La globalisation produit des phénomènes inattendus. Alors qu’elle produit ces effets désirés qui sont le libre échange, la libre circulation, l’ouverture et la tolérance, elle devient aussi le support qu’utilisent de nombreux criminels pour exercer leur métier. Au passage ils profitent de la fragmentation du monde global en juridictions nationales plus ou moins en compétition entre elles, plus ou moins égoïstes, voire criminelles elles-mêmes. Leurs crimes tendent à être de plus en plus banalisés et aseptisés.
La globalisation et la banalisation du terrorisme : Pan Am 103 et 9/11
Le 21 décembre 1988, le vol Pan Am 103 explosait au-dessus de Lockerbie en Ecosse. 270 vies, jeunes pour la plupart, étaient perdues dans cet attentat perpétré par les services secrets libyens. C’était aussi le début de la fin d’une compagnie aérienne mondiale et historique, Pan American, et la fin du voyage aérien tel que nous le connaissions : sans appréhension du sabotage. Depuis, le monde entier doit se plier à l’intrusion des services de sécurité avant l’embarquement sur un vol et en supporter le coût.
Le conspirateur principal, Abdelbaset Ali Mohamed Al-Megrahi, agent des services secrets libyens, a été protégé activement par le Gouvernement libyen de toute poursuite judiciaire jusqu’en 2001, quand au bout de longues tractations, il a été condamné à 27 ans d’emprisonnement, un an par dix victimes, ou 1,2 mois par meurtre. Comme tout le monde sait, il a été libéré pour « raisons de santé » et après avoir purgé 8 années de sa peine, c'est-à-dire 10 jours par meurtre, il est rentré en Libye. Il n’aurait plus que trois mois à vivre, disaient ses médecins, les docteurs Brown et Mouammar.
Le Gouvernement libyen a dépêché un avion spécial, pour rapatrier un grand criminel qu’il a continuellement supporté. L’assassin de 270 personnes a reçu un accueil triomphal à Tripoli, que la raison d’Etat a pourtant essayé de mitiger. Si selon les sondages 95% du public américain condamnent cette libération, sans doute 95% du public libyen la supportent. Telle est la réalité de la détérioration de la moralité dans les relations internationales, gouvernements et peuples confondus.
La même dissonance s’est produite lors des attentats du 11 Septembre 2001 à New York et à Washington : contrairement à la révulsion du monde occidental, le monde arabe dansait dans la rue.
Voilà deux exemples de crimes internationaux, dont la bestialité n’a pas d’égal, mais où les criminels ont été protégés par leurs opinions publiques, ont bénéficié de la sympathie de leurs gouvernements, voire, ils en ont exécuté les ordres. Le résultat net est non seulement les actions militaires en Afghanistan et Iraq, mais un cycle de menaces, de violences terroristes et d’escalade nucléaire, qui empoisonnent les relations internationales et qui touchent notre vie de tous les jours.
La globalisation et la banalisation du crime en col blanc : UBS et Madoff
Il y a d’autres crimes internationaux, facilités par la globalisation, qui tendent encore plus facilement à être pardonnés ou minimisés : ce sont les crimes en « col blanc ». Sans vouloir conclure à une quelconque équivalence avec les crimes meurtriers énumérés plus haut, ces crimes sont également préjudiciables aux bonnes relations et aux bons développements internationaux.
Considérons les présents déboires de la banque suisse UBS et de la Confédération Helvétique avec les Etats-Unis. UBS, une des premières banques mondiales, s’est décarcassée pour commettre des crimes aux Etats-Unis en aidant des clients américains avec tout son savoir-faire pour évader le fisc. L’évasion fiscale et la complicité dans l’évasion fiscale sont des crimes aux Etats-Unis. Pris les mains dans le sac, la banque, puis le Gouvernement Suisse venant à la rescousse, ont déployé des efforts et une créativité digne d’un horloger suisse, pour protéger la banque, ses employés et l’arme du crime qui est le secret bancaire suisse.
Contemplé sous l’angle de l’intérêt national suisse, les milliards de dollars déposés en Suisse ont généré des dizaines de millions de dollars en recettes budgétaires pour la Suisse, en rémunérations pour les professionnels suisses, banquiers, avocats et auditeurs. Il est difficile de les chiffrer, secret bancaire oblige. Une chose est certaine cependant : dans chaque salaire payé par l’Etat suisse, du Président de la Confédération jusqu'à la femme de charge du Commissariat de Police de Pratteln, se retrouve une petite partie de l’argent du crime par le biais du budget fédéral qui a levé son impôt sur l’argent du crime. Sauf aux Etats-Unis, où il y a eu des sanctions sévères et une condamnation, aucune sanction n’a été prise en Suisse, à ma connaissance, contre la banque ou ses dirigeants, au contraire !
Maintenant, il ne s’agit pas de spécialement vilipender la Suisse. Elle n’est qu’un exemple immédiatement disponible, parce qu’elle fait la une actuellement. Pareille situation existe ailleurs, ce qui est précisément le sujet ici : la banalisation graduelle du crime international et les conséquences néfastes pour l’ordre international.
