu'on a pris l'habitude de suspendre en temps de crise, avec l'effet net de diminuer le pouvoir d'achat des salariés, du moins par rapport au panier de base des accords.

La parole du jour est la compétitivité ou plutôt sa perte, avec comme conséquence, logique dit-on, le nécessaire plafonnage des salaires, ou mieux leur diminution en termes réels. L'indexation a donc cessé de servir les intérêts des preneurs d'emploi: c'est devenu un sens unique. La suspension de la prochaine tranche indiciaire est déjà programmée. En ce cas, il faudra bel et bien adapter la tripartite à la nouvelle donne.

Pour le patronat, la Terre est plate

L' Union Européenne d'abord, la globalisation ensuite ont facilité l'accès aux marchés. L'industrie luxembourgeoise, notamment l'acier, en a profité jusqu'au retour de manivelle: les producteurs émergeants de l'acier ont inondé la même terre plate avec des produits moins chers. Les services financiers, surtout basés sur la niche souveraine de l'imposition, se voient la cible des assauts des gouvernements étrangers et des régulateurs européens, jusqu'à ce que l'avantage fiscal s'érode.

Si l'environnement fiscal se dégradait, les services financiers iraient ailleurs. L'industrie par contre disait la sagesse universellement admise, est clouée au sol par le poids de ses investissements immobilisés. Ce n'est plus vrai à l'heure d'un Mittal, Good Year , Villeroy Boch et Dupont: une ligne de production est aisément transférée à l'intérieur du groupe sous des cieux plus cléments. Il en va de même des services locaux et l'artisanat. Pas de délocalisation, certes, mais une concurrence accrue des régions limitrophes dans la grande région.

Combinée au chiffre sous-estimé de 15,000 chômeurs, cette menace permanente de délocalisation est une situation d'otage de fait et le gouvernement souffre du syndrome de Stockholm, cette réaction psychologique qui fait sympathiser l'otage avec le preneur d'otage. Encore qu'en ce cas-ci, le preneur d'otage est lui-même otage et ne fait qu'obéir aux lois de la Terre plate, qui déterminent la viabilité d'une entreprise.

Le Gouvernement du syndrome de Stockholm

On comprendra que la première réaction du gouvernement dans ces circonstances soit la sympathie pour la cause des employeurs. La photo instantanée de l'économie luxembourgeoise n'est pas bonne en ces temps de crise. Les conséquences pour le gouvernement sont des revenus en déclin, un chômage qui augmente, une productivité qui diminue et une pression continue de l'étranger pour éradiquer les niches souveraines de prospérité. Il est clair que la réaction superficielle est d'en conclure de geler l'index.

Il en est de même avec la négligence bénigne avec laquelle on affronte l'armée des chômeurs, comme une fatalité. Or c'est un drain sur la capacité du pays de bien survivre la tempête parfaite qui est en train de se former autour de la danse infernale de l'Euro. Force est de constater que les numéros un et deux de notre gouvernement pensent qu'ils sont élus, l'un pour sauver la Grèce et un Euro moribond, l'autre pour sauver le monde avec l'ambition de faire siéger le Luxembourg au Conseil de Sécurité de l'ONU. Ils ne sont pas disponibles pendant que notre toit est en feu. Bon nombre d'électeurs ne comprennent pas cet acharnement de poursuivre des ambitions personnelles, qu'il est difficile de concilier avec l'intérêt national. Au contraire, beaucoup voient le danger que tous deux, et à travers eux le Luxembourg, se retrouvent en position de bouc émissaire, si les choses vont mal.

Pendant ce temps-là, la question de l'index suppure depuis plus d'un an. Il y a 15.000 chômeurs et la pauvreté enlaidit le Pays de Cocagne. Le devoir à domicile ne s'arrête pas là. La dépendance de l'économie nationale sur le centre financier est effrayante. Le développement industriel stagne. Aucune industrie n'est venue s'installer au Luxembourg depuis de nombreuses années. La bureaucratie est un frein, les obstacles administratifs sont décourageants, sans oublier que le système judiciaire, aux moyens anémiques pour un centre financier mondial, n'est pas en mesure de délivrer justice dans des délais raisonnables, élément non négligeable pour former un cadre économique performant. Dans ce contexte, se borner à designer l'index comme source du mal, montre bien qu'on a fait l'impasse sur le devoir à domicile.

Syndicalistes somnolents: la lutte syndicale est un long fleuve tranquille

Cette contradiction entre lutte et tranquillité me fait penser au syndicalisme d'antan, où un bon coup de gueule était OK. Nous avons une nouvelle génération de syndicalistes fonctionnarisés qui sont aussi conseillers communaux, députés, bref cumulards. Le même syndrome de Stockholm se produit chez eux. D'où la prédilection pour des solutions calmes et feutrées qui conviennent pour des héros de la paix sociale: nous parlons de tripartite et surtout de l'indexation des salaires. Finalement cette indexation a fini par devenir un marché de dupes: c'est le plafonnement quand tout va bien, le désembrayage quand cela va mal. Cette automatisation n'est pas la lutte, c'est la promenade pépère et nonchalante au bord du long fleuve tranquille. L' indexation a fini d'être une solution.

Maintenant que le réveil sonne et que l'urgence est là, les syndicats sont pratiquement devant un fait accompli annoncé par certains ministres: la tranche d'index sera retardée. C'est sans doute le moment pour les syndicats de vendre cher la flexibilité à répétition qui leur est demandée, et de s'adapter au nouveau paradigme. Car enfin, à quoi sert une indexation automatique qui aux moments de crise met les syndicats sous pression et les fait reculer. C'est la lutte syndicale à l'envers.

La nouvelle ligne syndicale pourrait très bien abandonner l'automatisme des tranches indiciaires qui ne fonctionne plus correctement, pour retourner forcément à des négociations salariales annuelles ou bisannuelles, où l'index sert de fil conducteur sans négliger d'autres aspects comme la sécurité sociale, l'éducation qui entreront dans un paquet d'accords. C'est un modèle certes moins commode, mais plus participatif, plus engagé et plus transparent, car la performance des entreprises, visible, entrera dans l'équation. En cas de difficulté, chaque partenaire serait un artisan de son bonheur ou malheur.

Un changement de paradigme crée une chance de sortie du blocage actuel, rend le triangle de nouveau équilatéral et permettra une vraie négociation entre partenaires tripartites, avec des propositions et des contre-propositions. Bref: une voie qui n'est pas un sens unique. Les luxembourgeois finiront par être ce qu'ils ont toujours été: des gens raisonnables.

Mais attention: pour cet avenir là, les syndicats devront disposer d'une cagnotte pour leur permettre de dire non, action syndicale à l'appui. Mais cela n'est pas très luxembourgeois.

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