Eclairez ma lanterne! Crépuscule du secret bancaire. Photo: ET
La vérité toute nue sur le secret bancaire luxembourgeois
Je me sens comme une victime de la caméra cachée: depuis
des années, j'ai été un chantre, affreusement seul pensais-je, de l'abandon du
secret bancaire, y compris dans les colonnes de ce journal.
De mon perchoir outre-Atlantique, je voyais en effet le
Luxembourg aspiré dans un vortex anti paradis fiscal, tourbillonnant sous
l'agitation américaine, européenne et voisine. Il fallait parer au pire! Mais les
"officiels" luxembourgeois niaient qu'il y ait paradis fiscal, fraude
fiscale, blanchiment, crime en col blanc et même secret. Ceci malgré des
rapports accablants, réfutés comme "jalousies", et la mise
(temporaire) sur la liste grise du GAFI. A moyen terme cette guérilla anti
paradis fiscal alimentée par le reste du monde, allait sceller la mort du
secret bancaire luxembourgeois et même causer des dommages collatéraux. Je
pensais depuis des années qu'il fallait préparer d'urgence l'après secret
bancaire, mais que le Luxembourg restait sourd.
Faux! Le secret sur l'abandon du secret était si bien gardé, que je ne me rendais pas
compte que dans les coulisses, le gouvernement unanime préparait le Big Bang.
Il avait chargé Luc Frieden d'annoncer la fin du secret bancaire au peuple
luxembourgeois par le biais de la Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung. Pendant
tout ce temps, je me suis donc décarcassé pour prêcher à la Chorale!
Porte-parole de la majorité silencieuse.
C'est un fait rare en démocratie d'être un porte-parole
de la majorité silencieuse. C'est plutôt un apanage de la dictature que d'en avoir
une, juste avant que ne gronde la révolution. Je ne crois donc pas la narration
des faits qui parle d'un consensus de longue date sur l'abolition du secret bancaire.
Je crois plutôt à une gaffe, encore une, et à un "damage control"
subséquent. "Prend des initiatives parfois malheureuses" est une
appréciation militaire typique d'un soldat qui agit en dehors des attentes. Je
crois en effet en un solo surprenant et mal avisé de Luc Frieden, un tantinet
autocratique, que la démocratie résiduelle au Parlement devrait auditer. En
voici les raisons:
A ce que je sache, l'abandon du secret bancaire n'a pas
fait partie de l'accord de coalition de 2009. Il ne m'est pas connu non plus
qu'un débat sur ce sujet ait eu lieu depuis, en tant que nouvelle priorité
émergente. Au contraire, au moment où Luc Frieden donnait son interview à la
FAZ, Jean Asselborn avertissait l'Allemagne de ne pas abuser les petits pays et
leur "business model". Quelques jours plus tard, le 29 mars, les
ministres ont passé leur journée au Château de Senningen pour préparer le
discours sur l'état de la nation. L'élément essentiel, l'abandon du secret
bancaire était-il discuté ce jour-là? Si oui, le secret a été bien gardé en ce
cas dans ce monde qui n'en veut plus des secrets. Ou y a-t-il eu un ajouté au
discours par la suite, après l'effet bombe de la publication de l'interview
dans la FAZ le 7 avril? Question de remédier
aux dégâts produits par une initiative
malheureuse?
Le Luxembourg en liesse apprend la bonne nouvelle
Toujours est-il que le 10 avril, la majorité silencieuse,
y compris à la Chambre des Députés, a entendu avec soulagement je devine , que
leur rêve secret et le plus ardent était finalement exaucé. On sera finalement
débarrassé du secret bancaire. La
nouvelle tombait aussi à point pour la visite d'état du Grand-Duc en Autriche.
Messieurs Asselborn et Schneider pouvaient enfin évangéliser la récalcitrante
Autriche qui fait l'autruche quant au secret bancaire. Tout en avouant qu'ils
étaient eux-mêmes surpris de leur propre conversion subite. Un miracle.
