La
Nipponisation de la Maison du Grand-Duc
Le
14 juillet, le jour de la Bastille, le Premier Ministre Xavier Bettel a
présenté à la Commission parlementaire les conclusions du rapport Waringo et
les décisions prises sur le fonctionnement de la Cour grand-ducale. Le rapport
d’enquête de M. Waringo ne se limite pas à décrire un état des lieux et des
dysfonctionnements. Il fait aussi des recommandations, sorte de ballons
d’essai, qui ont été adoptées ensuite par consensus, y compris l’assentiment du
Grand-Duc. L’organisation de la Maison du Grand-Duc est dorénavant réglée par
arrêté grand-ducal. Du point de vue de la conception et
de l’exécution du projet que j’appelle « Nipponisation », la démarche
était résolue, l’exécution d’une rapidité exceptionnelle comparée à toute chose
luxembourgeoise, pour aboutir à la signature d’un arrêté par le Grand-Duc qui
limite sa propre liberté d’action.
Ce
n’est pas sans rappeler la démarche du général McArthur, commandant le théâtre
d’opérations du Pacifique lors de la deuxième guerre mondiale. Il s’agit de
l’octroi d’une nouvelle constitution au Japon à la reddition en 1945,
avec un empereur incarnant les symboles de la nation, mais avec des fonctions
limitées et strictement fixées par le « protocole ». La Maison de
l’empereur ou « Imperial Household » est l’Administration qui me
rappelle la nouvelle « Maison du Grand-Duc », d’où l’impression de « nipponisation »
par imitation. Monsieur Bettel parle de propulser la monarchie du 19e au
21e siècle. C’est dire au 20e siècle au Japon.
L’ironie est que surtout dans les années 80, j’ai accompagné le Grand-Duc
Héritier Henri dans de multiples visites au Japon. A chaque occasion l’Empereur
Hirohito au début, puis l’Empereur Akihito et l’Impératrice Michiko ont reçu
leur visiteur avec beaucoup d’attention. D’habitude le Grand-Duc Héritier avait
un diner en tête à tête. Je dinais avec des dirigeants du Imperial Household.
La conversation tournait souvent autour de questions protocolaires et de
relations publiques. Il m’a semblé qu’il y avait une réflexion à la Cour
impériale sur les façons d’accommoder la constitution de 1945 avec la tradition
japonaise et le présent, le siècle de la communication. Donc de sortir un peu
des mêmes rigueurs dans lesquelles la Maison du Grand-Duc s’apprête à entrer.
Chasse au canard traditionnelle au moyen de filets. Palais imperial de Kyoto ca 1986. De gad : l’Imperatrice Michiko, le Grand-Duc heritier Henri, LtCol Egide Thein, Madame Yoshitada Uchiyama, l’Empereur Akihito.
Le général McArthur avait bétonné ses
changements en octroyant une nouvelle constitution, donc une loi fondamentale
difficile à altérer. Mais la caravane passe et le général McArthur n’est plus.
Monsieur Bettel a utilisé le décret, c.a.d. l’arrêté grand-ducal. Un arrêté
grand-ducal n’est pas bétonné comme le serait une loi ou mieux la révision de
la constitution qui est sur le métier depuis 20 ans. Donc, la pérennité des
décisions prises n’est pas garantie.
Une dynastie monarchique raisonne en
termes de générations, les politiciens en années jusqu’aux prochaines
élections. La solution issue d’un consensus est une solution de bouts de
ficelle. Il est facile de défaire le nœud, et le débat qui n’a pas eu lieu
pourra jaillir à tout moment. En fin de compte, rien n’est plus simple et plus
fort pour remplacer un arrêté grand-ducal qu’un nouvel arrêté grand-ducal.
Comme il n’y avait pas de projet de loi, il n’y avait pas de débat politique,
Covid 19 aidant à obscurcir la procédure. Gouverner par décret est un
raccourci.
Le raccourci semble devenir le nouveau mode
opératoire du gouvernement. Ainsi, le referendum sur la séparation de l’église
et de l’état est devenu une simple négociation entre le gouvernement et
l’Evêché. Manœuvre préemptive habile de l‘Evêque de Luxembourg pour éviter le
referendum. Car rien n’est plus simple à changer qu’une vieille loi par une
nouvelle loi. Et la caravane passe encore.
Politiquement j’appellerais cet épisode
de la réorganisation de la Cour grand-ducale le massacre de la Ste Camille. Le
terme est exagéré et fait référence avec un clin d’œil sur cet autre massacre
de la St Valentin à Chicago en 1929. Un règlement de comptes. Le coup d’état de
Jean-Claude Juncker du 12 mars 2009, que j’appelais massacre de la Ste Justine,
était habilement enfilé et bien plus vigoureux et définitif que celui-ci. Le
Grand-Duc y a perdu sa prérogative de « sanctionner » les lois. À la
suite de son refus de signer la loi sur l’euthanasie, le Parlement a changé
l’article 34 de la constitution. Jean-Claude Juncker avait bétonné. Mais 11 ans
plus tard, la caravane est déjà passée.
Depuis 20 ans donc on fait du
provisoire. Une révision de la constitution resurgit comme une fata morgana
depuis deux décennies. Les Nations Unies ne manquent pas de considérer notre
constitution comme étant de seconde classe seulement. Il manque sans doute
l’envergure et le courage pour mener à terme un tel projet national. Entretemps
dans le fouillis des articles de la constitution et les bricolages
occasionnels, on lira : Art. 21. Le mariage civil devra toujours précéder
la bénédiction nuptiale. Ou bien : Art. 77 : le Grand-Duc nomme et
révoque les membres du Gouvernement. Au terme des élections, il désigne aussi
un formateur qui le plus souvent sera le Premier Ministre. Vous parlez d’une
boite à outils pour une vendetta. Mais ce massacre-là n’aura pas lieu. Une
monarchie raisonne en termes de générations. Pas en termes du tic au tac
politique.
Restent les incohérences
philosophiques. Les membres du gouvernement jurent fidélité au Grand-Duc. Il en
sera de même pour la direction de la Maison du Grand-Duc formellement recrutée
par le gouvernement. Les ministres qui jurent fidélité au Grand-Duc sont
formellement les conseillers du Grand-Duc. Ministre étymologiquement désigne un
« serviteur ». Donc des ministres qui sont aussi serviteurs et
conseillers du Grand-Duc élaborent une structure appelée Maison du Grand-Duc et
recrutent le personnel clé pour son fonctionnement. Le stress test de cet
édifice viendra le jour où les intérêts de toutes les parties prenantes ne sont
pas alignés. Un défi au loyalisme. Le tout sur arrière fond d’une
constitution de 1868, vétuste.