CARITAS
:
OPÉRATION “JEAN
L’AVEUGLE” : Dans le monde des aveugles, la voyante est reine.
Ce timbre Caritas, émis en 1946
par l’Administration des PTT luxembourgeoise est aujourd’hui une allégorie qui révèle
bien involontairement tous les éléments et circonstances qui en conjonction
font le drame de Caritas. Il représente Jean l’aveugle, héros national, qui
quoique aveugle, se lançait dans la bataille de Crécy en 1346 et est mort sur
le champ de bataille.
Les successeurs modernes de Jean
l’aveugle se trouvent aux antipodes. A la cécité dégénérative de Jean l’aveugle
ils préfèrent être volontairement aveugles. Caritas et ses organes de contrôle
n’ont pas vu € 61 millions s’évaporer sur 6 mois, en rafales de vingt transferts
environ par mois. La BGL et la BCEE n’ont rien remarqué et ont même tenu la
porte ouverte aux voleurs en avançant des crédits ! La CSSF et la CRF
n’ont rien à rapporter encore, peut-être n’y a-t-il rien à voir ? La
Justice, on le sait déjà, a les yeux bandés. Le gouvernement prend une longue
vue pour ne pas confondre vitesse et précipitation : il n’y a pas urgence.
La Politique a désormais un outil pour faire la lumière dans l’opacité :
Une Commission d’enquête, qui n’a pas ses propres enquêteurs, et pas de
sanctions. Si les membres de cette commission ne sont pas « volontairement
aveugles », terme consacré dans le monde de la lutte anti-blanchiment,
verront-ils les petits inconvénients d’être un paradis fiscal, un paradis réglementaire,
un paradis judiciaire (pour les mauvais), une ile aux trésors cachés ou un tourniquet
à corruption ?
Le comble de l’ironie est qu’un personnage
clé dans cette affaire plus grande que le Luxembourg, est une voyante. Mais pour
le moment le mot d’ordre est : Circulez, il n’y rien à voir ! Et les
autorités restent bouche cousue, et ainsi, forcément on n’entendra rien. Tenez,
rien à voir, rien à dire, et rien entendu ? Cela représente les trois
singes !
On le sait déjà, les paradis ne
subsistent pas, heureusement car ils ruinent une réputation. Voir Adam et Eve. Trop
de curieux voudront voir un sonneur d’alerte comme Antoine Deltour, ou ICIJ,
l’International Consortium of Investigative Journalists, ou OCCRP, l’Organized
Crime and Corruption Reporting Project, et pourquoi pas une évaluation mutuelle
du GAFI (Groupe d’action financière) ?
Comme dans toute crise, les
autorités en charge ont intérêt à être transparentes de suite. Jouer aux trois
singes invite le public et les media à développer des histoires de conspiration.
L’occasion pour être transparent est unique non seulement pour endiguer le
ridicule qui submerge le centre financier dans cette affaire rocambolesque qui
met en scène deux piliers traditionnels du centre, BGL BNP Paribas et BCEE, surpris
dans une position très peu catholique, et une vénérable institution charitable
catholique, Caritas, dont une personne dirigeante va se confesser à une voyante.
CRF et CSSF auront la tâche
difficile de fondre sur ces acteurs du centre financier, appartenant au
gouvernement comme eux-mêmes, mais qui sont plutôt accoutumés à la permissivité
rampante des autorités. D’où les paradis de toute sorte.
L’urgence, la gravité et les
nécessaires réformes seront suivies par le monde entier. Notamment les actions
ou inactions des gendarmes du centre financier. Il est clair que le GAFI a codifié
le comportement des gouvernements et institutions financières face au
blanchiment qui accompagne les crimes de ce genre. Ce sont les recommandations qui
sont désormais en vigueur pratiquement dans le monde entier. Leur application
divergente selon les pays fait l’objet de comparaisons et les Etats-Unis, grands
instigateurs du GAFI, considèrent trois échelons pour évaluer la conformité
d’un autre pays en posant ces trois questions : ce pays a-t-il des lois
comparables à celles des Etats Unis, sont-elles appliquées, et s’il y a
sanction pour non-conformité, sont-elles au niveau de celles des Etats-Unis ?
Un jour ce sera leur loi, et ils l’appliqueront aux autres pays selon la
formule avérée du long bras.
Le Luxembourg ne semble pas
encore à niveau. Mais on peut apprendre selon le calendrier de leçons passées
qui touchent le Luxembourg :
- 1993 Banque Leu Luxembourg, établie par Crédit Suisse, est condamnée par la Justice américaine à une amende de USD 2.300.000 pour avoir blanchi ce même montant pour un client colombien. S’y ajoutaient d’autres amendes. C’était une des premières condamnations par le bras long appliqué par les Etats Unis : Banque Leu n’avait pas de présence aux Etats Unis. L’usage du dollar la mettait cependant dans la juridiction américaine, selon Washington.
- 2014 BNP Paribas est condamnée à une amende record de USD
8,9 milliards pour avoir violé les sanctions, en camouflant des transferts vers
le Soudan, l’Iran, et Cuba. A remarquer que l’amende représente de nouveau le
montant total vérifiable des transferts frauduleux de BNP Paribas. On voit donc
qu’une règle s’établit : le montant de l’amende équivaut le montant
blanchi. Fait à ne pas cacher : le gouvernement luxembourgeois, donc le
contribuable est propriétaire de BNP Paribas à raison de 1,138%, ce qui représente
pour le contribuable luxembourgeois USD 101.282.000 comme part de l’amende américaine.
- 2014 Luxleaks, l’année où PwC et le Luxembourg ont découvert
une nouvelle espèce de menace, s’il y a quelque chose à cacher : le
sonneur d’alerte ou le whistleblower qui racontera tout à l’ICIJ.
- 2015 BCEE a été victime d’une taupe qui a fourni une longue
liste de clients allemands aux autorités allemandes.
- 2016 Panama Papers, la mère de toutes les fuites glanées de la firme d’avocats Mossack-Fonseca au Panama,
avec ses ramifications mondiales et donc luxembourgeoises.
- 2020 BIL est condamnée à une amende de € 4,6 millions par
la CSSF pour manquements de vigilance.
- 2024 BGL BNP Paribas est condamnée à € 3 millions par la
CSSF pour non-respect des obligations professionnelles en matière de lutte
contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
- 2024 Caritas devient la victime d’une fraude massive de
€61 millions. Le crime tourne actuellement en plein vaudeville quand on
découvre qu’une voyante avait pris la direction des affaires dans une
gouvernance aveugle et endormie au volant.
C’est une longue liste
d’apprentissages plus ou moins bien compris. Dans toutes ces affaires, un des coûts
cachés est la perte de réputation. Dans ce cas non pas la réputation d’une
seule banque, mais d’un centre financier tout entier. C’est une crise à gérer
par Luc Frieden himself, profitant de l’expérience que lui et ses proches ont
de la BCEE, BGL, BIL et autres bastions de la forteresse. La CSSF va-t-elle vraiment
sanctionner la BGL et la BCEE à hauteur du montant de la fraude, c.à.d. € 61
millions, comme la coutume suggère ? Le gouvernement luxembourgeois, par
le biais de la CSSF et la CRF sanctionnerait des banques dont il est propriétaire ?
Et l’Espagne leur infligera d’autres sanctions ?
Dieu seul le sait. Et bien sûr la
voyante aussi !