L'on se rappelle de ce navrant incident, quand le Luxembourg officiel, fomenté par les intérêts de la place financière, a eu une hyper-réaction à propos d'une étude commandée par le Cercle de Coopération des ONG luxembourgeoises. L'étude portait sur le sujet de l'argent illégitime du tiers monde qui se trouverait au Luxembourg. Le Gouvernement, stressé par des mois de résistance futile à l'OECD, a perdu les nerfs, et ayant trouvé sous sa main plus petit que soi, il n'a pas raté cette cible facile en lui refilant une sérieuse muselière. J'ai eu mon propre sursaut en voyant cette dérive effrayante de ce que nous sommes et avons toujours été: des gens pondérés et raisonnés. Et j'avais publié une tribune sur le sujet le 8 septembre dernier:
http://feierwon.blogspot.com/2009/09/luxembourg-une-lecon-de-democratie-qui.html
Le 27 octobre, il apparaît, a eu lieu un débat à Luxembourg réunissant d'un côté les intérêts de la place financière et de l'autre côté les ONG, le tout à l'initiative d'Etika. Selon des articles de presse, c'était un dialogue de sourds. Dans ce débat de sourds, force est de constater que le Luxembourg officiel, égaré un moment sur les pentes de l'intolérance, a retrouvé un peu de sa contenance en acceptant de s'asseoir autour d'une même table avec les ONG. Il manquait toutefois le mystérieux personnage qui avait fait le chantage aux subsides des ONG, et il manquait le Professeur Rainer Falk, auteur de l'étude contestée. Dommage.
En prenant connaissance du détail du dialogue, j'arrive néanmoins à la conclusion que le dialogue n'était pas seulement un dialogue de sourds, mais aussi d'aveugles: d'un côté la place financière, sourde, car n'est pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre. De l'autre côté les ONG, aveugles, ne sachant pas voir ce que le secret bancaire leur cache et que les gardiens du secret leur reprochent de ne pas avoir vu. Ceux-là diront que le problème soulevé par les ONG est minime. Mais comment argumenter quand on ne peut pas voir et vérifier les faits? La fraude de Madoff à Luxembourg est qualifiée de minime aussi, moins de 0,5% des dépôts dans les fonds. Mais cela faisait des milliards...
Ainsi la discussion s'est surtout distinguée par des monologues, avec une rare et pétillante exception: Lucien Thiel, qu'il ne faut pas présenter, a hypothétiquement qualifié les ONG de receleurs, alors qu'elles sont subsidiées par le Budget de l'Etat qui, étant alimenté par les recettes du centre financier, redistribuerait ainsi aussi de l'argent sale qui forcément devrait s'y retrouver. Richard Graf, Président d'Action Solidarité Tiers Monde, quelqu'un qu'il faudrait mieux présenter, a répondu qu'en effet en c e cas les ONG, tel que Robin des Bois, rendaient tout simplement l'argent volé à ceux à qui il avait été volé. Cette répartie de Monsieur Graf caractérise ce débat. Elle place les ONG sur le haut du pavé moral, et le côté place financière en défensive, encore une fois, et inutilement. La défense acharnée de la place financière vaut la peine sur les fronts principaux. Elle gaspille ses ressources, elle joue sa réputation et elle perdra de toute façon ses batailles dans lesquelles la cause opposée est plus juste et plus noble.
