Je ne sais pas si vous faites comme moi: Chaque année, pour me rendre compte de l'Etat de la Nation, je commence par une appréciation de la situation générale, puis de la situation particulière du pays. Puis, armé de ces connaissances, j'en tire des conclusions et des idées pour entamer l'avenir. Cet exercice est indispensable pour définir les moyens et procédés à mettre en œuvre pour remplir ces missions que je me suis données. C'est bien sûr un exercice purement théorique. Je fais comme si mon pays m'appartenait.
Je fais cela aussi, parce qu'on est toujours mieux servi par soi-même. Peut-être que vous aussi, vous êtes restés sur votre faim l'autre jour en écoutant le discours sur l'Etat de la Nation de notre Premier Ministre. Vous n'avez pas écouté? Voici le résumé: Adieu veau, vache, cochon, couvée. Oui, vous reconnaissez la plume bien concise de l'auteur de ces discours, Jean de la Fontaine. C'était donc bel et bien la situation tragique de "la laitière et le pot au lait" qu'on nous a présentée. Une terrible histoire pour notre pays, qui reste d'ailleurs encore incomplète à l'instant.
Voyons s'il n'y a pas une lueur d'espoir en élargissant la vision au-delà des quelques lignes du budget, telles que veau, vache, cochon, couvée. Et certainement , évitons les conclusions à priori et probablement fausses, sur fond de tripartite ,comme: nous sommes en crise, elle est temporaire, et elle sera finie en 2014. Sinon, le discours politique luxembourgeois se rétrécit sur le sujet de la petite laitière et son pot au lait.
Essayons de voir la forêt plutôt que les arbres. Le Luxembourg, faute de richesses naturelles ne peut prospérer que sur des idées et sur une grande ouverture sur le monde. Mais le Luxembourg dans le monde vient de vivre des moments intenses et potentiellement catastrophiques. Pour la première fois depuis la guerre, le Luxembourg est sous attaque. On nous aime beaucoup moins ou alors plus du tout: au Conseil européen, au G20, à l'OECD et au GAFI, à la Commission Européenne, aux Etats-Unis et chez nos voisins (jaloux dit-on). On est donc passés du statut d'universellement aimé au statut de flibustier, à qui il faut remonter les bretelles. En cause est le secret bancaire, on dira paradis fiscal, et cette accusation d'être le plus mauvais élève du GAFI, quand il s'agit de prévenir le blanchiment de l'argent du crime. Or, le secret bancaire ne peut être défendu. Ses assaillants tiennent le haut du pavé de la moralité, et vont donc gagner. Ne pas appliquer pleinement les règles du GAFI, (48 sur 49) est franchement une stupide provocation. C'est à se demander si quelqu'un a commis une faute en se conformant par mégarde à une seule et unique règle parmi les 49. C'était réveiller le tigre qui dormait.
Cette dernière négligence, si ce n' est pas un acte délibéré, est en contraste avec l'attitude zélée, sinon soumise et fayotte que le Luxembourg exhibe souvent dans les institutions internationales. Citons l'acharnement pour briguer un siège au Conseil de Sécurité des Nations Unies, l'élève modèle qui casse sa tirelire pour l'aide au tiers monde dans le cadre de la campagne du Millénaire pour le développement des Nations Unies, la poursuite effrénée de postes comme la Présidence de l'UE, de l'Eurogroupe et autres, l'enthousiasme pour faire la guerre au climat à coups de millions, et pour emprunter de l'argent qu'on "prêtera" à la Grèce. Bref, alors qu'on a le feu dans la toiture, on joue aux pompiers ailleurs.
