Le « Constitution » qui va sur l’eau, a-t-il des jambes ?
Mais non mon grand bêta, s’il en avait, il marcherait.
Photo ET
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Le référendum, c’est trop dur.
Comme le gouvernement, je suis trop paresseux pour vraiment m’en soucier.
Pourtant, en Novembre 2009, je me suis décarcassé comme Ducroc pour rassembler
mes idées. Comme le gouvernement, je suis maintenant de cet avis : à quoi ça
sert de se décarcasser ?
Et si on annulait ce canular de référendum tout simplement ?
Voici, par paresse, un souvenir de jeunesse :
Tuesday, November 3, 2009
"Wir wollen sein ein einig Volk von Brüdern" -
Friedrich Schiller, "Wilhelm Tell, 1804"
Cette citation de Schiller se traduit à peu près par: "Nous voulons
être un peuple uni et fraternel."
Dans la pièce de Schiller, Wilhelm Tell, c'est le premier verset du fameux
serment du Rütli qui aurait scellé la naissance de la Confédération Helvétique
le 1er août 1291. Il s'agit en fait de la première "Constituante" en
Europe où le peuple Suisse s'émancipe et se défait de la tutelle féodale.
Quand le Théâtre de Luxembourg a mis en scène "Wilhelm Tell", à
l'approche de la guerre, ce passage a été accueilli par 45 minutes
d'applaudissements, une expression des aspirations profondes du peuple
luxembourgeois. Guillaume Tell aurait été fier. Il a été banni par les Nazis.
Deux constitutions phares qui émanent de peuples souverains
Il m'a semblé opportun de faire ce détour par le serment du Rütli en 1291,
où des hommes libres décidaient les règles de leur future vie commune comme
peuple libre et fraternel. Cela peut s'appeler une Constitution. Il faudra
attendre cinq siècles, 1787, pour voir une réédition du Rütli, cette fois-ci à
Philadelphie aux Etats-Unis. Des hommes libres ont cherché à instaurer la forme
de gouvernement la plus parfaite possible, sachant que la perfection dans les
entreprises humaines n'existe pas. Le débat sur la constitution dans la jeune
république américaine a duré de 1776 à 1787, soit 11 ans. Durant cette époque,
"The Federalist" publié par Alexander Hamilton, James Madison et John
Jay est devenu la tribune du débat public. Les 85 dissertations qui composent
le "Federalist" sont un monument de l'histoire américaine et de la
philosophie politique.
Les constitutions nées du Rütli et de Philadelphie exaltent les espoirs de
ces gens et de leur temps et inspirent par leur idéalisme et leur confiance en
l'avenir. Elles sont en cela à l'opposé de beaucoup de constitutions dites
modernes de notre vieille Europe dans lesquelles on décèle encore aujourd'hui
les traces de luttes, de concessions sans doute faites avec rancœur, de
compromis entre ceux qui devaient céder et ceux qui exigeaient.
Dans le cas des constitutions arrachées aux maisons royales européennes au
19e siècle on trouve aussi la trace de ceux qui exigeaient :
les bourgeois de l’époque. Il manque certainement cet élan d’idéalisme et de
jubilation de tout un peuple d’hommes égaux, unis et fraternels qui ont fait le
Rütli ou Philadelphie.
La plus moderne, la constitution européenne, par pudeur rebaptisée traité
de Lisbonne, garde encore quelques appendices des temps révolus. Non seulement
a-t-elle vingt fois plus de pages que la constitution américaine, elle fait
penser à un contrat de mariage compliqué entre un milliardaire et une starlette
hollywoodienne. Il est vrai qu'il vaut mieux obtenir un doctorat en droit
d’abord, avant de se lancer dans sa lecture. Il est vrai aussi que son
principal incubateur était un normalien, qui ne savait sans doute pas parler
aux gens normaux. Pourtant ce sont les gens normaux qui ont dû s’exprimer par
référendum sur ce texte fondamental. C’était tellement laborieux qu’il a fallu
voter et revoter jusqu’à ce que l’Irlande dise finalement oui, un embarras pour
toute la classe politique européenne, incapable de lire leurs propres opinions
publiques.
C’est que les gens normaux ont cette science innée de ce qui importe dans
l’organisation de leurs vies, surtout s’il faut l’exprimer par un vote solennel
installant une constitution. Cette constitution devrait être cette fondation en
béton armé qui garantit nos droits naturels. Ceux-là se conçoivent clairement,
donc ils peuvent être exprimés clairement et simplement.