En fait les ONG ne doivent pas être si aveugles que ça quand il s'agit de retourner l'argent volé à des populations misérables. Il est fort probable en effet qu'elles retournent ainsi une petite partie de l'argent subtilisé aux pauvres par:
· les kleptocrates du monde qui éternellement président un "en voie de développement éternel"
· les corrompus de tout horizon, car il en faut deux pour danser le tango
· les artistes du "transfer pricing"
· les évadés fiscaux professionnels et globaux
Mais si je comprends bien, cette réunion était une première, et une bonne occasion de se "tâter". La défense du centre financier est certainement une nécessité dans le monde qui nous entoure. Nier en bloc une quelconque exposition à de l'argent sale n'est par contre pas crédible. La place financière luxembourgeoise est comme toute autre place exposée à l'argent sale, et à l'argent douteux. Cela se produit tous les jours, avec la connaissance et des fois à l'insu des opérateurs. Vouloir nier ces faits sonne comme une bonne invitation pour attirer plus d'argent qui voudrait se cacher. Par contre, reconnaitre le problème et montrer comment le Luxembourg s'y prend pour y mettre fin, sanctions sévères à l'appui, servirait notre cause de façon unique
L'action récente des ONG pourrait en ce sens être construite tout aussi bien comme une opportunité plutôt qu'un agacement pour la place, un acquiescement que les problèmes existent, et que l'on veut les attaquer de concert avec le bénévolat des ONG. Pourquoi le Gouvernement ne devrait-il qu'écouter les conseils intéressés des professionnels des "Big Four" et autres firmes d'avocats, quand il s'agit d'agencer le devenir du centre financier? Le moment est peut-être arrivé d'intégrer les idées des ONG dans le processus de réflexion, et de gentiment corriger les erreurs de calcul qu'il pourrait y avoir dans leurs études et estimations d'aveugles. Les ONG pourraient ainsi appuyer la dimension politique de l'aide au développement. Politique au sens profond du terme, pour orienter une action durable. En ignorant les critiques des ONG, le Gouvernement se confine à une aide au tiers monde qui risque d'être perçue ou bien comme charité paternaliste, ou bien comme une exhibition vaniteuse de nouveaux-riches ou pire, un réflexe de mauvaise conscience vis-à-vis de Robin des Bois. Les ONG, pas si aveugles que ça sur leurs terrains d'action, sont des éclaireurs bien utiles pour marquer les cibles d'une aide durable, et pour dévoiler les voyous et les pratiques qui contrecarrent leurs efforts.
Au passage, j'égratigne volontiers l'un des slogans défensifs lassants, au service d'une défense orchestrée de la place financière, mais mal guidée. Ce slogan n'émerveille que ceux qui le lancent, pas ceux qui l'écoutent, car il est né de reflexes égocentriques. Il s'agit de ce slogan proféré à outrance, qu'en levant le voile du secret bancaire à Luxembourg, les capitaux parqués à Luxembourg, s'enfuiraient vers Singapour. Drôle de réponse à ceux qui veulent empêcher la fuite des capitaux du Sud vers le Nord et qui pensent que le Luxembourg se trouve bien dans le Nord et est bien un réceptacle important de cette fuite des capitaux du tiers monde. Nous sommes donc pour et contre la fuite des capitaux. Cela dépend de la direction de la fuite.
Au moment où les "statistiques" de l'ONU parlent d'un milliard d'humains qui souffrent de la faim et que des délégués "de haut niveau" de la FAO, comme Mugabe, festoient à Rome, au moment où le Luxembourg brigue un siège au Conseil de Sécurité de l'ONU pour changer le monde, pourquoi ne pas changer le monde chez soi, et cesser d'ignorer les effets pervers des causes que les ONG identifient tous les jours comme étant les vrais obstacles au progrès du tiers monde. Et de faire de ces ONG si embêtants des alliés pour changer le monde, une capacité que ces ONG, par ADA entreposée, ont d'ailleurs démontrée en étant les champions de la micro finance. C'est sans doute ce potentiel de collaboration, qui une fois reconnu, serait la conclusion positive de cette table ronde qui a remis au moins quelques principes démocratiques sur les rails.
Il est en effet grotesque et suprêmement suspicieux de voir le Luxembourg s'acharner à être le champion du monde de l'aide au tiers monde, mais de n'accepter, ce faisant, que de traiter les symptômes. Volontairement ignorer les causes profondes de la misère dans les pays "en voie de développement" telles que le vol, la corruption, la fuite des capitaux et l'évasion fiscale, et de certifier que le Luxembourg n'y joue aucun rôle, est intellectuellement insupportable.
Egide Thein
egidethein.blogspot.com
peckvillchen.blogspot.com
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