Paradis. Photo ET
Sur initiative du G20 et dans le cadre de
l'OCDE, ce Forum a été institué pour déterminer le niveau de transparence en matière
fiscale et la coopération des pays dans la lutte contre l'évasion fiscale. Il a
tenu séance à Jakarta, la semaine passée. Dans cette revue par des pays pairs,
le Luxembourg a été classé parmi les quatre pays "non-conformes". Les autres sont selon Reuters: Chypre, Les
Iles Vierges Britanniques et les Seychelles. Etant le plus puissant des quatre
du gang de tête, le maillot jaune revient au Luxembourg. Voilà une place de
premier de classe qu'on ne célèbrera pas. Le gouvernement luxembourgeois, en
choc, a commenté cette distinction comme étant "excessivement
sévère".
Il y a bien un deuxième groupe de pays qui
présentent aussi des lacunes dans le sérieux de leur engagement anti-évasion, mais
évalués à un degré de moindre non-conformité.
Ce sont la Suisse, le Botswana, Brunei, Nauru, Panama, les Emirats Arabes Unis,
le Liberia et Vanuatu. On ne voudrait même pas faire partie de ce gang de huit,
arrivé que deuxième.
Le choc rappelle cet autre choc, le "Rapport d'évaluation mutuelle du
Luxembourg" par le GAFI (Groupe d' Action Financière de l'OCDE) en février
2010. Le Luxembourg était en conformité avec une seule des 49 recommandations
du GAFI à l'époque, pour la lutte contre le blanchiment et le financement du
terrorisme. La place financière s'est unie en 2010 pour crier en
bloc à la jalousie des voisins et la sévérité des profs.
Cette mise au pilori en rafale n'est
évidemment pas bonne. Et les protestations luxembourgeoises, même si elles
étaient bonnes et justifiées, sont celles d'un petit pays. Le rouleau
compresseur est en route pour écraser les paradis fiscaux et leurs clients. On
aurait pu cependant pratiquer quelques manœuvres défensives. Mais on dirait que
la stratégie luxembourgeoise est d'ignorer les policiers internationaux,
jusqu'au moment du PV. Ce sera alors le moment de se comporter en victime et de
se plaindre de la jalousie des autres et de la sévérité excessive. En attendant,
le casier du Luxembourg s'allonge et les rancunes s'accumulent.
Certes on connaissait les responsabilités
définies par le GAFI. Mais on a choisi d'être le cancre qui a fait l'impasse.
Et on se retrouvait sur la liste des cancres. On savait aussi que le paradis
fiscal n'était pas tenable, et qu' il n'y aura plus de paradis fiscal sur Terre
en quelques années. On a choisi de nier l'accusation de paradis fiscal et
d'exploiter la niche jusqu'à la dernière seconde. Quand le piège se refermait,
on s'est vu sprinter pour assembler une douzaine d'accords sur la double
imposition, et pour éviter le pilori de justesse, encore une fois.
La
conformité n'est plus ce qu'elle était
Car il y a une nouvelle donne: les
exigences ont changé, et elles dévoilent deux problèmes pour la stratégie
luxembourgeoise qui consiste à opposer ou à ignorer les demandes internationales
jusqu'au point de rupture.
Le premier problème est que les attitudes
et les attentes internationales ont changé, même dans les domaines pour
lesquels le Luxembourg s'est doté hâtivement d'une "conformité ancien
modèle" dans le passé. La conformité nouveau modèle n'est plus une
question de simple "checklist". Il ne suffit plus d'avoir une
législation ou des accords en place, il faut les appliquer, il faut des
résultats. C'est cela la nouvelle conformité.
Le deuxième problème découle de la façon
dont le pays se conforme aux exigences. Les attentes internationales sont que les
accords soient appliqués avec transparence et sans perte de temps, et que des
sanctions qui soient vraiment dissuasives soient appliquées. Après avoir
pendant des années prévenu dans ces colonnes des pressions internationales à
venir, comme pour le blanchiment ou la définition des paradis fiscaux, je
voudrais réitérer une prédiction que beaucoup d'acteurs s'empresseront
d'ignorer: le jugement du Forum pour la Transparence présage que la notion de
"Paradis Judiciaire" est en train de gagner du champ. Dans les
tiroirs du Congrès américain somnolent des projets de loi, qui une fois votés,
deviendront probablement standard international par G20 ou OCDE interposés. En
résumé, sera un paradis judiciaire, une juridiction qui n'aurait pas ses outils
judiciaires en place, ni des lois et des règlements similaires à ceux des
Etats-Unis. Ou alors, tout en disposant de ceux-là, ne les appliquerait pas, ou
appliquerait des sanctions n'approchent pas la sévérité des sanctions
américaines, qui sont souvent très sévères.
Comment
prévenir le label "Paradis Judiciaire"?
Que faut-il faire? Le Luxembourg a souvent
été récalcitrant pour transposer des directives européennes, a eu tendance à
les adoucir en passant en contrebande quelques qualificatifs assouplissants
dans ses textes de lois, a souvent ignoré ses propres lois et règlements et
surtout a sanctionné très mollement, souvent après des années et des années de
procédure. Si on parle ici de blanchiment, de fiscalité et de crimes
financiers, ce ne sont pas des cas comme BCCI (affaire qui dure depuis1991!),
Madoff, Kaupthing, Landsbanki et Parmalat qui doreront notre blason. Ce n'est
pas le cas du Bommeleeër non plus, affaire terroriste non-résolue et qui dure
depuis trois décades. A se demander si les juges étaient déjà nés au moment des
faits.
Le trésor luxembourgeois serait mal en
point sans la place financière. Il faut donc constamment la solidifier, la
diversifier, et la rendre désirable à sa clientèle internationale. Elle ne peut
survivre sur une réputation de paradis fiscal, de havre pour le blanchissement
ou paradis judiciaire. Telle est j'espère la dure leçon du jour.
Il faut s'y conformer avec plus
d'engagement, sans céder pour cela à des exigences frivoles. Un bon nombre de
piliers du centre financier sont inattaquables. Mais un paradis judiciaire sera
une cible privilégiée dans le futur. Si je comprends bien notre vieille
stratégie, on ne fera rien en attendant la dernière minute, car en attendant
c'est plus lucratif? On sera de nouveau un pas en retard, au lieu de précéder
la musique. Car on pourrait profiter du répit très temporaire pour développer
nos organes de Police, surtout la Police Judiciaire et évidemment tout
l'appareil judiciaire, pour les amener à des niveaux en rapport avec la
dimension d'un des plus grands centres financiers du monde. Le privé a su
s'adapter aux besoins en créant des milliers d'emplois d'avocats, comptables et
consultants. Le jour où une affaire devant les tribunaux luxembourgeois sera
tranchée endéans un à deux ans, la place financière pourrait se vanter d'un
nouvel attribut: d'être une des meilleures juridictions dans le monde, où votre
argent est en sécurité devant non seulement les criminels du monde, mais aussi
devant vos propres gouvernements et leurs multiples tentations de confisquer
vos avoirs.
Quand ce sera fait, amenez votre argent, montrez
patte blanche et payez vos impôts. Vous êtes au Luxembourg. Vous êtes en
sécurité. Utopique?