Lisons notre Constitution en lui attribuant son QRS
J’ai été exposé aux mœurs démocratiques des enfants du Rütli et je vis
depuis vingt ans au régime du « We the People» aux Etats-Unis. J’ai donc voulu
évaluer l‘étendue du chantier que représente la révision de la Constitution
luxembourgeoise, en entreprenant la lecture de notre constitution avec des
nouvelles lunettes helvético-américaines.
Avouez, vous ne l’avez pas regardée depuis longtemps, cette constitution.
Ce n’est pas mon livre de chevet non plus. Vous pensiez aussi que c’est la
spécialité d’une poignée de doyens du droit. Mais cet aspect là est déjà traité
plus haut : la constitution est notre affaire à tous, et en tant que citoyens,
c'est nous qui savons le mieux ce qu’elle devrait nous dire. Donc nous voilà en
charge de la révision d’un texte ultra rébarbatif pensez vous ? En effet oui,
nous sommes tous en charge, mais à ma surprise, ce n’est pas ennuyant du tout.
C’est preuve que nous sommes une génération traumatisée par des profs
d’éducation civique barbants. La lecture de la Constitution est amusante. On y
trouve des choses surprenantes, édifiantes, des fois enrageantes mais surtout
amusantes. Dire que ces doyens du droit constitutionnel gardaient tout le
plaisir pour eux ! Cachottiers, va !
Faisons le tour du propriétaire de cette constitution, notre propriété
redécouverte. Imaginons que nous sommes Guillaume Tell sur son alpage ou
Benjamin Franklin au fin fond de la Pennsylvanie, et prenons leur perspective.
Qu'est-ce qui nous surprend?
Notre loi fondamentale comporte environ 121 articles et sa version
originale date de 1868, octroyée pour sûr, mais rappelons nous, elle nous appartient
et nous sommes les meilleurs experts pour la réviser et nous avons un sens inné
de ce qu’elle doit contenir.
- Le nombre
de révisions : 37
En 141 ans, la Constitution a été modifiée 37 fois. Pendant la première
période de 115 ans elle n’a été changée que dix fois. Par contre, les dernières
21 années ont connu 27 modifications dont un record de 18 modifications ces 10
dernières années. A ce rythme accéléré des changements, peut-on encore parler
de loi fondamentale ? Elle devrait être coulée en béton armé, mais la nôtre
donne l’impression plutôt d’être une girouette assise sur des sables mouvants.
- Le nombre
de qualificatifs restrictifs, Q = 46 articles
Sur les 121 articles, au moins 46 commencent par énoncer un principe
fondamental, mais qui se trouve immédiatement tronqué par un qualificatif
(marquons les d’un Q) dont voici un échantillon :
- La loi
déterminera…
- Sauf les
restrictions à établir par la loi…
- Les règles
établies par la loi…
- Sauf la
répression des délits commis à l’occasion de l’exercice de ces libertés..
Surprenant comme notre loi fondamentale, qui devrait être coulée en béton
armé, peut ainsi être atténuée par une simple loi, donc par un simple vote
majoritaire. De telles règles changeantes ne tiendraient pas le coup dans
n’importe quelle cour de récréation où l’on joue à « attrape-moi ». Cet
équilibre instable est probablement un appendice féodal qui se trouve perpétué
dans le langage de la constitution au fil des révisions. C’est une vieille
constitution de compromis, qui à dessein se retrouve flexible et malléable pour
qu’elle reste propriété de ceux qui l’ont écrite avec l’intention de l’user et
de l’abuser. Ils gardent ainsi toutes les portes ouvertes pour aller repêcher
les concessions qui leur auront été arrachées, pour jongler avec les articles
et pour garantir la pérennité de leur pouvoir. C’était sans doute l’intention
du Roi-Grand-Duc au départ, et aussi des politiciens de nos jours, ceux-là même
que nous avons voté en place pour nous servir.
Notre constitution actuelle est une girouette, une parodie du Rütli et du «
We the people ». Elle est ravalée à l’équivalent d’un code de la route qui
introduirait des panneaux de signalisation à roulettes, que l’on pousse par où
ils gênent le moins.
