Monday, July 13, 2009

Les Deux Guerres du Luxembourg (2)

La première guerre autour de la place financière vient tout juste de se terminer et le Luxembourg fête sa grande victoire : le retrait de son nom de la liste grise de l’OCDE.

La grande victoire

« Nous ne nous replions pas, nous avançons dans une autre direction » aurait dit le Général Douglas MacArthur lors de son repli du Chosin Reservoir en Corée en 1950. C’est une excellente leçon de relations publiques. Pourquoi devrait-on être négatif au point d’appeler une défaite une défaite ?

Le Secrétaire Général de l’OCDE, donc le Général d’en face, Angel Gurria est en plus très chevaleresque dans sa victoire en faisant l’éloge du Luxembourg vaincu, qui observe si bien les termes de sa reddition. Quel Général vainqueur intelligent voudrait d’ailleurs diminuer l’adversaire qu’il vient de vaincre?

Du reste, le ministre du Trésor luxembourgeois, Luc Frieden, a fait la démonstration d’une belle capacité opérationnelle en battant Suisses, Autrichiens et Belges au sprint pour blanchir le Luxembourg et pour l’enlever de ce monument de honte, qu’est la liste grise.

Avec zèle et un peu de panique au ventre, le Luxembourg s’est donc conformé aux termes de sa reddition, dictés par le G20 le 2 avril 2009 à Londres. On comprend le soulagement que procure l’absolution d’Angel Gurria. Mais les traités de Frieden ne sont pas des traités de paix, tout juste des armistices.

Un frêle armistice

Après les réjouissances, style fin du Ramadan, accompagnant l’accomplissement de la pénitence, il serait facile de retomber dans les vieilles torpeurs, qui nous avaient valu le tableau de la honte. Il serait bon d’écouter les grondements du canon au lointain. Voici un échantillon de sept violations de l’armistice qu’on a pu recenser dernièrement:

1. Angel Gurria, après ses éloges et sa caresse dans le sens du poil en a fait une à contre-poil. Il a averti que le nombre de douze traités sur la double imposition était le seuil minimum à atteindre et non pas un plafond. Ajoutez à cela qu’il y a déjà des interprétations divergentes des textes, de bonne et de mauvaise foi, et cela donnera la mesure de la fragilité de l’armistice actuel. Remettre tout en question ne serait pas une première dans ce monde là, si l’on se rappelle qu’il y a à peine trois mois, des engagements pris justement au sujet des listes, ont été rompus après quelques semaines.

2. L’entente cordiale n’a plus fonctionné aussi bien depuis des lustres. La France et le Royaume Uni sont à l’unisson sur un nombre de politiques notamment autour du commentaire d’Angel Gurria ci-dessus. Ils sont aussi en faveur d’une révision de la méthodologie employée par le GAFI, Groupe d'Action financière, pour classer des pays et territoires sur la liste, eh oui une autre liste, des pays et territoires non coopératifs en matière de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Cette liste existe bien depuis des années, mais est pratiquement tombée en désuétude faute de brebis noirs à y inscrire, selon la méthodologie actuelle. Jusqu’à présent il suffisait de clamer un dispositif anti-blanchiment comprenant une législation et une unité d’investigation judiciaire pour combattre le crime financier. Il était suffisant de montrer les outils. La future supervision globale veillera à l’efficacité de ces outils et à la mise en œuvre crédible des 40 + 9 recommandations du GAFI (1). Les timides se retrouveront sur la liste des pays et territoires non-coopératifs. Le Luxembourg ne comptera pas parmi ceux qui appliquent ces recommandations rigoureusement, loin de là. Albion a depuis longtemps préparé ses territoires et dépendances à cette nouvelle donne en les mettant au courant et à l’abri de l’orage à venir.

3. La loi luxembourgeoise du 17 juillet 2008 sur la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme a vu le monde grâce aux forceps de la Commission Européenne et après moult pas de danse, y compris une procédure devant la Cour de Justice européenne pour non transposition de la troisième directive. A cette occasion une attention particulière a été donnée aux manquements luxembourgeois, y compris aux infrastructures insuffisantes, autant de points d’appui pour les leviers qui tenteront de désarçonner la forteresse dans le futur.

4. La Commission Européenne a traduit le Luxembourg une nouvelle fois devant la Cour de Justice Européenne pour application incorrecte de la directive sur la fiscalité de l'épargne. Le Luxembourg est accusé de trop de créativité dans l’interprétation de la directive en ce qui concerne le statut des «résidents non domiciliés», qui sont exemptés d’impôt.

5. Le « Tax Haven Abuse Act » sur la table du Congrès américain, à ce jour contient toujours le Luxembourg comme paradis fiscal, un parmi 34 pays cités. L’accord sur la double imposition avec les Etats-Unis n’a donc rien changé encore. Il n’est pas exclu qu’au cours des délibérations certains parlementaires introduiront des amendements qui pourraient même faire une surenchère. N’oublions pas que cela sera facile, ne coûtera rien, peut rapporter gros, récolter beaucoup de voix car cela ne s’applique qu’à l’étranger. Et n’oublions pas qu’on marche sur celui qui est par terre.

6. L’affaire Madoff est un joli prétexte pour mener une belle petite guerre de guérilla contre la forteresse luxembourgeoise avec des objectifs faciles: le cadre légal et réglementaire, la supervision, bref, le paradis fiscal, judiciaire et réglementaire. Peut-on sérieusement considérer se défendre avec succès dans cette guerre sainte menée par les défenseurs de la veuve et de l’orphelin bernés par Madoff, quand on est les Houdini luxembourgeois des directives européennes ?

