Je propose que la première chanson de l’été soit: « Tout va très bien, Madame la Marquise. » Les Luxembourgeois, étalés sur les plages de Majorque, n’ont qu’une peur : que la grippe porcine leur tombe sur la tête.
Le repos est bien mérité après quelques mois de soucis autour de la fontaine de richesse, le centre financier, qui alimente notre bien-être. C’est le repos du guerrier en quelque sorte, non sans référence à mon article antérieur au sujet des deux guerres du Luxembourg. La première guerre est terminée. Nous l’avons perdue comme l’ont perdue avec nous tous nos alliés.
Où en sommes-nous avec la deuxième? Nous savons que l’entre deux guerres dans notre bonne vieille Europe d’habitude prend un certain temps, le temps de reconstituer une génération de fantassins. Mais dans le cas présent, ce n’est plus vrai. Il ne faut même plus le temps de laisser refroidir le canon. Il ne faut pas reconstituer une génération, il n’y a pas eu de morts, il n’y a eu que des pertes. Ce qui veut dire que les vétérans, victorieux et singulièrement expérimentés, peuvent remettre cela tout de suite, parce que tous leurs objectifs n’ont pas été atteints. L’oracle des deux guerres se réaliserait donc rapidement, dès l’ouverture de la Schouberfouer?
Eh oui, les autoroutes du retour des vacances feront penser aux exodes de mai 1940. Déjà notre alliée, la Suisse subit les assauts de Washington. Les vétérans US Lawrence Summers, Tim Geithner et Barney Frank (Chairman, House Financial Services Committee) ont plus d’un tour dans leur sac pour rapatrier millions et milliards. Même si la Suisse rappelait la garde papale pour la défense de cet autre sanctuaire qu’est le secret bancaire, ce mouvement serait bien futile.
Pourtant, on pouvait sentir une grande détermination parmi les vaincus de la première guerre, que l’on ne céderait plus un seul millimètre. Ce sera la défense ferme, ça et là, dans les tranchées! Cela m’inspire la deuxième chanson de l’été, de Georges Brassens en ce cas:
« Moi mon colon, celle que j'préfère
C'est la guerre de quatorze-dix-huit »
L’utilisation de ce langage guerrier n’est pas une préférence personnelle. Elle est la reconnaissance et la constatation d’un fait qui s’est produit avec l’assaut sur les paradis fiscaux ces mois passés : une quasi guerre a été menée avec la suspension de fait d’un pan entier du droit international. Même pas besoin de Convention de Genève, car on ne prend pas de prisonniers.
Ce que la Suisse subit en ce moment est révélateur de la rentrée qui sera chaude. Comme chaque guerre, cette guerre pour la substance des paradis fiscaux, c’est à dire leur richesse, a commencé comme toutes les guerres, avec un premier coup de feu.
Ce coup de feu a été tiré il y a un an déjà dans le cas de Bradley Birkenfeld, employé d’UBS, arrêté en Floride en 2008 pour son aide systématique à l’évasion fiscale de sa clientèle américaine et pour falsification de documents du statut de « Qualified Intermediary » (QI), dont UBS pourtant était signataire. L’accord « QI » est une obligation d’information de la banque de tous les revenus US de leurs clients US au fisc américain. C’est à partir de là qu’UBS s’est enfoncée graduellement dans les mailles du filet judiciaire qui lui a été tendu.
Il est d’ailleurs surprenant qu’une banque de cette classe mondiale s’empêtre d’une telle façon, alors qu’elle venait de connaître d’autres épisodes dangereux avec la justice et les régulateurs américains. Ainsi rappelons nous de l’affaire de la destruction des dossiers du holocauste, dans laquelle la banque a frôlé la perte de sa licence bancaire américaine, sans parler des compensations de l’ordre du milliard, qu’elle a dû verser aux victimes du holocauste, ensemble avec Crédit Suisse. Est-ce le produit de l’arrogance, d’une culture interne d’approbation mutuelle, qui a fait que le proverbial âne est allé danser sur la glace? La trivialisiation graduelle d’activités douteuses, a fini par l’engagement de la banque en des activités criminelles, du moins du point de vue US, avec condamnations et sanctions à la clé.
