Aurore ou dernières lueurs? Photo ET
Cargolux: Comment jouer une mauvaise main?
Dans le débat autour de la vente de 35% des actions de
Cargolux appartenant à l'Etat luxembourgeois à une entité chinoise de la
Province de Henan, apparaissent un nombre d'incongruités, qu'il est sans doute
possible d'expliquer. Ce qui ne fut pas fait jusqu'à présent. Or, il est arrogant d'escamoter le débat et
d'évader les questions du contribuable luxembourgeois, de l'employé de Cargolux
et même des instances dirigeantes de la société, sinon des experts comme les
avocats externes. Et d'ignorer les avis
qui gênent pour ne retenir que ceux qui arrangent l'affaire.
Le droit de savoir du public est ainsi bien établi:
Cargolux est l'affaire de tous les contribuables, donc de tout le monde.
Cargolux en effet n'est pas une société comme les autres. Elle est pratiquement
détenue à 100% par l'Etat, en considérant les paraétatiques. Ce qu'elle a fait
nous regarde. Ce que Cactus ou n'importe quelle autre société privée font comme
décisions par contre, ne nous regarde pas.
Les faits, les fuites et les rumeurs
Pour le partenariat de Cargolux avec HNCA, il n'est pas
sûr si toutes les explications sont faciles. En tous cas elles n'ont pas été communiquées
toutes, spontanément, franchement. Ou alors l'accord a des graves lacunes, et
il n'y a pas d'autre explication que d'avouer qu'on n'était pas à la hauteur,
et que l'accord manque de consistance et d'équilibre. Sans réponse directe et
ouverte, il y aura encore plus de fuites, qui elles ne sont pas des rumeurs. Ce
sont des faits, qu'on a voulu cacher, obtenus par dérobade, mais dont certains
ne peuvent être minimisés. Mais les questions sur les recoins obscurs du
partenariat avec HNCA qui restent sans réponses, ou que des fuites n'exposent
pas, le vide est comblé par les vraies rumeurs qui iront bon train.
Monsieur Helminger a essayé d'adresser ce manque de
communication au sein de la société, par une lettre au personnel. Il énumère des
raisons pour être optimiste, notamment le business plan sur cinq ans. Mais il
finit avec l'avertissement que les "rumeurs" doivent cesser pour éviter
de ruiner les chances de succès dans la recherche de nouveaux professionnels,
et donc du succès de Cargolux. C'est une frappe préemptive du même genre que celle
que Monsieur Schaus a utilisée à l'égard du Comite de direction qu'il appelait
"dysfonctionnel", et qui mettrait en danger le grand projet chinois. Cela
se résume en ce slogan: On réussit, c'est grâce à nous, on échoue, c'est à
cause de vous. De telles déclarations malheureusement ne peuvent pas rassurer
le monde, car involontairement celui qui la profère, fait parler son
subconscient et expose ainsi sa propre incertitude quant au succès du projet
qu'il défend.
Mais la frappe a eu ses effets jusqu'à présent, car les syndicats
se tiennent bien volontairement coi depuis lors. Tout comme les deux membres du
Comité qui, de façon chevaleresque, refusent d'élaborer sur les raisons de leur
démission. Il est vrai que celles-là parlent pour elles-mêmes. Et les fuites
font de même. Quelques organes de presse ont des contributions qui s'alignent
sur cette pensée qu'il faut étouffer le débat. On y parle "d'offensive"
de Monsieur Helminger. J'y verrai plutôt une défensive devenue nécessaire pour
essayer de calmer le jeu. Toujours est-il que c'est une base de départ pour
mener une meilleure campagne de communication interne et publique.
Rumeurs et propagandes sont également nocives
D'autres initiatives pour calmer le jeu sont moins
heureuses. Je ne sais qui a inspiré un article du Wort (1), donc non-attribué, et
qui pour une raison inconnue s'en prend au "mythe" du "stand
alone" pour Cargolux. Donc cette vision d'une Cargolux qui se passerait de
tout partenaire, serait selon le gouvernement une vision fantaisiste et
impossible. Et par conséquent, qu'elle est géniale cette idée du partenariat
avec HNCA! Il est intéressant de voir un journal, connu pour être un
porte-parole d'un parti d'opposition, venir ainsi prêter son support à "la
bonne solution" chinoise, en utilisant un argumentaire produit me
semble-t-il par un Ministère biaisé. Le mystère s'épaissit quant aux motifs du
Wort, quoiqu'une certaine continuité est indéniable avec le passé. L'argumentation
est simpliste et se défait elle-même dans une vision restreinte, qui croule
sous les sophismes. C'est mauvais, car se pose la question de savoir, source de
rumeurs, ce qui se cache derrière ces affirmations hardies, sinon fausses. Voici
ces arguments:
Le stand alone n'est pas possible, car les résultats de
2012 sont mauvais. 615.286 tonnes de fret, c'est moins que l'année record de
2008 de 788.286 tonnes. Malheureusement
cet argument est une démonstration contre le partenariat et pour le stand alone.
La mauvaise année 2012 était celle d'un partenariat avec Qatar Airways, une démonstration que la pire année
était celle où CV n'était pas stand alone. On s'empresse d'ignorer aussi l'année
2013. CV, y est stand alone de nouveau, après le départ de Qatar Airways. Après
l'année exécrable de 2012, 2013 sera une année profitable me dit-on. Ce qui
apporte une preuve que l'argument que le stand alone n'est pas soutenable est
fallacieux. Le contraire serait plutôt vrai.