- Le nombre
de bizarreries et de corps étrangers, R + S = 27 articles
N’oublions pas que nous sommes tous experts, et en tant qu’expert, je
réviserais pas moins de 27 articles (marquons les d’un R), en fait le plus
souvent je les supprimerais (marquons ceux-là d’un S). Donc, selon mon tour du
propriétaire, il faudrait revoir Q+R+S = 46 articles + 27 articles = 73
articles en tout sur 121 soit environ 60%. Ou si vous voulez coter cette
constitution sur 60 comme à l'école, cela ferait un 24/60. Une
"Datz". Vous arriverez sans doute à des chiffres semblables. Vaut-il
mieux reconstruire ou réparer?
Voici deux exemples savoureux de ce dont je parle, pour vous donner le goût
de la lecture:
Art.21.
Le mariage civil devra toujours précéder la bénédiction nuptiale.
Hilarant. Je suis sûr que le corollaire devrait être un ajouté pour ne
laisser planer aucun doute: La bénédiction nuptiale devra toujours
suivre le mariage civil. Cela éclairerait l'esprit de cet article.
Et pour ajuster la constitution à la situation de fait de l’an 2009, et aux
exigences des forces à l’origine de l’article 21, il serait utile de clarifier
cette clef de voûte de notre société en précisant : La consommation du
mariage peut précéder le mariage civil mais en aucun cas ne peut précéder la
bénédiction nuptiale.
Je ne sais pas comment agencer tout cela! Mon verdict : c’est un Q et
surtout un S. Comment peut-on faire des dizaines d’ajustements à la
constitution, et laisser l’article 21 traîner tel quel par là?
Art. 28.
Le secret des lettres est inviolable. – La loi détermine quels sont les
agents responsables de la violation du secret des lettres confiées à la poste.
La loi règlera la garantie a donner au secret des télégrammes.
"Télégrammes ? Poste ? La loi détermine? Inviolable, oui ou
non!?" C'est un Q! Les seuls télégrammes que vous enverrez sont des
télégrammes de félicitations, bien publics, enveloppe ouverte, pour les gens de
l’article 21 ci-dessus. Ces télégrammes doivent arriver avant la consommation
du mariage, mais après le bénédiction nuptiale. Mais peut-être enverrez-vous un
courriel ou un SMS ou un cadeau par FedEx ou DHL. Assez, déjà! Il faut revoir,
mais innover. Sinon, la solution luxembourgeoise, je parie serait que "la
loi règlera les modalités du secret des télégrammes qui seront applicables aux
nouvelles technologies".
L’article 28 ne s’applique pas aux services étrangers spécialisés dans
l’interception des communications électroniques, services dont la mission est
la collecte du renseignement, de sa duplication, de son archivage et de son exploitation.
Sachez que ces agences de renseignement auront lu mon article que voici,
transmis par courriel, bien avant vous. Le télégramme de félicitations est
franchement plus confidentiel. Mon verdict : l'article 28 est un Q et surtout
un R.
En commençant ce nouveau chantier de la révision de notre constitution avec
l’enthousiasme du Rütli et de Philadelphie, c’est l’occasion d’atteindre
finalement le gouvernement du peuple, pour le peuple, par le peuple. Et que les
fondations soient en béton et simples. Un peu comme celui qui a fait graver ses
10 commandements dans la pierre. Verriez-vous Moïse gravir la montagne des
centaines de fois en cinq mille ans pour changer ses tablettes ? Il y a belle
lurette qu'il aurait abandonné et qu’on adorerait le veau d’or. En fait, cela,
on le fait déjà ….
Le système luxembourgeois
Il a ses racines en cette année 1868. Imaginons la scène suivante pour
insérer un peu d’altitude dans nos perspectives: nous sommes en 1868 et le
Roi-Grand Duc est en route de La Haye à Luxembourg sur un vol KLM. Il partage
la première classe avec le Kaiser, la Queen, le Roi des Belges. Le Français,
Empereur nouveau-riche d'extraction républicaine, n'est pas content. Il n'a pas
eu un « upgrade » et chantonne des chants révolutionnaires dans la première
rangée économie. Tout ce monde de cousins, isolé en première, tourmente le Roi
Grand-Duc et ironise sur la mollesse de "sa" nouvelle constitution,
qu'il s'apprête à céder, à octroyer se défend-il, aux bourgeois qui attendent
là bas. C'est a dire, environ 20% des hommes qui avaient le droit de vote au
cens. Les femmes ne votaient pas du tout. Elles devront attendre le suffrage
universel jusqu'en 1919!