Prenons dès lors le cas Madoff, où $65 milliards ont été perdus. Madoff prétendait générer des revenus de l’ordre de 15% annuels, c'est-à-dire environ $10 milliards. Les presque $3 milliards investis au Luxembourg auraient donc produit des bénéfices de l’ordre de $400 millions annuellement et donc des impôts de plusieurs dizaines de millions de dollars, dont environ dix á vingt millions seraient allés au fisc luxembourgeois chaque année? Encore une fois : il est difficile de connaître les chiffres exacts, secret bancaire oblige. Mais quel drôle de sentiment que de savoir que dans le salaire du Premier Ministre Juncker tout comme dans ma pension ou dans le salaire du policier de Troisvierges et du douanier de Frisange, il y aurait de l’argent sale qui viendrait de Madoff, par le biais du fisc luxembourgeois, ou encore de l’argent sale d’autres fraudeurs et criminels qui eux restent cachés! Encore une fois, sauf aux Etats-Unis, il n’y a pas eu de condamnation ou de sanction au Luxembourg, ni contre les banques qui jouaient aux « feeders » de Madoff comme UBS (tenez, les revoilà) ou contre HSBC, ou d’autres bénéficiaires nets. Pourtant les clignotants d’alerte à la fraude devaient être visibles pour certains participants, tellement les ficelles de Madoff étaient grosses. Il y a eu abandon de tout esprit critique chez ceux là, ou était-ce de la négligence, ou le fruit d’une banalisation fortuite de la malhonnêteté, ou une omission à dessein? Les cafouillages des autorités luxembourgeoises pendant des mois en cette matière en disent long sur le malaise qu’on voudrait oublier. Comment en est-on arrivé là ? Si nos ancêtres nous voyaient ainsi vivre du fruit du gain mal acquis, eux qui trimaient à Hadir et Arbed, dans les galeries, dans les maigres champs de l’Oesling, ils diraient : « Hutt Dir séi nach all !? »
Selon les principes américains de recouvrement des sommes fraudées, les victimes de Madoff se tourneront pour un « claw back », c'est-à-dire une récupération, vers les fraudeurs d’abord, ensuite les complices, les intermédiaires et professionnels tels que managers, avocats et auditeurs, les régulateurs ainsi que les investisseurs qui ont été des bénéficiaires nets pour récupérer l’argent disparu. Devraient-ils en faire de même avec le fisc américain, luxembourgeois, français, autrichien qui tous ont levé un impôt sur des profits fictifs? En effet la somme du bilan est zéro!
Les conséquences pour le Luxembourg et les « petits » pays
Pour en revenir à la thèse initiale: la criminalité internationale perturbe le bon ordre international. C’est évident en ce qui concerne les actes terroristes et les peurs qui y sont associées, comme la peur de la prolifération nucléaire.
Il devient de plus en plus évident que d’autres crimes, quoique minimisés pour longtemps, ont le même effet, comme par exemple l’évasion fiscale. Les temps sont bien loin quand il suffisait de réciter la page numéro 1 du catéchisme luxembourgeois : « Une activité considérée comme étant un crime dans un pays étranger n’est considérée comme étant un crime par les autorités luxembourgeoises que si un juge luxembourgeois confirme que pareille activité serait également un crime au Luxembourg. » Ce qui très convenablement exclut l’évasion fiscale.
Dans ce monde en crise où le chacun pour soi l’emporte, cet opportunisme luxembourgeois (et suisse et antiguais etc.) a agacé plus d’un. Dans un monde qui met ses projets en veilleuse, une Europe qui stagne et a quelques réflexes rétro de protectionnismes divers, où la civilité diplomatique est aux abonnés absents, c’est la loi du plus grand et du plus fort qui est la loi. La Suisse, le Luxembourg, le Liechtenstein, Antigua, ce sont des petits pays, n’est-ce pas ?
La vraie défense des intérêts luxembourgeois, suisses et autres places financières ne peut être ancrée que sur des positions qui sont moralement inattaquables. Parmi celles-là, il n’y a pas l’évasion fiscale ni même le secret bancaire, qui est un prétexte égoïste. Il y a cependant les grands principes à défendre, surtout par les petites nations. Ce sont ceux de la libre circulation et de son corollaire, la compétition de toute nature, qui inclut la compétition fiscale. C’est là que les petits pays auraient un rôle de moralisateur à jouer, ces pays qui hier étaient les accusés, les facilitateurs. Sous condition de se défaire des causes de leurs réputations négatives.
Peu semble être fait cependant en ce sens. Nous sommes encore au stade de la négation, ou des récriminations. Pourtant, c’est le moment pour les « petits » d’afficher leur intransigeance quand les bienfaits de la globalisation sont remis en question. En se trompant de priorité, le Luxembourg poursuit internationalement une ambition grotesque en s’en allant aux Nations Unies présenter sa candidature pour le Conseil de Sécurité! Le Luxembourg risque de se brûler les doigts en voulant sauver le monde égoïste avant de se sauver soi-même. Connaissant le kabuki de l’ONU pour l’avoir vécu de près, il n’y a rien à glaner pour le Luxembourg, surtout dans un monde où les bons voisinages se détériorent. Il n’y a que des risques, comme nous l’avons expérimenté jadis avec une avancée téméraire à l’ONU sponsorisée par le Luxembourg sur l’interdiction du travail des enfants. Nous avions instantanément 3 milliards d’ennemis dans le monde entier. Comme entretemps nous avons assez d’ennemis en Europe, au G20 et à l’OCDE, réservons notre courage et notre témérité pour les affrontements qui en vaudront la peine. Cela s’appelle faire l’économie des moyens.
En attendant, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes entre les Etats-Unis et le Luxembourg apprend-on. C’est ce que la froebélienne en chef semble avoir dit un beau matin d’un beau jeudi du beau mois de juillet. Elle avait l’air condescendant, parce que l’élève Luxembourg avait bien fait son devoir sur l’OCDE, mais elle avait l’air sévère en même temps. Elle semblait penser aux $190 milliards en impôts que l’Administration Obama voudrait récupérer de par le monde. Compte tenu de tout ce qui précède, ayons peur pour le vendredi qui viendra certainement après ce beau jeudi-là. Le monde n’est plus ce qu’il était.
Egide Thein
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Wednesday, August 26, 2009
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