Curacao |
Des Présidentielles américaines
pas comme les autres.
Egide Thein
Je suis à une conférence à Curaçao, où les gens ne sont pas encore revenus
de l’élection de Donald Trump comme Président des Etats-Unis.
« Pourtant » me dit Miguel, dirigeant d’une importante banque de la
place, « nous sommes généralement bien informés par CNN sur ce qui se
passe sur le continent. Personne ne s’attendait à cela ». Au Luxembourg il
en est de même. Des sondages avaient donné 3% de support à Donald Trump, 71% à
Hillary Clinton. C’est aussi un résultat indirect de l’information, truquée comme
on verra, par le même CNN. Pourtant en analysant froidement les mouvements des dix
derniers jours de la campagne électorale, j’arrivais à la conclusion que Trump
pourrait gagner jusqu’à 40 Etats, et avec cela la Présidence ! Mais pour
arriver à cette conclusion, il fallait inclure statistiquement quelques
impondérables émotionnels, mais chiffrables, qui existent dans les mouvements
des grandes foules.
Ce qui s’est passé réellement est une incroyable mystification du public
par une série de fautes stratégiques des deux partis, une tromperie par les
medias qui ne cachent plus leurs préférences et s’ingèrent dans le débat pour
favoriser leur candidat, la méconnaissance du phénomène de rejet universel du« politiquement correct » (1) aux Etats-Unis comme en Europe, et la
non-maitrise sinon le truquage de l’outil statistique par les sondeurs d’opinion,
qui font dire ce qu’ils préfèrent. Le public s’est révolté. Rares sont encore ceux
aujourd’hui qui perçoivent et mesurent le grand chambardement fondamental dans
la vie politique des Etats-Unis. Il se passe sous nos yeux.
Les élections ne sont plus des
couronnements
La démocratie américaine n’est plus ce qu’elle était, du moins telle
qu’elle a été conçue il y plus de 240 ans. La politique américaine était
devenue une science cynique où les meilleurs stratèges et tacticiens s’en donnaient
à cœur joie pour contourner les préceptes de la constitution, de la coutume, et
qui souvent ignorent la loi tout simplement. Un électorat polarisé était là
pour condamner ou justifier à la fois la transgression. Il en résulte une
classe politique arrogante, au-dessus de la loi, qui forme aussi la base d’un
pouvoir occulte par des intérêts particuliers, de lobbies puissants, et
d’ambitions personnelles qui prennent les partis en otage et créent une
atmosphère mafieuse. Non, il n’y a pas de place pour les enfants de chœur.
Ainsi, il y a un peu plus d’un an, même si vous n’avez
suivi les nouvelles que fortuitement, vous aurez certainement enregistré que
les élections de 2016 allaient être un duel Hillary Clinton contre Jeb Bush.
L’une épouse d’un ancien Président, l’autre fils et frère de deux anciens
Présidents. Hillary contre Jeb, comme si cette République était destinée à être
gouvernée par une dynastie alternante, soit Bush, soit Clinton. Tel était le
bon vouloir des forces occultes qui dirigent les partis.
Une
personne, un vote, un candidat !
Etait-ce la nouvelle démocratie américaine à l’image de la Corée du
Nord ? Les partis Démocrate et Républicain avaient bel et bien choisi une
stratégie du résultat inévitable. Chez les Démocrates, Hillary Clinton, dans
les primaires, ne devait pas avoir de contre-candidat viable du tout, pour en
arriver vite au scenario d’une personne, un vote, un candidat. Chez les
Républicains, Jeb Bush, lui aurait des compétiteurs, mais ils seraient écrasés à
coups de millions de dollars en marketing et attaques publicitaires. Les Présidentielles
seraient dès lors un duel Hillary-Jeb, chacun dépensant au moins un milliard de
dollars pour suffoquer l’autre. Mais l’un d’eux serait Président.
Après l‘élimination de Jeb tôt dans la sélection, on allait vers le
couronnement de « Hillary », princesse héritière de droit, qui comme
première femme hériterait de la Maison Blanche par la grâce du féminisme. Il
est curieux que l’Amérique des « We the People » soit à un tel
point devenu non-démocratique que de proposer comme choix principal deux
dynasties.
