Tuesday, May 7, 2013

La vérité toute nue sur le secret bancaire luxembourgeois

Eclairez ma lanterne! Crépuscule du secret bancaire. Photo: ET



La vérité toute nue sur le secret bancaire luxembourgeois

Je me sens comme une victime de la caméra cachée: depuis des années, j'ai été un chantre, affreusement seul pensais-je, de l'abandon du secret bancaire, y compris dans les colonnes de ce journal.

De mon perchoir outre-Atlantique, je voyais en effet le Luxembourg aspiré dans un vortex anti paradis fiscal, tourbillonnant sous l'agitation américaine, européenne et voisine. Il fallait parer au pire! Mais les "officiels" luxembourgeois niaient qu'il y ait paradis fiscal, fraude fiscale, blanchiment, crime en col blanc et même secret. Ceci malgré des rapports accablants, réfutés comme "jalousies", et la mise (temporaire) sur la liste grise du GAFI. A moyen terme cette guérilla anti paradis fiscal alimentée par le reste du monde, allait sceller la mort du secret bancaire luxembourgeois et même causer des dommages collatéraux. Je pensais depuis des années qu'il fallait préparer d'urgence l'après secret bancaire, mais que le Luxembourg restait sourd.

Faux! Le secret sur l'abandon du secret était  si bien gardé, que je ne me rendais pas compte que dans les coulisses, le gouvernement unanime préparait le Big Bang. Il avait chargé Luc Frieden d'annoncer la fin du secret bancaire au peuple luxembourgeois par le biais de la Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung. Pendant tout ce temps, je me suis donc décarcassé pour prêcher à la Chorale!

Porte-parole de la majorité silencieuse.

C'est un fait rare en démocratie d'être un porte-parole de la majorité silencieuse. C'est plutôt un apanage de la dictature que d'en avoir une, juste avant que ne gronde la révolution. Je ne crois donc pas la narration des faits qui parle d'un consensus de longue date sur l'abolition du secret bancaire. Je crois plutôt à une gaffe, encore une, et à un "damage control" subséquent. "Prend des initiatives parfois malheureuses" est une appréciation militaire typique d'un soldat qui agit en dehors des attentes. Je crois en effet en un solo surprenant et mal avisé de Luc Frieden, un tantinet autocratique, que la démocratie résiduelle au Parlement devrait auditer. En voici les raisons:

A ce que je sache, l'abandon du secret bancaire n'a pas fait partie de l'accord de coalition de 2009. Il ne m'est pas connu non plus qu'un débat sur ce sujet ait eu lieu depuis, en tant que nouvelle priorité émergente. Au contraire, au moment où Luc Frieden donnait son interview à la FAZ, Jean Asselborn avertissait l'Allemagne de ne pas abuser les petits pays et leur "business model". Quelques jours plus tard, le 29 mars, les ministres ont passé leur journée au Château de Senningen pour préparer le discours sur l'état de la nation. L'élément essentiel, l'abandon du secret bancaire était-il discuté ce jour-là? Si oui, le secret a été bien gardé en ce cas dans ce monde qui n'en veut plus des secrets. Ou y a-t-il eu un ajouté au discours par la suite, après l'effet bombe de la publication de l'interview dans la FAZ  le 7 avril? Question de remédier aux dégâts  produits par une initiative malheureuse?

Le Luxembourg en liesse apprend la bonne nouvelle

Toujours est-il que le 10 avril, la majorité silencieuse, y compris à la Chambre des Députés, a entendu avec soulagement je devine , que leur rêve secret et le plus ardent était finalement exaucé. On sera finalement débarrassé du secret bancaire.  La nouvelle tombait aussi à point pour la visite d'état du Grand-Duc en Autriche. Messieurs Asselborn et Schneider pouvaient enfin évangéliser la récalcitrante Autriche qui fait l'autruche quant au secret bancaire. Tout en avouant qu'ils étaient eux-mêmes surpris de leur propre conversion subite. Un miracle.