En bas il y a l’énorme forteresse de Luxembourg, des chèvres broutent sur
le plateau du Kirchberg. 80,000 Luxembourgeois, dont la plupart n’avait pas le
droit de vote, ont quand même voté, mais avec leurs pieds et sont partis pour
l’Amérique ou le Brésil. C’est de ces temps là que tient notre constitution.
Vous avez raison, l'avion KLM n'existait pas en 1868. Il n’y avait pas non
plus le téléphone, l’automobile, la radio, la télévision, l'homme sur la lune
sans parler de l’internet. Il y aura par la suite la guerre de 1870, le
démantèlement de la forteresse, et puis deux guerres mondiales. Depuis, il y a
eu l’essor et le déclin d’une sidérurgie puissante, le passage d’une
agriculture quasiment de subsistance vers une agriculture rationalisée par
nécessité. L’économie a graduellement basculé vers une économie de services et
le pays a adhéré à des organisations internationales telles que UEO, ONU, OTAN,
OECD et surtout l’Union Européenne.
Pourtant, nous cuisinons toujours dans les mêmes vieilles casseroles constitutionnelles.
Certes on en a remplacé quelques unes. D'autres vieilles casseroles, on les
laisse pendouiller là et tout le monde a convenu qu'on ne les utilise plus. Si
on y touche , cela fait trop de glin-glin. C'est donc un sujet tabou.
Le fait le plus marquant est que le rapport des forces a graduellement
glissé du Grand-Duc vers le Gouvernement, donc le Premier Ministre. Quelle
ironie de l'histoire, que les ministres, terme d'origine latine qui se traduit
par "serviteur" et qui jurent fidélité au Grand-Duc sont de nos jours
les ténors sur le vol KLM. Malgré 37 révisions, les textes sur les prérogatives
du Grand-Duc n’ont pas vraiment été adaptées aux réalités de sorte que les
braves fonctionnaires du PNUD aux Nations Unions arrivent à la conclusion que
la démocratie luxembourgeoise laisse à désirer, car le chef de l’Etat
disposerait de pouvoirs exorbitants. Nous savons qu’il n’en est rien, que
l’interprétation luxembourgeoise des articles ad hoc de la constitution n’a
rien à voir ni avec la lettre de ces articles, ni avec l’interprétation
textuelle et erronée des Nations Unies. Ils ne savent pas qu’au Luxembourg,
l'interprétation de l'esprit et de la lettre des articles de la constitution
est un sport extrême: le grand écart.
Et puis qui sont-ils ces nationsunisards mauvaises langues? Est-ce que nous
disons qu'ils ne sont qu'une association mondiale de thérapie de groupe, où
surtout les chefs excentriques du monde viennent s’exhiber chaque année et
captivent l’attention du monde pour 15 minutes, certains pour 90 minutes?
Le massacre de la Sainte Justine (12 mars 2009)
Par contre sur le terrain, là où en 1868 les chèvres broutaient et Gottlieb
Hurra se soumettait sur les parvis du glacis à des drills infernaux
d'artilleur, nous avons vu que le rapport des forces a glissé au fil des temps,
imperceptiblement, du Grand-Duc au Premier Ministre. Imperceptiblement jusqu’au
jour du massacre de la Sainte Justine, le 12 mars 2009, quand le glissement
s'est accéléré en coup d'Etat à la luxembourgeoise, ouvert et perceptible par
tous, quand la révision de l’article 34 de la constitution (encore une)
enlevait au Grand-Duc le pouvoir de sanctionner les lois. Tout le monde avait
l'air très, très content. On vous expliquera que la démocratie a été renforcée.
Comment décrire le massacre de la sainte Justine? Le Grand-Duc parait-il
avait fait savoir au Premier Ministre qu'il ne signerait pas une loi sur
l'euthanasie. Or cette signature, selon l'article 34 avait un double but vous
disait-on: sanctionner, c'est a dire approuver, et promulguer, c'est a dire
décréter la loi. L'affaire a mijoté à feu doux pendant des mois, jusqu'au vote,
et personne d'autre n'était au courant des réserves du Chef de l'Etat. On
connait la suite. Désormais le Grand-Duc promulgue mais ne sanctionne plus.
