Nous savons que la première guerre autour de la place financière de Luxembourg a été perdue. Le butin des vainqueurs est notre secret bancaire. Pourvu qu’il n’y ait pas d’autre guerre pour drainer le centre financier de sa substance. Elle ne peut être évitée si le méchant voisin ou le méchant monde entier ne veut pas laisser le Luxembourg œuvrer en paix. Péril est en la demeure et il faut décider des mesures à prendre maintenant. Quel meilleur moment de le faire, qu’au moment où se fait la future coalition gouvernementale. Je suis sûr que ces quelques recommandations seront appréciées.
Les 8 mesures possibles
En ce qui concerne la deuxième guerre, celle pour la substance de la place, il faut savoir qu’on a toujours tendance à préparer la dernière guerre au lieu de la prochaine. La nouvelle guerre aura lieu dans un contexte économique difficile. Comme gouverner, c’est prévoir, l’histoire récente nous donne facilement trois scénarios pour lesquels il faudrait se préparer, tenant compte de la dynamique économique: il est sage de prévoir un scénario favorable, un scénario moyen et un scénario cauchemar pour parer à toute éventualité.
A. Le scénario favorable : Ce 13 juillet 2009, on a touché le fond de la récession. A partir de demain ce sera la croissance qui repart. Mais cela semble très optimiste, et les pronostics ne vont pas dans cette direction.
B. Le scénario moyen est à l’image de la Californie telle qu’elle est devant nous de nos jours, 7e ou 8e économie dans le monde. L’état paye en IOU c’est à dire en « I owe you » sorte de reconnaissance de dette que même les banques considèrent comme monnaie de singe. Il y a impasse sur le budget, parce que personne ne veut consentir à des concessions. La Californie n’a plus d’argent et n’admet pas les conséquences. C’est comme qui prétendrait qu’on n’a qu’à voter qu’on est toujours riche. Empruntons tant qu’on a un rating Moody’s AAA, on fera payer nos enfants ou mieux, les frontaliers.
C. Le scénario cauchemar est l’exemple de l’Islande, où la dette totale atteint 175% du PNB, et où salaires, pensions, prestations et budgets ont été coupés significativement, sans parler de la dévaluation de la monnaie.
Comment se préparer à cela? Voici huit actions possibles, j’ajouterais théoriquement possibles, car je soupçonne l’existence de quelques réflexes primaires qui annuleraient l’une ou l’autre sans discussion.
1. Former un Gouvernement d’unité nationale
Ne vous en faites pas, je ris avec vous de considérer cette possibilité. Pourtant, à gros problèmes, gros moyens. Surtout si le gros problème est le scénario B et C, le californien ou l’islandais. Ce serait démontrer une prise de conscience, la réalisation qu’on est tous dans le même bateau. Le Luxembourg a su le faire en 1945 avec une constellation gouvernementale multiparti, attelée à la tâche de la reconstruction.
2. Former un Gouvernement minoritaire.
Il y aurait une logique à cette solution, et elle a une certaine ressemblance avec le Gouvernement d’unité nationale, parce qu’il ne survivrait que par le bon vouloir des autres partis. Ce serait un Gouvernement CSV seulement, pour la raison que pratiquement de façon ininterrompue, ce parti a présidé aux destinées du centre financier. Si la banque va, tout va, et le CSV en a profité légitimement. Il est aussi l’artisan de la situation nouvelle et devrait assumer que si la banque ne va pas, rien ne va. Sous son égide s’est développé un complexe politico-juridico-financier qui comporte les Ministères d’Etat, du Trésor, des Finances, CSSF, Commissariat aux Assurances, BCEE, SNCI, BGL, ABBL, ALFI. J’en oublie. Peut-on ajouter de façon informelle l’omniprésent Arendt & Medernach? Ce conglomérat d’institutions est étroitement contrôlé par les fidèles équipiers, vaste coalition d’intérêts divers. Le conglomérat rendrait-il aveugle aux besoins urgents de réforme de la place?