Entretemps la banque a connu une nouvelle sanction de $780 millions liée au cas de l’évasion fiscale organisée par Bradley Birkenfeld. Elle a dû violer les lois Suisses sur le secret bancaire en livrant 252 noms de clients, pour apaiser l’appétit américain. Churchill aurait dit que c’est bien futile que d’alimenter le crocodile en espérant être mangé le dernier. Le crocodile est en effet revenu exiger 52.000 autres noms. La « Défense Ferme » a craqué aux premières lueurs. La Confédération Suisse souveraine a dû venir en aide, en menaçant la saisie des informations de la banque. Elle a dû acquiescer à la suspension du droit international, provoquée par un conflit de droit, et son remplacement par l’épreuve de force politique. La Suisse a ainsi engagé sa seule réserve stratégique, sa souveraineté, pour un résultat glorieux selon elle, catastrophique en fait en vue des conséquences, qui ne sont pas encore toutes connues. Comme par exemple 52.000 possibles actions en justice contre la banque pour abus de toutes sortes.
Au lieu de 52.000 noms, la Suisse n’en livrerait « que » 5.000. Victoire? Oui, totale pour les Etats Unis. Connaissant les pratiques, ces 10% des noms risquent de représenter 90% des dépôts. Ces 5.000 noms sont surtout l’équivalent de la bombe d’Hiroshima. La Suisse a été réduite en une zone interdite pour tout client bancaire américain. Les clients américains se ruent vers la sortie et vont implorer le pardon auprès du fisc américain. Mieux encore, plus aucune banque Suisse ne voudra de client américain, comme me confirment des amis américains qui travaillent en Suisse et qui ont tout le mal du monde pour y maintenir au moins un compte bancaire.
C’est donc une solution politique qui émerge au bout d’une négociation d’Etat à Etat. Encore faut-il rappeler que la Suisse en cette négociation avait au moins une carte à jouer : le fait qu’elle représente les Etats Unis diplomatiquement auprès de tous les « méchants » de la planète avec lesquels les Etats Unis n’ont pas de relations directes.
Hélas, mon brave Georges, nous avons maintenant la preuve que la guerre de quatorze-dix-huit, celle d’une défense ferme dans des tranchées bien statiques n’est pas celle qu’on doit préférer. Il faut choisir autre chose, car bataille il y aura. On ne peut pas apaiser le crocodile.
Donnez-moi un point d’appui et un levier, et je vous soulève la Terre aurait dit Archimède. Donnez-moi un Bradley Birkenfeld et une UBS, et je vous soulève le secret bancaire, pourrait dire Larry Summers. Voilà un des procédés de combat qui va se répéter à l’avenir avec d’autres juridictions, jusqu’à l’épuisement.
Mais en passant pendant vos vacances par la Porte de Brandebourg, l’Arc de Triomphe ou le Lincoln Memorial, tendez l’oreille pour entendre les Steinbruck, Sarkozy et Barney Frank tramer d’autres procédés pour la rentrée. L’un voudrait augmenter la pression sur les paradis fiscaux qu’il désignerait lui-même sur une liste bien à lui, l’autre fera donner de l’artillerie sur ses propres troupes, les banques françaises établies dans des juridictions à secret bancaire, le dernier finalement entrevoit une classification des paradis judiciaires et réglementaires que les Etats Unis établiraient, sanctions à l’appui.
Voilà la menace, avec la conclusion qu’il faudra autre chose au Luxembourg qu’une déclaration myope à propos de la défense ferme du secret bancaire, ou la répétition obsessive que « tout va très bien Madame la Marquise. » Une remise en question totale est vraiment nécessaire. Ecoutons un prophète venu d’ailleurs :
« There can be no more taboos, given our experiences of the last two years. » Philipp Hildebrand, Vice Chairman, Central Bank of Switzerland
Traduction: Il ne peut plus y avoir de tabous, étant données les expériences des deux dernières années.” Philipp Hildebrand, Vice-Président, Banque Centrale de Suisse.
Le Luxembourg aura-t-il enfin son Hadubrand, qui dans la saga moyenâgeuse est le fils (spirituel) de Hildebrand, pour en finir avec les tabous?
Egide Thein
egidethein.blogspot.com
Wednesday, August 12, 2009
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