Mais pourquoi faut-il par la suite expliquer à la
majorité silencieuse super contente du changement qu'elle devrait être contente
et que personne n'a mis les pieds dans le plat? Dans la presse ce "damage
control" a battu son plein. L'ABBL qui jadis tirait à vue sur tout ce qui
bougeait autour du secret bancaire, s'est reprise du choc en moins de 3
semaines pour proclamer sa joie. Son Président Monsieur Contzen, avec un
frisson de dégoût a même dit son soulagement d'être sorti de la "Schmuddelecke" dans laquelle le
Luxembourg s'est vautré pendant des décennies. Bref une libération miraculeuse,
et si l'on y laissera quelques plumes, ce sera peut-être 5% du chiffre
d'affaires temporairement, rien de grave.
Vint alors Alain Steichen, de Bonn Steichen. En tant que
grand expert de la place, il jeta un simple coup d'œil sur les bilans des 141
banques pour conclure que près de la moitié auront des difficultés sans
l'argent non déclaré de leurs clients, chiffré à environ 150 milliards. Eh oui,
une transition du secret absolu à la communication automatique absolue, cela se
prépare. Et surtout aussi, se négocie. Ces clients étrangers des banques
luxembourgeoises sont désormais laissés pour compte, livrés à leurs inquisiteurs
et leurs bourreaux. Pas étonnant que le Ministre des Finances allemand Schäuble
se fait mousser de joie: il a eu tout ce qu'il a toujours désiré de nous, sans
devoir payer €5 millions pièce pour les minables CD de la trahison.
Le secret bancaire s'est évaporé sans contrepartie, comme
jadis la Banque Centrale Européenne ou même l'Office des Brevets, destinés en
principe pour le Luxembourg, mais qui se sont retrouvés en Allemagne. Je n'ose
pas penser aux contreparties. Quels redoutables négociateurs nous sommes!
Un grand succès mérite un bis
Luc Frieden, porté par la vague d'enthousiasme qui a emporté
le secret bancaire, s'est vu mandaté par le gouvernement j'imagine, de porter
un nouveau message à la connaissance du bon peuple, cette fois-ci par la voix
du Financial Times. Ainsi le Luxembourg en délire a appris en anglais cette
fois-ci qu'on sera désormais à la pointe de ces communications automatiques et
qu'on dépassera même le FATCA américain par la droite, toujours à la pointe de
la mise à nu et avec zèle. Revenus divers comme dividendes, redevances, gains
en capital seront déclarés à l'étranger, et fini le secret pour les
multinationales.
Il n'est pas dit que ces innovations soient inévitables,
et que le Luxembourg doive accepter ou adopter le tout venant de Bruxelles et
d'ailleurs. Si l'abandon du secret bancaire a été inévitable à terme, c'est que
le Luxembourg ne pouvait compter sur des alliés pour défendre un privilège. Il
en est autrement de l'imposition de revenus divers et particulièrement des
multinationales et autres corporations. Les multinationales sont des états sans
frontières qui seront nos alliés objectifs pour défendre le status quo en
matière de compétition fiscale. Les Big Four le seront aussi, Grandes
Prêtresses du Kamasoutra de l'ingénierie financière qui chaudement recommandent
le "Double Irlandais" avec "Sandwich Hollandais", l'ultime
raffinement dans l'art de l'optimisation de l'impôt.
La compétition fiscale est une réalité mondiale, même
entre états américains. Il n'est pas logique de céder avec mollesse à des
demandes et pressions surtout d'états dépensiers voisins pour "harmoniser,
ajuster, consolider" ou de dilapider par d'autres verbes mensongers les
derniers avantages que nous donnent quelques niches souveraines intouchées. A
l'intérieur de l'Europe cela s'appelle subsidiarité.
Un mot pour finir sur les états dépensiers voisins:
croyez-vous que 400 millions d'euros les intéresse? Je parle de l'imposition
des pensions des frontaliers. Imaginez 150.000 anciens frontaliers touchant un
total de 2 milliards d'euros en pensions. C'est d'abord un drainage financier
net vers l'étranger pour commencer. Mais imaginez que quelqu'un veuille mettre
la main sur les impôts payés actuellement à la source à Luxembourg. Quel pays s'opposerait
à une nouvelle directive européenne en
ce sens? Surtout si notre ministre des Finances en prend l'initiative dans une
prochaine interview au Figaro.
Et l'impôt sur les pensions suivrait l'impôt sur le commerce
électronique, dans les poches des ... jaloux. Qui donc fait toutes ces
concessions et pourquoi, surtout celles cédées sans contrainte!?
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