Je suis trop loin du lieu du massacre pour comprendre en quoi la nouvelle
formule de l'article 34, que l'on présente comme quoi le Grand-Duc ne
"sanctionne" plus, mais simplement "promulgue" donnerait
tous les apaisements au Grand-Duc? Comment un jeu de mots, qui doit être
expliqué, professeur belge à l'appui, atténuerait-il la caution morale que le
Grand-Duc donne aux documents qu'il signe? Puis-je proposer d'autres jeux de
mots qui vont avec "sanctionne, signe, promulgue": approuve, publie,
décrète, acquiesce, publie, avise, agrée, ratifie, consent?
En quoi serait-ce un coup d'Etat? La victime, il se trouve, est la
constitution, parce que c'est encore elle qui a été affaiblie, du fait qu'un
contrôle vital a été supprimé: le possible véto par l'exécutif d'un acte
législatif a été remplacé par rien. La démocratie ne s'en trouve pas renforcée,
mais affaiblie. Il n'y a plus d'instance qui pourrait opposer l'ultime véto à
la promulgation d'une nouvelle loi quand certaines circonstances, extrêmement
rares certes, comme le bien public ou une violation de la constitution
l'exigeraient. Ce n'était certainement pas le cas pour la loi sur l'euthanasie,
comme il s'agissait d'une objection de conscience personnelle du Grand-Duc.
Donc la constitution manquait tout simplement d'un mécanisme pour passer outre
une objection personnelle du Grand-Duc qui avait des connotations politiques,
mais qui lui laissait son droit personnel de penser librement. Comme par
exemple par un vote super majoritaire ou par tout autre mécanisme délayant ou
bicaméral.
Dans le massacre de la Sainte Justine, l'Exécutif a donc été inutilement
amputé d'une fonction critique, celle de pouvoir opposer un véto au pouvoir
législatif. En quoi cela renforcerait la démocratie, si une fonction de
contrôle disparait? Serait-il un renforcement de la démocratie que de supprimer
le droit de la Chambre des Députés de sanctionner le Gouvernement? On pourrait
prétendre que c'est une bonne chose que de renforcer le Gouvernement.
Mais, il est vrai que le Gouvernement n'a pas besoin d'être renforcé. En
fait, le pouvoir du Premier Ministre a été indirectement accru, encore une
fois, par l'épisode de l'article 34. Si l'on conclue qu'il faudrait rétablir le
pouvoir de sanctionner les lois, ce pouvoir, parce que politique, irait
peut-être encore au Premier Ministre qu'on appelle aussi des fois « Président
du Gouvernement ». Nous sommes en effet désormais dans une « Monarchie
Présidentielle » ce qui en soi est une contradiction et une incompatibilité des
termes, mais une réalité bien luxembourgeoise.
En effet le Premier Ministre (ou Président du Gouvernement):
- · préside
le Gouvernement,
- · le
Gouvernement a drainé les pouvoirs du Chef de l’Etat,
- · le
Gouvernement domine aussi le Parlement,
- · le
Gouvernement nomme les Conseillers d’Etat
Montesquieu quelqu'un ? N’est-ce pas ce vieux paresseux qui a écrit sur la
séparation des pouvoirs? C’est difficilement applicable paraît-il chez nous
comme chez lui du reste. Quoique nos amis américains le font. Ils appellent
cela « Checks and Balances ». Non, cela ne veut pas dire « chèques et extraits
de compte ».
Checks and Balances désigne quelque chose que notre "Monarchie
Présidentielle" ne garantit plus bien : les vérifications, contrôles et
équilibrages réciproques entre pouvoirs, nécessaires au bon fonctionnement
d’une démocratie parlementaire et de l'administration. Les dysfonctionnements
politiques "percolent" ainsi dans les Administrations.
La démocratie luxembourgeoise est caractérisée par la prépondérance d’un
parti, le CSV, qui domine la scène politique depuis des dizaines d’années.
Porté par les réflexes d'une population conservatrice et par des succès
économiques dont il est pratiquement le seul a récolter les mérites, à tort ou
à raison, ce parti attire des partisans de tous bords. Ensuite, comme ce parti
ne peut pas gouverner seul, le nécessaire jeu de coalitions a créé une
situation de vassalisation des autres partis, anxieux d'être de la partie
coalisée. De sorte que l'on observe des tendances d'aplanissement du spectre
des sensibilités politiques de la gauche vers la droite. Ce nivellement du
débat politique est bien sûr aussi le fruit d'un bien-être sans précédent dans
le pays. En conséquence, la classe politique luxembourgeoise exhibe souvent un
alignement qu'on trouverait parmi les membres d'un parti unique, avec des ailes
gauches et droites moins que plus prononcées et dissonantes. Une démonstration
en était donnée lors du vote sur l'article 34 de la constitution.
