Tuesday, October 13, 2020

La Nipponisation de la Maison du Grand-Duc

 


La Nipponisation de la Maison du Grand-Duc

Le 14 juillet, le jour de la Bastille, le Premier Ministre Xavier Bettel a présenté à la Commission parlementaire les conclusions du rapport Waringo et les décisions prises sur le fonctionnement de la Cour grand-ducale. Le rapport d’enquête de M. Waringo ne se limite pas à décrire un état des lieux et des dysfonctionnements. Il fait aussi des recommandations, sorte de ballons d’essai, qui ont été adoptées ensuite par consensus, y compris l’assentiment du Grand-Duc. L’organisation de la Maison du Grand-Duc est dorénavant réglée par arrêté grand-ducal. Du point de vue de la conception et de l’exécution du projet que j’appelle « Nipponisation », la démarche était résolue, l’exécution d’une rapidité exceptionnelle comparée à toute chose luxembourgeoise, pour aboutir à la signature d’un arrêté par le Grand-Duc qui limite sa propre liberté d’action.

Ce n’est pas sans rappeler la démarche du général McArthur, commandant le théâtre d’opérations du Pacifique lors de la deuxième guerre mondiale. Il s’agit de l’octroi d’une nouvelle constitution au Japon à la reddition en 1945, avec un empereur incarnant les symboles de la nation, mais avec des fonctions limitées et strictement fixées par le « protocole ». La Maison de l’empereur ou « Imperial Household » est l’Administration qui me rappelle la nouvelle « Maison du Grand-Duc », d’où l’impression de « nipponisation » par imitation. Monsieur Bettel parle de propulser la monarchie du 19e au 21e siècle. C’est dire au 20e siècle au Japon. L’ironie est que surtout dans les années 80, j’ai accompagné le Grand-Duc Héritier Henri dans de multiples visites au Japon. A chaque occasion l’Empereur Hirohito au début, puis l’Empereur Akihito et l’Impératrice Michiko ont reçu leur visiteur avec beaucoup d’attention. D’habitude le Grand-Duc Héritier avait un diner en tête à tête. Je dinais avec des dirigeants du Imperial Household. La conversation tournait souvent autour de questions protocolaires et de relations publiques. Il m’a semblé qu’il y avait une réflexion à la Cour impériale sur les façons d’accommoder la constitution de 1945 avec la tradition japonaise et le présent, le siècle de la communication. Donc de sortir un peu des mêmes rigueurs dans lesquelles la Maison du Grand-Duc s’apprête à entrer.
















Chasse au canard traditionnelle au moyen de filets. Palais imperial de Kyoto ca 1986. De gad : l’Imperatrice Michiko, le Grand-Duc heritier Henri, LtCol Egide Thein, Madame Yoshitada Uchiyama, l’Empereur Akihito.


Le général McArthur avait bétonné ses changements en octroyant une nouvelle constitution, donc une loi fondamentale difficile à altérer. Mais la caravane passe et le général McArthur n’est plus. Monsieur Bettel a utilisé le décret, c.a.d. l’arrêté grand-ducal. Un arrêté grand-ducal n’est pas bétonné comme le serait une loi ou mieux la révision de la constitution qui est sur le métier depuis 20 ans. Donc, la pérennité des décisions prises n’est pas garantie.  

Une dynastie monarchique raisonne en termes de générations, les politiciens en années jusqu’aux prochaines élections. La solution issue d’un consensus est une solution de bouts de ficelle. Il est facile de défaire le nœud, et le débat qui n’a pas eu lieu pourra jaillir à tout moment. En fin de compte, rien n’est plus simple et plus fort pour remplacer un arrêté grand-ducal qu’un nouvel arrêté grand-ducal. Comme il n’y avait pas de projet de loi, il n’y avait pas de débat politique, Covid 19 aidant à obscurcir la procédure. Gouverner par décret est un raccourci.

Le raccourci semble devenir le nouveau mode opératoire du gouvernement. Ainsi, le referendum sur la séparation de l’église et de l’état est devenu une simple négociation entre le gouvernement et l’Evêché. Manœuvre préemptive habile de l‘Evêque de Luxembourg pour éviter le referendum. Car rien n’est plus simple à changer qu’une vieille loi par une nouvelle loi. Et la caravane passe encore.

Politiquement j’appellerais cet épisode de la réorganisation de la Cour grand-ducale le massacre de la Ste Camille. Le terme est exagéré et fait référence avec un clin d’œil sur cet autre massacre de la St Valentin à Chicago en 1929. Un règlement de comptes. Le coup d’état de Jean-Claude Juncker du 12 mars 2009, que j’appelais massacre de la Ste Justine, était habilement enfilé et bien plus vigoureux et définitif que celui-ci. Le Grand-Duc y a perdu sa prérogative de « sanctionner » les lois. À la suite de son refus de signer la loi sur l’euthanasie, le Parlement a changé l’article 34 de la constitution. Jean-Claude Juncker avait bétonné. Mais 11 ans plus tard, la caravane est déjà passée.

Depuis 20 ans donc on fait du provisoire. Une révision de la constitution resurgit comme une fata morgana depuis deux décennies. Les Nations Unies ne manquent pas de considérer notre constitution comme étant de seconde classe seulement. Il manque sans doute l’envergure et le courage pour mener à terme un tel projet national. Entretemps dans le fouillis des articles de la constitution et les bricolages occasionnels, on lira : Art. 21. Le mariage civil devra toujours précéder la bénédiction nuptiale. Ou bien : Art. 77 : le Grand-Duc nomme et révoque les membres du Gouvernement. Au terme des élections, il désigne aussi un formateur qui le plus souvent sera le Premier Ministre. Vous parlez d’une boite à outils pour une vendetta. Mais ce massacre-là n’aura pas lieu. Une monarchie raisonne en termes de générations. Pas en termes du tic au tac politique.

Restent les incohérences philosophiques. Les membres du gouvernement jurent fidélité au Grand-Duc. Il en sera de même pour la direction de la Maison du Grand-Duc formellement recrutée par le gouvernement. Les ministres qui jurent fidélité au Grand-Duc sont formellement les conseillers du Grand-Duc. Ministre étymologiquement désigne un « serviteur ». Donc des ministres qui sont aussi serviteurs et conseillers du Grand-Duc élaborent une structure appelée Maison du Grand-Duc et recrutent le personnel clé pour son fonctionnement. Le stress test de cet édifice viendra le jour où les intérêts de toutes les parties prenantes ne sont pas alignés. Un défi au loyalisme.  Le tout sur arrière fond d’une constitution de 1868, vétuste.