Les réfugiés des
petits comptes |
ING « Internationale Nederlanden
Groep » ferme ton compte au Luxembourg, mais ne veut pas que tu en fasses
tout un fromage.
On ne l’avait pas entendu venir celui-là avec ses grosses Klompen, mais Michael Burch le CEO d’ING Luxembourg a délivré avec grand succès 40.000 messages à ses fidèles clients particuliers (et d’ailleurs à d’autres), les informant de la clôture de leurs comptes. ING, en excellent communicateur selon elle, a en même temps rassuré le public qu’en revanche la banque continuera son support au marathon nocturne ING annuel. Cette nouvelle sur le marathon n’a pas soulevé l’enthousiasme des clients luxembourgeois lésés, et son souffle ne faisait tourner aucun moulin à vent. Le public a cependant fait tout un fromage autour des clôtures des comptes.
Une figure de proue de la place financière
m’avait expliqué dernièrement l’acharnement avec lequel les banquiers luxembourgeois
fermaient des comptes. « Est désormais un bon banquier celui qui ferme le
plus de comptes, une aberration » m’a-t-il dit. Monsieur Burch est assuré
de gagner la Tulipe d’Or 2024 qui revient à l’exterminateur du plus grand
nombre de comptes. Et la banque sera la banque de l’année.
Mais il faudra s’occuper du
fromage. Les émotions qui courront tout au long des deux mois de délais accordés
aux clients indésirables devront être rencontrées. Cela s’appelle limiter les dégâts,
damage control. Ou bien « Schadebeperking » comme l’apprendra
Monsieur Burch. Difficile de manœuvrer sa péniche en ces eaux en 2024. Les résultats
des banques luxembourgeoises étaient en hausse de 67,3% en 2023. C’est obscène
de vouloir plus tout de suite. D’autres banques de la place se préparent pour récupérer
les naufragés. 40.000 clients, c’est une belle part du marché. Pour ces banques-là,
ces clients ne sont donc pas trop chers à maintenir. Peut-être ces sauveteurs
pourront aussi engager les employés qui parmi le millier d’employés d’ING perdront
logiquement leur emploi dans dette opération. Pas tout de suite. Ils doivent
rester deux mois encore pour terminer la pénible besogne de l’écharnage et
affronter les clients qui ne mâcheront pas leurs mots. Dans ce contexte, le damage
control sera une vaste entreprise pour ING qui aura une réputation de bon
voisinage, de banque et de bon employeur à réparer.
Reste le gouvernement luxembourgeois
pris à contre-pied. Comment parler à une vache sacrée dans le paradis financier
? Le ministre Roth a essayé de lui parler. C’était sans doute une gentille
conversation et on s’est quitté avec l’entendement qu’on va se reparler, peut-être
brouter un petit repas ensemble, « Dutch treat ». Entretemps Monsieur
Mosar, ami de parti de Monsieur Roth, a posé une question parlementaire au
ministre Roth. La réponse tournait beaucoup autour des modalités de transfert
des comptes d’ING à d’autres banques de la place. On s’éloigne donc déjà d’une
discussion sur la cause fondamentale, le fait accompli de la décision unilatérale
de la banque de clôturer des petits comptes en masse. On blâme un tiers pour la
décision, le poids de la règlementation qui ferait que pour accepter un nouveau
client il faudra compter 3 semaines en raison des règles de conformité KYC et anti-blanchiment.
C’est cher et long dira ING pour sa défense, et l’ABBL, saisissant l’occasion,
chantera la même chanson. Ah, les belles années 1990 et 2000 du secret bancaire
!
Sachant qu’en général ce n’est
pas le petit compte d’un particulier local qui nous vaut Luxleaks et les Panama
Papers, on risque de se limiter à cajoler surtout des oligarques, des politiciens
kleptomanes (étrangers bien-sûr), les corrompus du monde et les réfugiés de l’optimisation
fiscale. Les réfugiés luxembourgeois, ces dizaines de milliers qui doivent s’expatrier
juste au-delà de la frontière parce qu’ils ne peuvent pas se loger au Luxembourg,
ils devront aussi expatrier leurs « petits comptes » pour en ouvrir à
Arlon, Trèves ou Thionville. Pour le gouvernement luxembourgeois, quelle belle réussite
! Il faudrait sans doute revoir la loi du 13 juin 2017 sur certaines
obligations minimales des institutions qui viennent au Luxembourg, qui y sont
les bienvenues et profitent des privilèges que leur offre la niche souveraine du
centre financier.
Un mot sur l’application des règles
KYC du GAFI et les 3 semaines qu’il faut selon la réponse à la question
parlementaire pour vérifier chacun des 40.000 noms : hier à Truth Technologies
nous avons vérifié 95.000 noms pour un client en à peu près une heure. Nous faisons
des milliards de vérifications similaires par an. Les clients d’ING sont déjà revus
au moins une fois à l’ouverture des comptes. Il ne faudra donc pas beaucoup de remédiation
sur des dossiers déjà revus maintes fois. Pas étonnant que 3 semaines d’interventions
manuelles pour l’ouverture d’un compte coûtent du temps et de l’argent, mais
est-ce vraiment à ce point ? Si c’était le cas, il y a longtemps que le
client payerait des « frais sur règlementation ». Cette réponse qui décrit
« compliance » comme un travail de Sisyphus de trois semaines est
soit un mensonge, soit témoigne d’un problème d’organisation et de systèmes inadéquats.
Quel gâchis !