7. Finalement cela vaut la peine de bien retenir ce nom : Steven Michael Rubinstein. Rubinstein est le premier citoyen américain à avoir été arrêté le 2 avril 2009 pour fraude fiscale, liée à la guerre contre l’évasion fiscale. Il est accusé d’avoir créé une société off-shore aux BVI pour cacher son identité comme bénéficiaire d’un compte à la banque suisse UBS, évalué à $6 millions. Son jugement est prévu pour le 30 Septembre 2009. Il payera une amende égale à 50% du montant le plus élevé sur son compte, et sera condamné de manière prévisible à plusieurs années de prison. Il est libre actuellement sous une caution de $12 millions. UBS, dans le contexte de son aide à ce genre de client, a déjà payé une amende de $780 millions. (2)

Hélas, comme nous voyons, on ne perd pas toujours une guerre avec un plan Marshall en récompense. Mieux vaut ne pas avoir de guerre, mais comment l’éviter si le voisin en veut une ? Et celle que nous venons de vivre, pourquoi a-t-elle eu lieu et pourquoi l’a-t-on perdue ?

Les causes de la guerre et de la défaite

Généralement c’est le plus fort qui commence et le plus faible (pas toujours innocent) qui a la raclée. Un peu de MacArthur : « Les guerres sont causées par la richesse qui est sans défense ». Ce qui nous fait conclure ceci:

1. Le Luxembourg a perdu parce qu’ « eux » étaient plus grands et plus forts et « nous » trop petits (et trop riches). C’est cela, un des principes élémentaires de la guerre.

2. Le Luxembourg a souffert du complexe d’Astérix, le guerrier Gaulois intelligent, agile, malin et invincible grâce à sa potion magique. Une longue carrière dans le domaine de l’exploitation de diverses niches d’activités économiques, produits de la souveraineté luxembourgeoise qui est la potion magique, est la base d’un aveuglement progressif, qui a mené à l’imprudence. On ne réveille pas le tigre qui dort. Surtout si l’on est bien gras et sans défense.
Depuis près d’un siècle, le Luxembourg a connu des succès remarquables dans les niches de souveraineté de la radiotélévision et de la communication avec RTL et la SES, de l’exploitation d’une lacune de l’IATTA avec Icelandair et puis des multiples facettes de la place financière. Ces succès affichés avec un peu trop de confiance en soi voire de l’insolence, ont provoqué une riposte de ceux qui y voyaient, avec un gros brin de jalousie, une concurrence déloyale et une tendance à un comportement insupportable. Une richesse, des fois mal acquise disent les concurrents, et sans défense.

3. En même temps qu’il a sous-estimé la menace, le Luxembourg a surestimé ses atouts. Parmi ceux-là, la certitude que les chiens aboient et que la caravane passe. Aucune tentative d’opposition étrangère aux desseins luxembourgeois n’a eu du succès pendant des décennies. Une action internationale comme celle récente du G20 est en effet sans précédent.

4. Il faut considérer que les équations morales dans la justification des pratiques de la place financière sont fragiles sur certains points. Cela a été compris en partie, pour preuve, la rapide mise en route du chantier des douze accords sur la double imposition.
La réalité de la fin du secret bancaire cependant semble échapper à beaucoup. Ce n’est plus une question de droit national ou international, c’est une question de politique internationale. Voyez sub 1. ci-dessus qui gagnera. Le secret bancaire ne peut plus servir le Luxembourg. C’est devenu un vilain mot. Veut-on vraiment passer les années à venir à gâcher forces et réputation en jouant aux irréductibles qui mènent un combat retardataire, de barricade en barricade, alors que ce combat est perdu d’avance ? Voyez encore sub.1. ci-dessus qui gagnerait. Au lieu de ce gaspillage ne voudrait-on pas plutôt restructurer la place financière en une place modèle ? Qui s’en prendrait à cela, qui s’en plaindrait? C’est vrai, on perdrait beaucoup de fraudeurs du fisc.

5. Plus grave est la méconnaissance des principes qui régissent les relations d’Etat à Etat. Ces relations sont basées un tout petit peu sur la bonne entente et les relations amicales entre chefs, un peu plus sur le droit international et surtout sur les rapports de force. Nous sommes tous idéalistes et voudrions voir les choses avec plus d’optimisme. Mais, entre Etats, ce ne sont pas les intentions de ceux d’en face qui comptent, mais leurs possibilités. C’est une grave erreur d’ignorer ce principe.

Sachant cela, entendant les grondements du canon, voyant la guérilla se développer, que faut-il faire, car jusqu’à présent les prévisions pessimistes se sont réalisées? La première guerre a été perdue, et avec elle notre secret bancaire ! La deuxième, annoncée, doit être préparée et on aura même un chance de l’éviter. « Si vis pacem, para bellum. Si tu veux la paix, prépare la guerre. » A suivre.

Egide Thein
egidethein@gmail.com,
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www.truthtechnologies.com,
egidethein.blogspot.com

(1) http://www.fatf-gafi.org/pages/0,3417,fr_32250379_32235720_1_1_1_1_1,00.html
(2) http://www.usdoj.gov/usao/fls/PressReleases/Attachments/090402-01.ComplaintAndAffidavit.pdf
et: egidethein.blogspot.com

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