En 1954 le Président Eisenhower a utilisé à peu près ces termes pour fustiger un conglomérat similaire, le complexe militaire-industriel aux Etats-Unis: « Le potentiel pour l’avènement néfaste de pouvoirs déplacés existe et perdurera. Nous ne devons jamais laisser le poids de ces combinaisons menacer nos libertés et nos procédés démocratiques. » Il n’y a pas de différence entre les principes de fonctionnement politiques entre un grand état et un petit.
Je sais maintenant, il manque la Banque Centrale, mais l’équipier en chef appartient à une autre équipe.
3. Former un Gouvernement de coalition
Ce paragraphe aurait pu être écrit l’année passée déjà, tellement cette solution prévisible sied la situation, les préférences, les besoins politiques et sociaux du moment et les ambitions personnelles. Mais sera-ce LA solution ? Cette coalition opèrera à la hauteur du débat politique qui a eu lieu, aura l’énergie de la campagne électorale passée, l’enthousiasme du vainqueur des élections et la passion des négociations pour la coalition en cours.
J’aurais pu réduire ce paragraphe à son titre, car vous connaissiez toute l’histoire. On sait qu’il faut un LSAP, chaperon bienvenu pour aider à administrer des pilules amères à son électorat, ou à donner sa bénédiction aux cadeaux donnés aux actionnaires des banques défaillantes sous prétexte de sauver des emplois. Difficile à justifier que l’employé paye deux fois: faire des concessions à l’employeur, puis le sauver avec ses impôts.
4. Faire l’inventaire critique des défaillances luxembourgeoises.
C'est-à-dire prendre la décision de revoir toutes les failles et tous les manquements, intentionnels et accidentels, dans le dispositif réglementaire luxembourgeois, afin d’éviter que d’autres ne le fassent, coup d’éclat à la clé. Les douze travaux de Frieden ne suffisent pas. C’était de la plomberie d’urgence parce que la foudre était tombée sur la tuyauterie. Ce qu’il faut maintenant, c’est de l’architecture, pas de plomberie.
5. Redessiner le concept, rectifier la dérive.
Cela commence par purger les textes de loi et les règlements selon un critère simple : est-ce que cela tient la route pour se défendre contre des accusations de paradis fiscal et de paradis judiciaire et réglementaire ? Il faudra se débarrasser des scories des lobbyistes pour désagréger le conglomérat. Il faut enfin reconnaître la fin du secret bancaire, éliminer définitivement ce concept et le remplacer par le concept éprouvé et inattaquable de la protection des données personnelles.
6. Appliquer la loi et les sanctions.
Ce sera un champ de bataille futur et les prétendants à la victoire devront démontrer que comparativement, ils sanctionnent plus sévèrement et plus souvent que les autres. Le Luxembourg est mal placé. Les rapports annuels des diverses administrations régurgitent les exemples de laxisme dû souvent au manque de moyens. Le Luxembourg n’a en effet pas les moyens en personnel pour poursuivre des cas criminels efficacement et dans des délais raisonnables. Les sanctions administratives, généralement de l’ordre de quelques milliers d’Euros, n’ont aucun effet dissuasif dans des affaires qui impliquent des millions. C’est même une invitation à venir commettre un crime financier plutôt à Luxembourg qu’ailleurs. Comment comparer €12.500 d’amende maximum à Luxembourg à $35 millions (Riggs Bank) $100 millions (UBS), £350 millions (Lloyds Bank) et $780 million (UBS) ?
7. Répondre à la future question très simple du client : « Suis-je protégé « ?
Soyons clairs : le client du Luxembourg n’est pas la banque, mais le client de la banque. Par service après-vente il faut entendre le degré de confort qu’un investisseur aura de savoir que son investissement est bien protégé au Luxembourg. Il faudra vastement réorganiser ce service après-vente en renforçant la surveillance, les moyens d’investigation, les moyens de sanctionner et les moyens de protéger le client. Et de se rendre compte que notre client n’est pas la banque dorlotée par le conglomérat, mais le client de la banque. Si ce client vote lui avec ses pieds, de nos jours ce sera un click avec une souris, la coalition valsera.
8. Diversifier, diversifier, sachant qu’aucune activité créée sur place ou importée, ne créera des plus values (ni dans certains cas, Dexia et Fortis, des pertes) aussi importantes que les activités financières.
Egide Thein
egidethein.blogspot.com
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Tuesday, July 14, 2009
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