Le deuxième argument est que la société a perdu 253 millions
d'euros depuis 2007, et qu'il faudra une augmentation de capital de 175 USD.
Pardon de rappeler un détail pénible: le total d'amendes payées par Cargolux
ces années passées totalise plus de 250 millions USD. N'y voyez-vous pas une
relation entre ces amendes et les pertes, et les besoins en capital? CV a très
bien manœuvré cette année. Sans les amendes, les chiffres seraient bien. On
parle de besoins en financement ultérieurs, le cas échéant de 300-400
millions. Il y a des investisseurs pour
cela, y compris à Luxembourg, maintenant.
De ces deux arguments faux, on nous fait croire à la
conclusion qu'il n'y a pas d'alternative à la Joint Venture avec le groupe
chinois. Une faute de logique extrême. La conclusion serait donc juste, mais le
fruit d'un raisonnement faux? Allons, encore un petit coup de pouce de sophisme:
à défaut de Joint Venture, l'Etat devrait payer les pots cassés d'une stand
alone en cas de difficultés, menace-t-on.
Calmons nous, l'Etat devra payer les pots cassés aussi dans le cas de la JV qui
se planterait. Laquelle des deux options est plus risquée, le partenariat ou le
stand alone? Avec Qatar Airways, c'était le partenariat avec Qatar Airways, pas
la stand alone. Voyez l'année 2012 avec ses pauvres résultats!
Finalement suit l'argument que les consultants Clifford
Chance, UBS et même Arendt & Medernach (!?) ne sont arrivés à des
meilleures visions. Ajoutez même Robert Schaus. Face à ceux là, j'alignerais
deux plus grands experts, Robert Van De Weg et Peter Van De Pas, puis Shearman
Sterling et même Akbar al Bakr, CEO de Qatar Airways, que je cite en 2011:
"...Cargolux, a sound, healthy and profitable company and a leading
all-cargo carrier.....". Il parlait de la stand alone.
Le plus formidable contresens dans cette démonstration
est qu'elle explose sous ses propres arguments: stand alone, non, JV avec le
groupe chinois, oui! Mais dans les faits, en ce cas stand alone et JV sont
pratiquement la même chose. Cargolux opérera pour au moins trois ans comme une
virtuelle stand alone, qui aurait profité d'un investissement chinois. La différence
restant les multiples obligations que ce, somme toute, petit investissement chinois
impose à CV. Ces obligations produiront des pertes et des manques à gagner que
l'on a acquiescé d'avance. On essayera d'y pallier avec un fonds de secours.
Quel pessimisme! L'aspect inquiétant est que des élus, qui n'ont même jamais
tenu boutique, qui se font conseiller sélectivement, prennent ces décisions au
nom du contribuable, et engagent l'avenir d'une société milliardaire et de ses
presque 1.500 employés.
Une omission qui aurait fait la différence
Pourquoi tant de mystère autour des questions simples du
prix, du veto et des conditions généralement très favorables au seul côté
chinois? Peut-être devrions nous en tant que contribuables exiger qu' un débat
en pareille circonstance se fasse devant la Chambre des Députés. Je me réfère à
l'article 99 de la Constitution qui dit que ... tout engagement financier
important de l’Etat doivent être autorisés par une loi spéciale." Même si
cet article se réfère aux opérations immobilières, seules concevables il y a un
siècle et demi, quand personne ne pensait à acquérir ou vendre des valeurs
autres, comme des actions d'une compagnie d'aviation, il indique néanmoins
qu'il aurait été sage de chercher le débat à la Chambre et de se garantir par
une loi spéciale. La loi du 8 juin 1999 sur le budget, la comptabilité et la trésorerie
de l'Etat, dans son article 80, vient confirmer le bien-fondé d'une telle
approche prudente: "Doivent être autorisées par la loi: sub. d) - tout
autre engagement financier, y compris les garanties de l'Etat, dont le montant
dépasse la somme de 7.500.000 (sept millions cinq cent mille) euros". Ce
fut fait pour l'octroi d'une garantie de 3.000.000.000 de FLux (75.000.000
millions d'euros), pour la SES avant le lancement du premier satellite Astra (1A)
en 1988. Pour le cas où il y aurait une partie secrète au contrat avec une entité
chinoise officielle (elles le sont toutes dans une économie planifiée), la
constitution dirait: " Les traités secrets sont abolis". Dites nous
tout. Avouez qu'une telle loi spéciale aurait éclairé tout, révisé tout, et par le vote, aurait mis fin aux discussions.
C'est une note au dossier "Révision de la Constitution."
Pour le reste, il n'y aura pas de nouveau divorce genre Qatar
Airways bis. Techniquement, le gouvernement chinois pourrait encore refuser son
aval au projet. Mais leur contrat est trop bon pour y renoncer. Le gouvernement
luxembourgeois a perdu sa liberté d'action en signant avec une Province,
sous-fifre de Pékin. Il reste à vider le calice et à préparer les premiers vols
déficitaires vers Zhengzhou. Une idée de PR interne: emmenez sur chaque vol une
douzaine d'employés de Cargolux pour visiter Zhengzhou. Cela arrondirait les
angles, car heureux qui comme Ulysse .... Et ceux qui ne se taisent pas, ne
feront pas partie du voyage, si je comprends bien la nouvelle ligne.
(1) http://www.wort.lu/de/view/cargolux-der-mythos-vom-stand-alone-52ecceb7e4b0227bec51c975
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