Quand
les « We the People » se rebiffent.
Les belles stratégies concoctées par les princes électoraux des deux partis
avaient un hic, dans les deux cas: Bernie Sanders chez les Démocrates et Donald
Trump chez les Républicains. Les deux n’étaient pas censés faire long feu,
comme le politiquement correct l’aurait exigé. Nous assistions par contre à une
orgie du politiquement incorrect. L’électeur, extenué de se mouvoir sur un mouchoir
de libertés, a laissé libre cours à sa rancune accumulée depuis des années. Et
il a puni les gérants de la pensée unique.
Pour trouver des explications, revenons d’abord au procédé des Primaires
qui se veut démocratique pour choisir des candidats dans les deux partis
principaux, les Démocrates et les Républicains. Ce sont les élections primaires
qui ont commencé dès le premier février 2016 avec un « caucus »,
sorte de démocratie directe, en Iowa, puis des élections dans le New Hampshire,
Nevada, South Carolina ensuite, pour finir vers le mois juillet, Etat par Etat.
C’est compliqué.
Il faut savoir d’abord que ces élections primaires ne sont pas organisées
par le gouvernement, mais par les partis, qui sont en fait des associations
privées qui empruntent les infrastructures de l’Etat pour ces élections. Ces
élections primaires sont soit réservées aux membres inscrits du parti, soit
ouvertes à tout le monde selon les états. C’est le parti local qui fixe les règles.
La consultation est soit sous forme d’élections à vote secret, soit le caucus,
sorte de rassemblement pendant lesquels on distille un vainqueur en rejoignant
la faction de l’un ou de l’autre candidat, un vote public à main levée en
sorte.
Ce processus des primaires est un premier élément de divergence avec les
pratiques européennes. C’est l’électeur qui sélectionne les candidats à la
Présidence, et en principe pas la nomenclature du parti comme en Europe, qui
impose ses candidats. Dans la trajectoire vers la nomination, un candidat doit
habilement naviguer les sensibilités politiques, et des fois adroitement
pencher plus vers la droite ou la gauche. Ceci parce que les deux partis
couvrent chacun un large spectre idéologique, et l’aile gauche du Parti
Républicain peut avoir des représentants plus à gauche que les éléments de
droite du Parti Démocrate. L’histoire des partis est étonnante aussi pour leurs
destinées contradictoires. Ainsi le parti Républicain de Lincoln,
antiesclavagiste, tradionnellement n’a pas la majorité du vote de l’électorat
noir. C’est le domaine réservé des Démocrates, quoique historiquement liés au
Ku Klux Klan avec le dernier élu proéminent, le Sénateur Robert Byrd de West
Virginia jusqu’en 2010. Ainsi gauche et droite ne sont vraiment reconnaissables
que dans leurs phalanges extrêmes. Le reste est un « mainstream »
pragmatique, souvent « Indépendant », où d’ailleurs il n’est pas rare
de voir des personnages changer d’un parti à l’autre. Quelques exemples sont
Ronald Reagan, Michael Bloomberg et oui, Donald Trump. Mais ces campagnes électorales-ci
étaient brutales dans ses formes, et superficielles dans ses programmes.
Je te casse la gueule a la
récrée.
Excuse my French, diraient les américains. Mais à force d’entendre les
diatribes de Donald Trump, de Lying Ted, Little Marco et Crooked Hillary, on
emprunte facilement leur langage des 16 mois passés ! Uncle Joe (le
Vice-Président Biden) a même lancé un défi : il attendrait le Donald
derrière la salle de gym. Et le Donald a fait : « Je souffle, et Joe
mord la poussière».
Après ces clarifications sur les grandes stratégies d’avenir, Trump a joué
un peu au docteur, micro ouvert et pruderie nationale comprise, comme il se doit
en 3ième année primaire. Et Hillary s’est fâchée aussi. Elle a traité les obtus
qui n’allaient pas voter pour elle de « déplorables », et ce en
criant comme une concierge dans la cage d’escalier. Cela coute cher : on
n’insulte pas les électeurs, seulement les concurrents. Donald a dit qu’elle
était une menteuse invétérée. Elle a dit qu’il ne respectait pas les femmes.