Voyez-vous, en voilà des "pistes" que la tripartite n'a pas décelées. Que nos dirigeants dirigent chez nous, pas à Bruxelles ni à New York, que l'on approche avec retenue et circonspection ces projets sur le climat et le Millénaire des Nations Unies. Il est facile d'expliquer à Kyoto et à Copenhague que la petite laitière a cassé son pot au lait, et qu'à l'avenir, on ne fera que ce qu'on pourra. Il est facile d'expliquer au Cap Vert que l'argent, il faut le gagner, et qu'il nous reste tout juste assez pour maintenir les projets réalisés. Nos gens feront des sacrifices. Ils feront donc moins de cadeaux.
Est-ce à dire que nous rechignerons sur nos relations internationales? Tout le monde sait que notre pays ne peut exister que comme plateforme ouverte au monde, comme membre d'ensembles plus vastes pour sa survie et sa sécurité. C'est ce qui a placé le Luxembourg à la table des Grands quand il s'agissait de créer les Nations Unies, l'OTAN et l'UE. Et voilà deux autres "pistes", certainement pour le long terme: œuvrer pour une Défense Européenne Commune associée à l'OTAN, et une vraie Diplomatie Européenne comme seule et unique représentation de l'Europe. Nous n'y avons rien à perdre et tout à gagner. Quelles économies d'échelle! Vous me direz que c'est une utopie, qu'il y a le véto français et britannique à l'ONU, leur arsenal nucléaire, un nécessaire impôt européen pour financer ces initiatives et même la langue qui seront autant d'obstacles. Cela n'empêche que ce sera une bonne distraction des discussions sur le paradis fiscal et judiciaire que nos partenaires adorent et qui somme toute font très peu pour le progrès de l'Europe. Par contre la discussion sur une Défense commune et une Diplomatie commune aurait le mérite aussi de forcer la réponse à la question escamotée depuis 50 ans: quel est le but final de l'intégration européenne? Les Etats-Unis d'Europe? Une Confédération? Un Marché Commun?
Le moment est bien choisi d'entamer cette "piste" du renouveau de l'Europe alors que l'Euro, cette monumentale erreur, commence son trépas. Je sais bien que les vaillants croisés qui n'ont jamais tenu ne fut-ce qu'une échoppe, clamaient haut et fort de s'être payés la tète des "spéculateurs" juste la semaine passée. Quand dans le temps, ces "spéculateurs" faisaient monter l'Euro ou prêtaient de l'argent à grand risque à la Grèce et à d'autres, ils étaient des investisseurs avisés. D'ailleurs le plan de sauvetage de $1.000 milliards cherche à préserver les intérêts de ces spéculateurs, non? Ce plan traite le symptôme, la dette. Ce n'est pas un remède. Le remède est que la Grèce et d'autres dévaluent leur monnaie pour se ressaisir. Or cela ne peut se faire avec un monnaie unique. Il faudra bien faire marche arrière, retour à la drachme grecque et aux autres monnaies, pour, faute de gouvernement européen, retourner aux gouvernements souverains cet outil de politique économique. La preuve? Aucun pays non-membre de l'Eurogroupe n'a les problèmes des PIIGS, Portugal, Italie, Irlande, Grèce et Espagne. Même pour le Luxembourg, bénéficiaire à priori d'une participation à une monnaie forte, il serait opportun de mesurer à quel point le déficit budgétaire et les plus de 15.000 chômeurs sont dus aux coûts et aux freinages associés au maintien de l'Euro.
L'Euro aura probablement vécu ce que vivent les idées mal conçues: l'espace d'un matin. Il a précédé la réponse à la question ci-dessus: quel est le but final de l'intégration européenne? Il jouera sans doute le rôle de monnaie de réserve au plus. Et on saluera alors la fin de l'Eurogroupe et le retour au Luxembourg de son Président, qui pourra consacrer son temps aux "pistes" que la petite laitière a tracées, et aux nouvelles pistes que cette courte réflexion-ci a décelées, et qui seraient bien seyantes à nos stars internationales: se battre pour les intérêts stratégiques du Luxembourg. Pour commencer, prenons l'euro par les cornes!
Egide Thein
Friday, May 21, 2010
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