Mais pourquoi faut-il par la suite expliquer à la majorité silencieuse super contente du changement qu'elle devrait être contente et que personne n'a mis les pieds dans le plat? Dans la presse ce "damage control" a battu son plein. L'ABBL qui jadis tirait à vue sur tout ce qui bougeait autour du secret bancaire, s'est reprise du choc en moins de 3 semaines pour proclamer sa joie. Son Président Monsieur Contzen, avec un frisson de dégoût a même dit son soulagement d'être sorti de  la "Schmuddelecke" dans laquelle le Luxembourg s'est vautré pendant des décennies. Bref une libération miraculeuse, et si l'on y laissera quelques plumes, ce sera peut-être 5% du chiffre d'affaires temporairement, rien de grave. 

Vint alors Alain Steichen, de Bonn Steichen. En tant que grand expert de la place, il jeta un simple coup d'œil sur les bilans des 141 banques pour conclure que près de la moitié auront des difficultés sans l'argent non déclaré de leurs clients, chiffré à environ 150 milliards. Eh oui, une transition du secret absolu à la communication automatique absolue, cela se prépare. Et surtout aussi, se négocie. Ces clients étrangers des banques luxembourgeoises sont désormais laissés pour compte, livrés à leurs inquisiteurs et leurs bourreaux. Pas étonnant que le Ministre des Finances allemand Schäuble se fait mousser de joie: il a eu tout ce qu'il a toujours désiré de nous, sans devoir payer €5 millions pièce pour les minables CD de la trahison.

Le secret bancaire s'est évaporé sans contrepartie, comme jadis la Banque Centrale Européenne ou même l'Office des Brevets, destinés en principe pour le Luxembourg, mais qui se sont retrouvés en Allemagne. Je n'ose pas penser aux contreparties. Quels redoutables négociateurs nous sommes!

Un grand succès mérite un bis

Luc Frieden, porté par la vague d'enthousiasme qui a emporté le secret bancaire, s'est vu mandaté par le gouvernement j'imagine, de porter un nouveau message à la connaissance du bon peuple, cette fois-ci par la voix du Financial Times. Ainsi le Luxembourg en délire a appris en anglais cette fois-ci qu'on sera désormais à la pointe de ces communications automatiques et qu'on dépassera même le FATCA américain par la droite, toujours à la pointe de la mise à nu et avec zèle. Revenus divers comme dividendes, redevances, gains en capital seront déclarés à l'étranger, et fini le secret pour les multinationales.

Il n'est pas dit que ces innovations soient inévitables, et que le Luxembourg doive accepter ou adopter le tout venant de Bruxelles et d'ailleurs. Si l'abandon du secret bancaire a été inévitable à terme, c'est que le Luxembourg ne pouvait compter sur des alliés pour défendre un privilège. Il en est autrement de l'imposition de revenus divers et particulièrement des multinationales et autres corporations. Les multinationales sont des états sans frontières qui seront nos alliés objectifs pour défendre le status quo en matière de compétition fiscale. Les Big Four le seront aussi, Grandes Prêtresses du Kamasoutra de l'ingénierie financière qui chaudement recommandent le "Double Irlandais" avec "Sandwich Hollandais", l'ultime raffinement dans l'art de l'optimisation de l'impôt.

La compétition fiscale est une réalité mondiale, même entre états américains. Il n'est pas logique de céder avec mollesse à des demandes et pressions surtout d'états dépensiers voisins pour "harmoniser, ajuster, consolider" ou de dilapider par d'autres verbes mensongers les derniers avantages que nous donnent quelques niches souveraines intouchées. A l'intérieur de l'Europe cela s'appelle subsidiarité.  

Un mot pour finir sur les états dépensiers voisins: croyez-vous que 400 millions d'euros les intéresse? Je parle de l'imposition des pensions des frontaliers. Imaginez 150.000 anciens frontaliers touchant un total de 2 milliards d'euros en pensions. C'est d'abord un drainage financier net vers l'étranger pour commencer. Mais imaginez que quelqu'un veuille mettre la main sur les impôts payés actuellement à la source à Luxembourg. Quel pays s'opposerait  à une nouvelle directive européenne en ce sens? Surtout si notre ministre des Finances en prend l'initiative dans une prochaine interview au Figaro.

Et l'impôt sur les pensions suivrait l'impôt sur le commerce électronique, dans les poches des ... jaloux. Qui donc fait toutes ces concessions et pourquoi, surtout celles cédées sans contrainte!?



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