Lui a dit que non, que ça c’était son mari Bill. C’était un brin fatigant, et l’électeur
n’aimait pas vraiment ni l’un, ni l’autre, avec une cote d’impopularité d’environ
75% chacun.
150% des américains n’aimaient
pas leurs candidats
C’est une boutade bien-sûr, en pleine figure des sondeurs d’opinion qui ont
misérablement failli leurs petits calculs des prédictions. J’ai additionné les
deux cotes d’impopularité, ce qui donne 150%. C’est évidemment un chiffre intentionnellement
faux et impossible, une démonstration par dérision que les sondages manquaient
de rigueur scientifique. Mathématiquement cependant, on peut conclure que de
50% à 75% des américains n’aimaient ni l’un, ni l’autre des deux candidats.
C’est dire que l’électeur a décidé non pas qui des deux candidats était le
meilleur, mais qui des deux était le moins mauvais. Le public a décidé qu’il
préférait le tempérament volcanique du Donald et le mouvement qu’il a créé, aux
manigances des Clinton, sous enquête permanente du FBI, même si celui-ci a été
politisé dans le coup.
CNN, Clinton News Network ?
CNN est l’épitomé des mauvaises nouvelles pour la Presse qui en fait perd
son statut de quatrième pouvoir depuis ces élections. La Presse n’a pas été
neutre dans ces élections. Elle a abandonné dans beaucoup d’occasions son
devoir de neutralité par des reportages sélectifs, et des reportages
intentionnellement inclinés en faveur de l’un et l’autre candidat. On connait
les penchants pour la gauche des grandes chaines de télévision, pour la droite de
Fox News et des nombreuses radios avec leurs programmes syndiqués à travers le
pays. CNN s’est distingué avec la main dans le sac. CNN s’est fait taper sur
les doigts pour avoir fourni d’avance les questions pour des interviews et les
débats à Hillary Clinton, selon Wikileaks, méritant depuis le surnom de Clinton
News Network. En tant que consommateurs de nouvelles, sommes-nous devenus ce
que nous consommons ? Miguel de Curaçao n’a que cette source-là. Les
journalistes européens eux aussi regardent CNN pour concocter leur message. Pas
étonnant que faute d’enquête et d’analyse personnelles, ils épousent le parti
pris de ceux qu’ils écoutent, les erreurs et les omissions comprises. En ces
circonstances, le risque de se tromper n’est pas contrôlable. C’est à marée
basse qu’on voit qui n’a pas de maillot.
Comme Wikileaks est venu éclairer la
proximité de certains organes de Presse et de la caste politique, l’acharnement
de son propre parti contre Sanders, le désaveu de Trump par les ténors de son
parti, force est de constater que c’est la tête des deux partis qui est maintenant
désavouée et sevrée de la base.
Wall Street est désormais Démocrate,
Main Street Républicaine
C’est le grand chambardement dont je parle plus haut. C’est le monde à
l’envers. Le clientélisme électoral voulait ce que les leaders des deux partis
voulaient : Hillary ou Jeb. Ce n’est ni l’une ni l’autre. Bernie
Sanders, comme l’un des deux insurgés a côté de Trump, aurait eu plus de
chances de réussir que Hillary, qui en fait n’était pas une candidate idéale,
avec trop d’angles attaquables.
Le résultat de cet imbroglio politico-sociétal est que la classe moyenne ne
se retrouve pas dans les aspirations élitaires des Démocrates. Ces élites ont
perdu leur parti. Les élites Républicaines ne se retrouvent pas dans
aspirations des nouveaux supports du parti, dont des syndicats ! Ce parti
a perdu ses élites. La Presse a perdu la confiance du public, et les magiciens
des sondages publics ont perdu leur crédibilité. Où va l’Amérique ? Elle
va dans le sens du quatrième pouvoir, mais ce n’est plus la Presse. Le quatrième
pouvoir est désormais la Bureaucratie, les grands serviteurs de l’Etat dans les
administrations.
En attendant il y aura des mauvais perdants qui vont casser leur voisinage pendant
quelques jours encore, le Président Hollande va ravaler ses hauts de cœur, l’Union
Européenne cherchera sa boussole, et certains liront la Constitution
américaine.