Pratiquement tout le monde a participé au massacre, à l'unisson. Par contre
lors du vote sur l'euthanasie, le CSV s'est aperçu qu'a force de recruter dans
un spectre large du réservoir national, il s'est constitué une aile gauche
prononcée qui a soutenu un vote contre la ligne officielle du parti.
Après tout cela, je demanderai bien au professeur belge: "Dis fieu, et
si une fois le Grand-Duc refuse de "promulguer"?" Je ne sais pas
si vous êtes comme moi: signer un document me semble-t-il, engage ma
responsabilité. A mon humble avis, l'article 34 devrait prévoir un mécanisme
pour outrepasser un tel refus de signer, sans crier à la crise
institutionnelle. Laisser mijoter, c'est la programmer, à moins qu'un autre
massacre soit la fin qui justifie la mijoterie..
Conclusions
La révision de la constitution est en effet un vaste chantier.
Actuellement, les travaux sont cantonnés dans les laboratoires obscures d'une
Commission sans doute. Il convient que nous soyons tous vigilants et que le
débat soit public et aussi large que possible. C'est notre affaire à tous. Il
est nécessaire que les idées soient largement publiées, ce qui est aussi une
responsabilité historique du quatrième pouvoir. Quant à mes lunettes
helvético-américaines, voici ce qu'elles aimeraient voir:
Restaurer un pouvoir de véto soit au chef de l'Etat, soit au Gouvernement.
Quelqu'un dans l'Exécutif doit jouer le rôle de gardien de la Constitution et
de garde-fou. Ce pouvoir de véto doit pouvoir être outrepassé par un vote d'une
super majorité ou par un autre mécanisme.
Introduire l'élection au suffrage universel des membres du Conseil d'Etat
pour le rendre plus indépendant du Gouvernement et de la Chambre, avec une
composition politique potentiellement différente de la Chambre, et le doter de
ses propres moyens d'investigation, de recherche et d'expertise.
Consolider la Cour Constitutionnelle en véritable Cour Suprême de Justice,
gardienne et interprète de la Constitution.
Introduire dans la Constitution une section spéciale sur les principes et
les limites de notre intégration dans de organisations internationales et le
transfert de souveraineté.
Mener les débats sur la révision de la constitution publiquement et
impliquer le public souverain. Nous savons le mieux quand on nous marche sur
les pieds. Une petite étude du QRS fait sauter aux yeux le texte des articles à
adapter aux réalités vécues. Il faudrait surtout éliminer ce recours abusif aux
formulations qui introduisent un principe pour le dégonfler immédiatement avec
une clé permettant des manipulations ultérieures beaucoup trop facilement par
simple adoption d'une loi.
Et plutôt que de s'inspirer du professeur belge comme source de droit, nous
pouvons penser que "We the people" avons tout ce qu'il faut pour
établir "ein einig Volk von Brüdern". J'ajouterais "und
Schwestern."
Et comme une constitution, une vraie selon moi, se construit par le peuple
souverain, elle ne peut venir d'en haut. Voilà pourquoi, comme si souvent, vous
les jeunes vous êtes sollicités pour contribuer à définir votre avenir. Ou bien
nous les vieux, on le définira pour vous! Le Statec vous le dira: on est de
plus en plus nombreux. Vous-mêmes élisez toujours les mêmes. Pas étonnant que
vos chefs, pardon serviteurs, finissent par être des vieux aussi.
Impliquez-vous, faites votre QRS, rejoignez le vaste chantier de la
nouvelle Constitution. Si vous ne faites rien, ne comptez pas sur une
euthanasie obligatoire pour corriger votre inaction plus tard. Vous aurez à
demander à Moïse qu'il change le "Tu ne tueras point" dans ses
tablettes. Mais lui, il est un des nôtres. Pas sûr si le droit canon (non pas
le canon de Gottlieb Hurra) a prévu une procédure d'amendement. Et de toute
façon, la réponse serait non. C'est maintenant qu'il faut agir.
excellente analyse et commentaires très pertinents
ReplyDeleteLR